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Dossier Bit Lit : La déferlante bit-lit ? Crocs en avant.
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Dossier Bit Lit : La déferlante bit-lit ? Crocs en avant.

« Le vampire a toujours été un personnage central de l’imaginaire, mais depuis quelque temps ce monstre sacré des romans et du cinéma s’est vu transformé en un antihéros séduisant et torturé, en un phénomène de mode que s’arrachent les femmes et en un sex symbol pour qui le sang n’est plus un moyen de parvenir à l’extase », relève Sophie Dabat dans son ouvrage consacré à la bit-lit (Bit Lit, l’amour des vampires aux éditions les Moutons électriques). Exit les châteaux des Carpates, en plein cœur de la Pennsylvanie,  place aux buildings de Manhattan.  Exit le vampire qui vit la nuit et se retranche le jour, à l’abri des regards de tous. Ils vivent  désormais parmi nous, en plein jour et s’acclimatent au soleil. Ils ont remisé cercueils et capes noires doublées de rouge et ne craignent plus les gousses d’ail… Les jeunes filles en sont folles et rêvent de morsures en guise de baisers. A la suite de la saga Twilight (qui représente tout de même plus de 100 millions d’exemplaires vendus dans le monde), les éditeurs  (voir nos interviews) ont développé un genre nouveau, la «bit-lit», des romances mettant en scène des vampires et des  humains.  Mais que possède donc la bit-lit pour que les lectrices en soient devenues accro et à crocs ? 
 
Une littérature qui a du mordant romantique : Le déclencheur Twilight
 
La bit-lit s’articule autour de trois ingrédients : le fantastique, le romantisme avec au cœur une héroïne et l’humanisation du vampire. Autant d’éléments qui favorisent et facilitent l’identification des lecteurs et surtout des lectrices aux personnages.
 
Ce genre  littéraire fait se côtoyer un certain réalisme (décors, paysages, cours, métiers),  avec des créatures fantastiques, tout un bestiaire où cohabitent vampires, loups garous, démons, métamorphes.  « L’univers de la bit-lit a ceci de particulier qu’il mélange deux mondes différents : notre monde moderne, technologique et réel et celui des contes de fées »,  explique Sophie Dabat.
 
Sans aucun doute l’essence même de la bit-lit réside dans la relation romantique qui se noue entre un humain et l’une de ces créatures, souvent un vampire. Cette composante romantique constitue le motif de la bit-lit au sens linguistique du terme, à savoir qu’il s’agit d’un invariant.  Une dose de romantisme, une pincée de fantastique, le tout saupoudré d’aventures adolescentes, telle se présente la bit-lit.  Les principaux éditeurs reconnaissent que les éléments de l’intrigue consacrée à la relation romantique constituent entre 40 à 60 % du récit. Parmi les précurseurs de ce genre figurent Stephenie Meyer et sa série Twilight,  Patricia Briggs et Laurell K Hamilton avec son cycle Anita Blake. Des femmes auteurs essentiels qui ont impulsé la dynamique bit-lit. (voir l’interview d’Adrien Party)
 
« Si la bit-lit a pour cadre notre quotidien moderne et technologique avec comme piment un univers surnaturel peuplé de créatures étranges, sa principale caractéristique est d’abord la romance ainsi que la référence esthétique », poursuit Sophie Dabat. Selon cette dernière, la bit-lit se nourrit  des romans gothiques du XVIIe siècle, à travers des codes vestimentaires alliant le raffinement, l’élégance et les matières soyeuses. Mais elle puise également aux sources de la chick lit, littéralement littérature pour poulettes, c'est-à-dire des jeunes femmes entre 25 et 30 ans, qui met en scène les aventures sentimentales des héroïnes un peu déboussolées, souvent sur le ton de l’humour : c’est le cas du journal de Bridgets Jones. La bit-lit est une savante alchimie de chick lit, de romans gothiques, de fantasy... Ajoutez à cela l’imagination des auteurs… et vous voilà plongés dans l’univers bit-lit. 
 
