A l'occasion de la parution de l’anthologie Dimension Uchronie 1, dirigée par Bertrand Campeis, aux éditions Rivière Blanche, Clémence Godefroy revient sur l'écriture de sa nouvelle, Nova Lua.
Bertrand Campeis : Bonjour, Pourriez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours en tant qu'écrivaine ?
Clémence Godefroy : J’ai 35 ans, je suis professeure d’anglais en lycée à Paris et j’habite en Seine-et-Marne avec mon compagnon. Quand j’étais petite, j’aimais bien me raconter des histoires avant de dormir, et j’ai pris le goût de l’écriture quand je suis entrée au collège. Ensuite, à la fin du lycée, j’ai commencé à écrire de la fanfic dans l’univers Harry Potter. Vu que j’ai passé une partie de mon enfance aux États-Unis, je suis parfaitement bilingue et j’aime beaucoup écrire en anglais. Mais il est beaucoup plus difficile de se faire publier sur le marché anglophone, donc quand je me suis sentie prête, j’ai plutôt tenté ma chance sur le marché français, et ma première publication était une nouvelle steampunk pour l’anthologie Montres Enchantées aux Éditions du Chat Noir, en 2014.
Bertrand Campeis : Comment avez-vous découvert l'uchronie ? Y a t-il une œuvre qui vous a marqué profondément ?
Clémence Godefroy : Quand on commence par écrire de la fanfic, on évolue dans un milieu qui est totalement ouvert à l’alternative universe, c’est-à-dire, qu’est-ce qui se passerait si tel événement ne s’était pas produit dans le canon, ou si toute l’histoire se déroulait dans une autre époque ? L’uchronie n’est qu’un alternative universe appliqué à l’histoire mondiale. C’est également très compatible avec le genre steampunk, dont je suis tombée amoureuse en lisant la trilogie A la Croisée des Mondes de Philip Pullman quand j’avais 15 ans. Même si ce n’est pas du steampunk « Jules Vernien » comme on l’entend, le monde alternatif de Lyra, familier et différent à la fois, me fascinait.
Bertrand Campeis : Pourriez-vous nous expliquer comment vous êtes entré dans l'aventure Dimension Uchronie ?
Clémence Godefroy : Je suivais Uchronews sur Facebook et je connaissais déjà Bertrand de nom. Le monde des maisons d’éditions indépendantes de SFFF est petit et tout le monde se connaît de prêt ou de loin, le tout dans une ambiance très conviviale ! J’ai tout de suite voulu participer à son appel à textes.
Bertrand Campeis : Comment s'est passé l'écriture de votre nouvelle ?
Clémence Godefroy : J’avais plusieurs idées différentes, mais la thématique de la religion me tenait particulièrement à cœur, car je trouve que celle-ci est peu explorée. Si un événement changeait profondément le déroulement de l’histoire, je ne vois pas pourquoi les religions ne changeraient pas, elles aussi ! Malgré leurs rituels qui peuvent paraître immuables vu de l’extérieur et leur message qui touche à l’éternel, elles ne sont pas des blocs monolithiques mais des courants d’une grande fluidité. Une fois que j’avais fait des recherches et formé le récit dans mon esprit, l’écriture a été assez simple et rapide.
Bertrand Campeis : Pourriez-vous expliciter votre uchronie en nous parlant de son Point de Divergence ?
Clémence Godefroy : Mon point de divergence se situe en 1084, après plusieurs années d’une lutte de pouvoir entre le Pape Grégoire VII et Henri IV, le souverain du Saint Empire Romain Germanique. Grégoire VII, un pape austère et intransigeant, défendait la primauté de l’Église sur le pouvoir terrestre, tandis que Henri IV défendait la souveraineté des rois (et notamment la sienne). Après plusieurs années de conflit, les troupes de Henri IV ont marché sur Rome pour se voir refouler par celles de Robert Guiscard, le duc normand de Sicile et allié de Grégoire VII.
J’ai imaginé ce qui se serait passé si Guiscard n’avait pas honoré cette alliance et si Grégoire VII était mort en martyr sur le bûcher, laissant la place à une lignée d’anti-papes fantoches à la botte du pouvoir temporel et transformant peu à peu le christianisme en religion sans aucun rapport avec l’Évangile, mais qui dont le seul but serait de légitimer le pouvoir royal. Certains chrétiens fidèles à l’ancienne Église auraient été persécutés comme hérétiques, auraient fui vers l’Empire Byzantin, et de là seraient arrivés en Orient, où un syncrétisme par contact aurait eu lieu avec le taoïsme chinois.
Bertrand Campeis : Y-a-t-il un message que vous souhaitiez faire passer en l'écrivant ?
Clémence Godefroy : En tant que catholique pratiquante et passionnée d’histoire, j’ai toujours ressenti un immense conflit entre les valeurs de l’Évangile, notamment celles de Béatitudes, et les crimes commis pendant des siècles par ceux qui se réclamaient du christianisme, de l’esclavage au génocide de peuples autochtones. Mais le catholicisme a aussi inspiré des trésors d’humanité chez certaines grandes figures comme Bartholomé de las Casas. Je voulais donner à mon héroïne ce même regard de compassion envers le plus faible, et montrer que c’est, selon moi, la seule façon d’être vraiment fidèle au message du Christ. Quand on voit les tensions encore très vives qui existent aujourd’hui entre chrétiens, notamment sur l’accueil des migrants, on constate que ce conflit a encore de beaux jours devant lui.
Par ailleurs, je m’intéresse énormément aux religions en général, et je pense qu’elles ont toutes quelque chose d’intéressant à dire. Les Trois Trésors du taoïsme (l’humilité, la frugalité et la compassion) sont pour moi parfaitement en accord avec le christianisme, et je ne vois pas pourquoi quiconque devrait rejeter l’une ou l’autre religion en bloc comme étant « fausse » alors qu’elles tendent dans la même direction.
Bertrand Campeis : Travaillez-vous sur d'autres projets uchroniques ou souhaitez-vous en faire à nouveau par la suite ?
Clémence Godefroy : Je travaille sur une nouvelle uchronique, cette fois plus en rapport avec mon enfance aux États-Unis. Et les livres que je publie au Chat Noir, s’ils ne sont pas de l’uchronie au sens strict, explorent un monde alternatif géographiquement semblable au nôtre mais qui mêle magie et steampunk. C’est un genre qui offre tellement de possibilités que je compte l’exploiter pendant longtemps !
Bertrand Campeis : Les mots de la fin vous appartiennent, c'est à vous !
Clémence Godefroy : Il y a quelques années à Taizé, un lieu de retraite et de prière œcuménique qui m’est très cher, j’ai assisté à la conférence d’un prêtre jésuite spécialisé dans les religions asiatiques. A la fin de sa conférence, il a dit qu’a son sens les religions étaient comme des fleuves qui convergeaient vers un seul et unique océan, et c’est sur cet océan qu’on trouvait Dieu. Ce sont des paroles que je garde toujours à l’esprit.