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Elecboy - Les secrets d'écriture de Jaouen Salaün
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Elecboy - Les secrets d'écriture de Jaouen Salaün

A l'occasion de la parution d'Elecboy, Jaouen Salaün revient sur la création de cet album aux éditions Dargaud.

Actusf : Comment est née l'idée d'Elecboy ? Qu'est-ce que vous aviez envie de faire avec cette histoire ?

Jaouen Salaün : Elecboy est né il y a longtemps. En décembre 2002 exactement. J’ai commencé à imaginer un univers de fiction autour d’images personnelles, d’obsessions, de névroses…
Je suis quelqu’un d’assez anxieux, du moins je m’interroge beaucoup sur la capacité de notre humanité à traverser le temps. Notre civilisation occidentale se référence à quelques millénaires de socialisation, quatre ou cinq tout au plus. Et tout juste deux pour notre héritage Judéo-Chrétien. Rien que cette notion du temps m’a toujours sidérée. On apprend à l’école que la planète Terre a plus de quatre milliards d’années. La plupart des humains arrivent à vivre leur vie sans se poser de questions. Personnellement j’ai lutté pour intégrer ce monde, pour y trouver ma place. Autant vous dire que faire un prêt bancaire pour acheter une maison a été pour moi un grand pas vers l’absurdie.(Mais je ne le regrette pas soyons honnête)
Depuis ma plus jeune enfance, j’ai toujours vécu mon quotidien avec un décalage de perception, je ne me suis jamais senti dans mon époque. Il m’a fallut beaucoup de temps pour m’épanouir et apporter au monde une vision personnelle qui ait un intérêt collectif, avec un message clair. Je dis cela et en même temps j’ai complètement conscience qu’à l’issue de ce premier tome, nombre de lecteurs doivent se demander où je veux bien les emmener... ?

Actusf : C'est un monde post-apo. Avez-vous eu des influences graphiques (ou scénaristiques) pour créer votre univers .?

Jaouen Salaün : Indéniablement oui, on peut les citer aisément je pense. Madmax 2 a été un film choc dans ma vie, je l’ai découvert très jeune (neuf ans). Ce jour là, Miller a semé en moi le doute. Le doute autour du désir et de la jouissance. J’ai réfréné très vite dans ma vie, mes envies de consommation, mes désirs, mes excès… Sans doute lié aussi au fait que je n’avais pas beaucoup de moyen pendant longtemps. En vieillissant je m’embourgeoise un peu et suis moins hermétique au plaisir et à la possession. Mais je suis pour le partage, posséder juste pour soi n’a aucun intérêt dans l’absolu.
Puis il y a eu le Roi et l’oiseau qui est pour moi une dessin animé Post Apo dans le fond, du moins la fin. Puis les films de Carpenter, notamment New York 1997. Puis il y a eu Dune, les deux premiers romans, ils m’ont retourné la tête. Je les ai lus sur la côte Basque face à l’océan en 2003 pendant la canicule. Une fin de journée, j’ai attendu l’orage, venant de l’Ouest, en lisant un passage d’anthologie. C’est le genre de souvenir qui vous marque à vie pour créer. Puis il y eu La Route de McCarthy, qui m’a ébranlé, étant tout juste papa. Il y aussi des œuvres majeures comme 2001, Blade Runner et tous les western qui ont fait naître en moi l’envie de raconter des univers.

Actusf : On est dans le futur, en 2122 quelque part en Amérique du Nord, avec une communauté qui essaie de survivre à des conditions très difficiles. Vous avez choisi de raconter l'histoire du point de vue d'un ado et pas d'adulte ? Pour quelle raison choisir la "jeunesse" dans cet univers qui semble sans futur ?