Selon l’écrivain Edouard Brasey, spécialiste des fées et des vampires,  les récits vampiriques ne sont donc pas récents  «Ces récits étaient déjà très populaires dans l’Angleterre victorienne», explique-t-il. «Le premier en date, Varney  le vampire, était un roman-feuilleton qui circulait beaucoup au XIXe siècle. Il a été écrit en 1847 par un anonyme et a inspiré Bram Stoker pour son Dracula. Le vampire moderne naît, lui, en 1976, avec Anne Rice. Grace à ses livres, comme Entretien avec un vampire – également adapté au cinéma –, cet être fantastique devient objet de désir.
 
 La bit-lit se spécialise dans des récits trop souvent stéréotypés dans lesquels on retrouve immanquablement des ingrédients de base: un ou une vampire, généralement romantique et sexy, poursuivi par une malédiction ancestrale, une histoire d'amour avec une ou un humain, entravée par l'interdit du sang et de la morsure, cette histoire d'amour trouvant généralement sa source dans une époque ancienne, les protagonistes étant plus ou moins la réincarnation de amants du passé ayant vécu une aventure tragique. A cela on peut ajouter un décor adolescent, à savoir un collège américain où le vampire ado a du mal à se faire accepter. "Twillight" utilise toutes ces ficelles, que l'on retrouve dans d'innombrables romans ou séries, tels que "Vampire Diaries". En fait, rien de bien nouveau sous le soleil... ni sous la lune. Il s'agit d'une juxtaposition du "Dracula" de Bram Stoker, dans la version cinématographique de Coppola, avec un zeste de "Love story" ou "Roméo et Juliette" (les amours adolescentes contrariées") et un décor inspiré des séries B américaines consacrées aux collégiens », poursuit Edouard Brasey.
 
Autrement dit la bit-lit renouvelle le genre vampirique et surprend à travers la nouvelle vision du vampire. Ce dernier se présente comme un Roméo des Temps Modernes, séduisant et raffiné.
 
Vers une humanisation et un raffinement du vampire
 
Contrairement à l’image morbide traditionnelle du vampire telle qu’elle a été véhiculée par Bram Stoker, le vampire de bit-lit se présente sous un jour plus avenant. Ce genre littéraire réinsuffle un sens nouveau au vampire. Exit le vampire, crocs en avant prêt à bondir sur sa proie pour lui sucer le sang.  Le vampire prédateur s’est métamorphosé en une créature raffinée et élégante. Première innovation du genre : le vampire ne boit pas de sang humain, éprouve des sentiments et des émotions, se fait plus romantique. Stephenie Meyer fait des Cullen des vampires végétariens, qui ne se nourrissent que de sang d’animaux. Anne Rice dans son Entretien avec un vampire était déjà précurseur de cette humanisation du vampire. Le narrateur Louis n’éprouve aucun plaisir à tuer pour se nourrir.

La bit-lit fait donc apparaître une nouvelle génération de vampires, plus proches de nous. Dans ce contexte, se produit un phénomène d’identification. Certes le vampire fascine toujours autant, mais cette fascination n’est pas engendrée par l’effroi ou la terreur. Le personnage d’Edward Cullen, le jeune vampire camarade de classe de Bella réunit tous les ingrédients pour captiver les lectrices : le mystère, une beauté livide, un regard envoûtant, aux prunelles qui changent de couleur, son charisme, son côté sauveur et prince charmant, il passe son temps à sauver Bella. Autant de caractéristiques qui éblouissent la jeune héroïne...
 
Si la bit-lit connaît un tel succès auprès des lecteurs, c’est aussi parce qu’elle répond aux attentes de ceux-ci.  Comme le constate Sophie Dabat, « la bit-lit, loin d’être une caricature simpliste, se révèle être un véritable reflet de notre société » En effet l’urban fantasy reste un genre ancré dans le monde moderne. A travers des aventures extraordinaires, les personnages se trouvent confrontés à des problèmes actuels et des choix difficiles. La thématique de la différence et de son acceptation, l’acceptation de l’autre, de l’inconnu abordée à travers la perception des créatures magiques est au centre de ce genre. Finalement la bit-lit traite de problèmes humains qui nous concernent tous.
 
