Pour fêter la rentrée de la fantasy, nous vous proposons de découvrir une interview de Sabrina Calvo au sujet de son roman, Délius, une chanson d’été, paru le 22 août dernier aux éditions Mnémos.
Actusf : Bonjour Sabrina. Entrons immédiatement dans le vif du sujet : après vingt ans, Delius, une chanson d’été revient chez Mnémos (avec une superbe couverture de Cindy Canévet). Quel effet cela vous fait-il de voir ce texte de nouveau publié ?
Sabrina Calvo : C’est très émouvant, se dire qu’on peut enfin être la personne, le point de vue qui a écrit ce texte. De pouvoir mettre un nom sur une couverture en se disant : là, ça fonctionne. Il faut que je puisse continuer à faire vivre ces textes, d’abord parce qu’ils sont épuisés, ensuite parce que je dois les assumer. Je n’ai pas eu envie de toucher à une seule ligne de Délius. Beaucoup de rééditions sont réécrites, adaptent le langage aux exigences d’un style qui a évolué. J’avais déjà corrigé ce texte, mes excès de virgules et de répétitions, pour la réédition du livre chez J’ai Lu. C’était juste ça à l’époque, une cosmétique. En relisant cette année quelques passages, parce que j’appréhende toujours de relire un des mes livres, je me suis surprise en pensant que c’était OK de ne rien modifier. Ce bouquin, c’est moi à un instant de ma vie, et je le prends comme ça, avec une forme de tendresse. C’est à la fois un soulagement, de pouvoir réclamer ce travail pour moi, qui je suis aujourd’hui, et un laisser-aller. Je viens de quelque part, de là, et c’est OK.
Actusf : Holmes et Watson ne sont jamais loin de vos personnages. L’idée même du duo vous semblait-elle inévitable dans la construction de ces enquêtes botaniques ?
"À l’époque de l’écriture de Délius, j’étais vraiment plongée dans Arthur Conan Doyle. C’était plus qu’un hommage, j’avais réellement la prétention de créer ma version marseillaise du détective."
Sabrina Calvo : Oui, et d’autres aussi. Dans La Nuit des Labyrinthes, la suite de Délius, j’ai un duo d’auteurs, Chesterton et Schwob, et ils fonctionnent un peu de la même façon, en miroir de Lacejambe/Fenby, pour jouer avec cette notion là, un peu cliché quand même. À l’époque de l’écriture de Délius, j’étais vraiment plongée dans Arthur Conan Doyle. C’était plus qu’un hommage, j’avais réellement la prétention de créer ma version marseillaise du détective.
Actusf : Grâce à son écriture et à son histoire, votre roman est intemporel. Entre un botaniste et un elficologue, il nous promène dans les méandres de la pensée du fleuriste. Vous avez également voulu rendre hommage au compositeur Frederick Delius. Pourquoi ?
"Tout est parti, mais la musique est restée. C’est surtout à Kate Bush que je voulais dédier tout ça. Elle n’a jamais cessé de m’accompagner."
Sabrina Calvo : Je baignais dans le romantisme anglais, et dans cette idée complètement faussée de la culture occidentale du XIXe siècle. J’avais inventé un bout de monde à moi pour ne pas vivre dans le monde moderne, un virtuel influencé par ma pratique poussée du jeu de rôle, idéalisé. Délius, comme Vaughan Williams, lui donnait sa musique. Je vis en musique, et j’ai besoin de ces harmonies. Mais tout ça est aujourd’hui devenu un souvenir de mon adolescence, j’ai compris comment j’avais pu me tromper. Tout est parti, mais la musique est restée. C’est surtout à Kate Bush que je voulais dédier tout ça. Elle n’a jamais cessé de m’accompagner.
Actusf : De thriller fantasy au proto cyberpunk… Quel regard portez-vous sur les imaginaires magiques face à ceux plus technologiques ?
Sabrina Calvo : C’est mon éternel problème, de vouloir choisir à tout prix alors que je peux tout faire. Pour moi, c’est la même chose. Je crois que j’arrive enfin à une synthèse, ou du moins, comment l’un et l’autre peuvent se transformer en l’un l’autre. C’est pour moi plus une question de pratique que d’imaginaire : magie et technologie sont deux éléments essentiels de ma vie quotidienne.
Actusf : Délius, une chanson d’été est une œuvre pleine de poésie, de musique à l’ambiance tout à la fois loufoque et féerique. Nous sommes loin (et peut-être pas tant que cela) de vos derniers titres comme Sous la colline ou Toxoplasma (Grand Prix de l’Imaginaire 2018). Serait-ce exagéré de dire que votre regard sur le monde s’est
détérioré depuis la fin du XXe siècle ?
"Non je ne crois pas. Tous mes textes se ressemblent pas mal. La seule différence, c’est une forme de lâcher-prise."
Sabrina Calvo : Non je ne crois pas. Tous mes textes se ressemblent pas mal. La seule différence, c’est une forme de lâcher-prise. Délius est plus en phase avec les codes du genre que ne le sont Colline ou Toxoplasma, qui cherchent peut-être à faire naître une synthèse, ce sont des textes plus intimes aussi. Mais maintenant que j’ai promis d’écrire Laocoon, dernier tome des aventures de Lacejambe, je pense que j’ai pigé un truc. C’est une question d’énergie, de densité d’intensité. Il y a un petit truc dans ma tête qui s’allume ces jours-ci. Peut-être parce que je ne suis plus vraiment cette personne excessivement torturée et mal dans sa peau.
Actusf : Vous êtes plutôt World of Warcraft ou Mass effect ?
Sabrina Calvo : Deus Ex.