Jaouen Salaün : Je pense que mon point de vue est toujours celui d’un ado. Pas, que je refuse de vieillir, mais parce que je pense qu’à l’adolescence, malgré notre limite intellectuelle et notre inexpérience, nous avons une perception beaucoup plus viscérale de la vie. Notre vie n’est pas embuée par des soucis de travail, d’argent, d’éducation, de politique, d’éthique etc… On est juste soi-même. On est lié à la matière et notre sphère de perception est beaucoup moins hermétique aux stimuli extérieurs. A cet âge, tout peut vous chambouler car vos sens sont en éveil. Vieillir c’est explorer son monde intérieur, mais en quelque sorte échafauder autour de soi des remparts de protection. J’adore vieillir et je pense que dans le fond j’ai toujours été vieux. Je vis dans mes créations une vie d’adolescent que je n’ai pas assez connue.

Actusf : On suit, notamment, le jeune Joshua, qui a quelques soucis avec les garçons de son âge, notamment un qui le harcèle violemment. Comment pourriez-vous nous présenter Joshua ? Comment vous le voyez vous ?

Jaouen Salaün : Joshua est une projection de ce que j’ai pu âtre adolescent. Quelqu’un d’assez marginal et introverti à la fois. La violence à laquelle il est confronté, a été la mienne. C’est une façon pour moi de parler de cette phase de ma vie, et de ne pas reproduire la violence dont j’ai été la victime.
Joshua n’est pas une pure projection de moi-même, il y a des traits personnels mais aussi beaucoup de création. Il est en lutte intérieurement. Il ne connaît pas sa mère et de ce fait n’arrive pas à se situer. Dans un monde agonisant, je pars du postulat que la souche familiale est la base. Lorsqu’elle est instable, il est vraiment difficile d’exister sereinement. Mes parents se sont séparés lorsque j’avais sept ans. J’ai complètement conscience qu’aujourd’hui ça n’a rien d’exceptionnel, mais ça a été le choc de ma vie. Depuis je tourne autour.

Actusf : Graphiquement, c'est très fort. Qu'aviez-vous envie de faire du côté des dessins ?

Jaouen Salaün : L’intention était, et est toujours, de raconter mes visions de la manière la plus réaliste. J’ai toujours eu une approche cinématographique de mon univers. Je pioche dans ce film des images que je redessine. Mais j’aime la bande dessinée, du moins la narration avec ses ellipses et autres particularités propres. Finalement je développe un média qui est une sorte d’entre deux.

Actusf : Vous êtes à la fois scénariste et dessinateur sur cet album, après avoir notamment collaboré avec Christophe Bec sur Carthago Adventures et Eternum. Comment avez-vous travaillé seul à bord ?

Jaouen Salaün : Très simplement je dirais. Christophe est un professionnel du scénario. Il produit beaucoup, il a ses trucs, ses ficelles, ce qui lui permet d’écrire vite. Pour ma part, ma production est beaucoup plus lente. Elecboy a été très long à accoucher car il fait une synthèse de vingt années de travail. Mais en revanche je dessine très vite. Le scénario se révèle petit à petit. Je sais où je vais mais je laisse aussi le projet muter en fonction des synchronicités de ma vie.
Concrètement je dessine plus vite que j’écris. Je découpe mes albums au dessin, c’est lui qui extrait ce qui restera de l’histoire. Je pourrais passer une vie à dessiner ce projet que je n’irais pas au bout de ce que je veux en dire, je préfère donc le réaliser d’un seul jet avec une espèce de fougue et de premier jet. Je l’ai assez fantasmé, il va prendre une forme qui restera la seule. Je pourrai ainsi passer à une autre histoire, j’ai pas mal d’autres projets en solo.

Actusf : Qu'est-ce que vous pouvez nous dire sur le tome 2 à venir ? Que pourriez-vous déjà nous dévoiler ?

Jaouen Salaün : Il sera plus sombre. Il clos pour moi le premier cycle des deux premiers tomes, qui se concentrent sur les personnages et leur psychologie. Les tomes trois et quatre seront plus épiques, peut-être plus proche de ce qu’attendent les lecteurs de ce genre. Le tome deux sortira en Octobre 2021 et les suivants tous les huit/dix mois en fonction des plannings de sorties j’imagine.

Propos recueillis par Jérôme Vincent.

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