A l'occasion de la parution de l’anthologie Dimension Uchronie 2, dirigée par Bertrand Campeis et Hermine Hémon, aux éditions Rivière Blanche, Sylwen Norden revient sur l'écriture de sa nouvelle, Préférer les Ténèbres.
Actusf : Bonjour, Pourriez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours en tant qu'écrivain ?
Sylwen Norden : J’écris depuis pas mal d’années déjà, mais j’ai seulement commencé à répondre à des appels à textes courant 2017. Depuis, j’ai eu la chance de voir plusieurs de mes nouvelles acceptées par différents éditeurs, comme Nestiveqnen, Arkuiris ou encore Malpertuis dans son anthologie fantastique annuelle (volumes VIII, IX & X).
Et comme j’ai toujours été passionné par l’imaginaire ancien, je suis ravi que l’un de mes textes figure dans la série Dimension Merveilleux Scientifique, dirigée par Jean-Guillaume Lanuque, chez Rivière Blanche.
Mon premier livre, La Porte des Sorcières, est sorti fin 2018 chez Realities Inc. Il s’agit d’une novella mêlant science-fiction et fantastique. Un texte eschatologique qui a pour cadre l’atmosphère hantée d’une vieille cité lacustre, sorte de Venise du bout de l’univers, qui forme un univers clos, en pleine déréliction, où les derniers hommes succombent à d’étranges lueurs qui apparaissent la nuit au fond des canaux.
Pour le moment, j’ai un peu délaissé les appels à textes pour me concentrer sur plusieurs romans écrits il y a quelques temps déjà, mais je compte bien sûr y revenir…
Actusf : Comment avez-vous découvert l'uchronie ? Y a t-il une œuvre qui vous a marqué profondément ?
Sylwen Norden : J’ai découvert l’uchronie au milieu des années 80, avec un vieux roman d’Edgar Rice Burroughs, péniblement lu en anglais. Il s’agissait de The Lost Continent (ou Beyond Thirty selon les éditions) qui a depuis été traduit en français sous le titre de l’Odyssée Barbare.
Suite à la non-intervention des U.S.A. lors de la première guerre mondiale, l’Europe, incapable de mettre un frein à ses luttes intestines, s’est écroulée et est retournée à la barbarie. La forêt recouvre le continent et les grands félins, échappés des zoos, règnent en maîtres sur l’Angleterre… on en trouve même sur le trône de la Reine… Ce n’était pas très sérieux (quoique...), mais ce détail avait bien plu à l’ami des arbres et des animaux que j’étais déjà à l’époque…
Sur le même thème, j’avais préféré Le Continent Maudit, roman oublié de l’auteur bicéphale Morgin de Kéan, qui brosse un tableau nettement plus sombre et franchement plus crédible d’une Europe en ruine et retournée à la barbarie. J’ai lu le texte il y a longtemps, et je ne suis pas tout à fait certain qu’il puisse être classé parmi les uchronies, mais je garde le souvenir d’une œuvre noire et désenchantée qui met en scène, avec tous ses travers, une humanité qui n’arrivera jamais à évoluer. Du post-apocalyptique avant l’heure…
Actusf : Pourriez-vous nous expliquer comment vous êtes entré dans l'aventure Dimension Uchronie ?
Sylwen Norden : Tout simplement en tombant sur l’appel à textes sur le site d’Épopées Fictives. Je me suis dit que c’était l’occasion d’écrire ma première uchronie !
Actusf : Comment s'est passée l'écriture de votre nouvelle ?
Sylwen Norden : J’avais l’idée de Préférer les Ténèbres depuis pas mal d’années déjà, mais en l’écrivant, je me suis rapidement rendu compte que l’uchronie n’était en fait qu’un simple décor à ma nouvelle. La guerre n’était là que pour ajouter un contexte apocalyptique à une histoire plutôt étrange et tirant sur le fantastique. Après un premier jet, et en accord avec Bertrand, j’ai réécrit le texte en recentrant davantage l’histoire sur les éléments uchroniques et leurs conséquences. Parallèlement au conflit dans lequel baigne la moitié de la nouvelle, cette seconde version m’a donné l’occasion d’ajouter des flash-back qui permettent de comprendre à quel point John Crowley, le protagoniste de l’histoire, a été marqué par la disparition de sa jeune sœur handicapée, ainsi que par le décès de la plus vieille esclave noire de ses parents.