Des motivations archétypales ? 

Faut-il voir dans ce réveil du vampire accommodé à la sauce romantique une simple passade de jeune fille en quête d’amour ? La bit-lit fait appel à des ressorts inconscients beaucoup plus profonds qu’ils n’y paraissent au premier abord. 
 
 Un être de métamorphoses

« Le vampire est éternel parce qu’il est très fort symboliquement et psychologiquement. Sans revenir sur tout ce qu’on sait - la symbolique, l’immortalité, la symbolique érotique. Sans mauvais jeu de mots, à chaque fois qu’on croit qu’il est mort et enterré, hop ! Il revient. », commente Stéphane Marsan, l’éditeur Bragelonne / Milady. Selon ce dernier, la pérennité du vampire s’explique  par ses pouvoirs de métamorphose. C'est-à-dire du vampire effrayant par Bram Stoker, avec tout le sous-texte économique et social, le vampire qui présente la fin d’un monde - de l’Ancien Monde et de l’aristocratie —, le vampire qui est rebelle, punk, à la Poppy Z. Brite, et aujourd’hui le vampire super sexy, voire même le vampire tout gentil aux dents élimées à la Edward… C’est dire les multiples apparences du vampire.
« C’est assez étonnant que le vampire se prête à autant d’évolutions et suscite autant d’intérêt. Il est loin d’être rangé dans le placard des figures gothiques complètement has been qui fleurent bon la naphtaline et la poussière, comme le Golem ou la Momie… », insiste-t-il.  Livres, BD, jeux vidéos, la bit-lit est partout. Qu’il soit star du petit écran ou qu’il bulle, le vampire et le cortège de créatures fantastiques qui l’accompagne trouvent les moyens d’assurer sa survie. Etonnant, extraordinaire... pas tant que cela en fin de compte. Peut-être faut-il expliquer cet essor de la bit-lit en fouillant du côté de notre inconscient 
 
Le vampire, un motif mythologique
 
 « Tout comme le polar, la bit-lit est une littérature de genre, populaire, accessible à tous. De la véritable fiction qui permet de se projeter dans d’autres univers… Pourquoi les vampires ? Le symbole de l’interdit, de l’éternité, de l’amour impossible : un thème qui cristallise aujourd’hui peut-être les angoisses et espoirs de toute une génération de lecteurs qui se retrouvent finalement dans ces vampires qui, malgré leur puissance, ne sont pas libres d’aimer, de vivre comme ils le souhaitent… », souligne Cécile Benhamou, l’attachée de presse de la collection Hachette Black Moon. Même impression pour Florence Lottin, directrice de collection des éditions J’ai lu : « Incontestablement, le vampire est le personnage romanesque par excellence. Sa jeunesse éternelle, sa force, sa puissance, en font un sujet hypnotique. Associé à l’imaginaire d’auteurs talentueux, il trouve un large écho chez le lecteur. Les créatures fantastiques également. Un univers de pouvoirs et de magie enflamme l’imagination ! »
 
Le vampire apparaît donc comme un motif mythologique tel que Jung le définit dans la psychologie de l’inconscient. « Dans chaque être individuel existent, outre les réminiscences personnelles, de grandes images originelles. Ces images archétypales appartiennent à l’inconscient ». Ce qui explique que de siècle en siècle, le vampire se fasse protéïforme et  réapparaisse à travers des visages différents « Dans la mesure où par notre inconscient, nous participons à la psyché historique et collective, nous vivons de façon naturelle et inconsciente dans un monde de loups garous, vampires, démons et magiciens. Ce sont des représentations qui ont inspiré de tout temps les émotions les plus intenses à tout le genre humain », conclut Jung.  La bit-lit n’est au fond qu’une des multiples ruses des vampires pour continuer à exister dans l’imaginaire.
  
Chloé Chamouton

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