Actusf : Pourriez-vous expliciter votre uchronie en nous parlant de son Point de Divergence ?
Sylwen Norden : Le Point de Divergence de mon texte est l’assassinat de Lincoln, perpétré cette fois en 1862, soit trois ans avant la fin de la Guerre de Sécession. La montée de l’opposition au conflit, dans les deux camps, mène à un traité de paix. Donc à deux Amériques. Bien entendu, au sud, l’esclavage n’est pas aboli et le fossé se creuse un peu plus entre les nations antagonistes. Quand la seconde guerre mondiale éclate, l’Union et la Confédération ne se sont toujours pas remises du Krach Boursier, survenu cette fois en 1932, et qui a eu des répercussions bien plus désastreuses dans une Amérique scindée en deux.
Dans ce contexte de crise et de pauvreté, l’Eugenics Records Office, qui prônait l’eugénisme au début du XXe siècle aux U.S.A., prend une ampleur démesurée. Une loi sur la stérilisation se généralise au Sud et les thèses qui vont avec se développent. Si la Confédération, contrairement à l’Union, n’a pas pris part à la première guerre mondiale, en revanche, avec l’arrivée au pouvoir d’un membre du Ku Klux Klan, son ralliement au Reich devient rapidement effectif. L’Union se retrouvera coincée entre le Japon et une Confédération qui a cette fois de bonnes chances de remporter la victoire.
Dans de telles conditions, pas de débarquement en Normandie, donc la France reste occupée. Sur le Front de l’Est, cela n’empêche pas le Reich de reculer peu à peu face à une Russie qui, même sans l’aide des américains, réussira à refouler les nazis jusqu’à la capitale française, cadre d’un ultime combat.
Autre répercussion à tout cela : l’Union ne découvrira pas la bombe atomique, mais le Reich, aidé par des scientifiques confédérés et des savants enlevés à l’Union, reprendra à son compte le projet Manhattan...
Actusf : Y-a-t-il un message que vous souhaitiez faire passer en l'écrivant ?
Sylwen Norden : J’étais un peu embêté à l’idée de parler une fois de plus des nazis, d’une seconde guerre mondiale alternative, alors qu’un grand nombre d’auteurs – et pas des moindres ! – l’avaient déjà fait avant moi ; mais comme mon personnage principal, je me suis rapidement attaché à cette fillette handicapée vendue à un cirque pour que ses parents, braves confédérés sans scrupules, ne tombent pas sous le coup de la loi sur la stérilisation – et de son anathème. Idem pour le personnage de Darwina, la vieille esclave noire, qui porte un regard amer sur le monde, le passé, le présent, et l’avenir de l’humanité.
La quête de John Crowley, enfant, pour retrouver sa sœur, puis sa participation forcée à la guerre en tant que scientifique, m’ont décidé à écrire ce texte.
Le personnage d’Anna Wolff, jeune femme nazie, m’a sans doute été inspiré par L’Excursion des jeunes filles qui ne sont plus, d’Anna Seghers. Texte onirique, nostalgique, fantastique et tragique, qui met en parallèle l’apparente innocence d’un groupe de lycéennes, lors d’une excursion sur le Rhin, avec ce qu’elles sont devenues quelques années plus tard sous le IIIe Reich.
Actusf : Travaillez-vous sur d'autres projets uchroniques ou souhaitez-vous en faire à nouveau par la suite ?
Sylwen Norden : Oui, je travaille actuellement sur une courte nouvelle dont le Point de Divergence remonte à… un sacré nombre d’années cette fois… Je me pose la question suivante : est-ce qu’un élément, une éventuelle modification, aurait pu empêcher les bouleversements climatiques, la destruction massive des espèces et des écosystèmes que l’on doit à l’Homme ? Une sorte d’anthropocène alternatif et moins destructeur…
Actusf : Les mots de la fin vous appartiennent, c'est à vous !
Sylwen Norden : Un grand merci à Hermine et à Bertrand !