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Entrevue choc avec un vampire - Les secrets d'écriture de Morgane Caussarieu et Vincent Tassy
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Entrevue choc avec un vampire - Les secrets d'écriture de Morgane Caussarieu et Vincent Tassy

A l'occasion de la sortie prochaine d'Entrevue choc avec un vampire aux éditions Actusf, Morgane Caussarieu et Vincent Tassy reviennent sur l'écriture de ce roman à quatre mains.

Actusf : Morgane Caussarieu, vous avez publié chez ActuSF plusieurs de vos romans et nouvelles vampiriques ; Vincent Tassy, c’est votre première publication chez ActuSF. Pouvez-vous vous présenter pour les lecteurs et les lectrices qui ne connaissent pas encore votre travail ?

Vincent Tassy : J’ai commencé à publier des nouvelles au début des années 2010, dans lesquelles la mélancolie et les vampires avaient déjà une bonne place. Mes cinq romans parus avant celui-ci ont tous en commun des thèmes comme la tristesse, la différence, les identités queer et la violence. Apostasie et Comment le dire à la nuit (respectivement parus au Chat Noir en 2016 et 2018 en grand format puis chez Mnémos en 2018 et Au diable vauvert en 2022 au format poche) sont deux romans vampiriques à la fois glacés et grotesques, qui contenaient peut-être déjà en eux le principe de la parodie : aller trop loin, s’engouffrer dans les limites, mettre en crise le réel et le langage. Entrevue choc avec un vampire explore une autre forme de radicalité dans ma façon d’écrire les vampires, de me réapproprier ce que j’ai pu lire dans le genre depuis ma jeunesse : cette fois, il s’agit de démystification. Je ne peux affirmer n’avoir jamais rien écrit d’aussi stupide, mais ça n’a sans doute jamais été plus manifeste. Je laisse maintenant la parole à Morgane : elle adore parler d’elle et de son œuvre aussi jubilatoire qu’opportuniste et peu inventive. Donnez-lui une chance en acceptant, pour une fois, de séparer la femme de l’artiste.

Morgane Caussarieu : Alors contrairement à Vincent, qui n’a que cinq petits livres à son actif, j’en ai déjà écrit une dizaine. J’ai commencé avec Dans les veines (Mnémos, 2012), un roman de vampire très sombre et violent, plus que son Comment le dire à la nuit d’ailleurs, et le début de ma saga vampirique, continuée avec Je suis ton ombre (Mnémos, 2014), puis Rouge Toxic et Venom (ActuSF, 2018 & 2019). Je suis plutôt spécialisée dans le fantastique et l’horreur pétri de culture underground, souvent teintés d’humour noir. Il m’est arrivé de faire des pas de coté en jeunesse et littérature générale. Mon avant-dernier roman, Vertèbres au Diable vauvert (2021) est une histoire de loup-garou queer dans les années 90, qui a reçu le prix Masterton. J’ai écrit aussi un essai, Vampire et Bayous (Mnémos, 2013), dans lequel j’ai pas mal analysé l’œuvre d’Anne Rice et son rapport à la Louisiane, ce qui clairement, était un plus pour le projet dont on va parler.

Actusf : Vous avez écrit à deux Entrevue choc avec un vampire, une parodie déjantée d’Entretien avec un vampire. D’où vous est venue l’idée ?

Vincent Tassy : Le 11 décembre 2021, Anne Rice est morte. La nouvelle est tombée le lendemain et j’ai écrit à Morgane pour qu’on partage là-dessus : elle est l’une de nos influences majeures. Au fil de la discussion, Morgane a évoqué l’idée d’écrire ensemble une parodie. J’ai dit oui tout de suite. Cette disparition nous affectait, et nous avions envie de rendre hommage à une autrice à qui nous avions la sensation de « tout devoir », d’une certaine façon. Morgane et moi ayant le même humour (le mien étant certes un peu supérieur) et de nombreuses références communes dans ce domaine, il nous a semblé naturel d’envisager cet hommage sous la forme d’une parodie – c’est toujours une sorte de chant du cygne, la parodie, l’ultime hommage à une forme particulièrement singulière et affirmée. Au cours de cette première conversation, nous avons déjà commencé à improviser des phrases singeant les tics d’Anne Rice que nous aimons tant, échanger des idées – par exemple, qu’un quart entier du livre consiste à décrire du mobilier ou des vêtements, idée non retenue en fin de compte, je vous rassure –, clarifier tout ce qu’il y a de kitsch dans le vampire ricien, esquisser un plan d’intrigue. Dix jours plus tard, Morgane, fidèle à sa manie de vouloir tout contrôler, proposait une première version du début, et c’était parti !

Morgane Caussarieu : Alors, pour vous donner une réponse plus honnête que mon partenaire d’écriture préféré (car il est le seul avec qui j’ai tenté ce genre d’expérience), ce qui s’est passé, c’est qu’on s’est rendu compte assez tôt que la série AMC allait marcher vu les moyens mis en place, et on s’est dit « autant surfer sur la vague et capitaliser sur son succès ». Ce qui nous intéresse vraiment, c’est l’argent. Enfin, dans le cas de Vincent, pas que, même s’il adore l’argent : il s’est dit que collaborer avec moi serait sa seule chance d’enfin remporter un premier prix littéraire !

Vincent Tassy : Bien mal acquis ne profite jamais.

Actusf : Qu’est-ce que vous avez préféré dans cette aventure à quatre mains ?

Vincent Tassy : Les miennes. Et sinon, moins sérieusement : l’immersion à deux dans un projet, a fortiori humoristique. À partir du plan de base, on avançait par épisodes. On se répartissait des passages à écrire, on avançait chacun de notre côté quand on avait le temps, et on envoyait à l’autre au fur et à mesure. Le plus génial, c’était le moment où l’autre recevait un nouveau passage tout juste écrit et qu’on attendait ses réactions. Moi, je me sentais comme Criquette quand elle attend l’avis de Brenda sur la publicité consacrée à son parfum (1 min 14 s). Bref, partager ces mois intenses d’écriture avec Morgane n’a fait que renforcer notre amitié et me confirmer sa toxicité. Et j’espère bien qu’on ne va pas en rester là (j’attends les suites de mon dépôt de plainte).

Morgane Caussarieu : Ce que j’ai préféré, c’était couper des bouts de phrases de Vincent ! Tous les deux, on s’est retrouvé dans une dynamique Lestat/Louis un peu SM tellement on vivait notre propre projet. Moi, j’imposais mes points de vue en faisant du chantage affectif et de la rétention d’informations (car à sa différence, je connais l’œuvre entière de Rice sur le bout des doigts), tandis que Vincent disait oui à tout par devant, tout en rajoutant des phrases en douce en prenant un plaisir véritable à se complaire dans cette situation. Pour sûr, il lui est arrivé de brûler des pages du manuscrit à chaque fois qu’on terminait une partie.

Vincent Tassy : Les « phrases rajoutées en douce » sont toujours là. Morgane est persuadée de les avoir écrites, c’est très touchant. Je la laisse y croire, sinon, elle les aurait supprimées rageusement en prétextant que « ça casse le rythme ». Aujourd’hui, ce sont ses préférées.

Actusf : Quel est le personnage que vous avez préféré reprendre et parodier ?

Vincent Tassy : Louis, car j’adore les personnages excessifs, narcissiques, qui se lamentent tout le temps sur leur sort et prennent grand soin de leurs cheveux. J’ai aussi adoré travailler sur le personnage de la maman de Lestat, qui n’a plus grand-chose à voir avec la sublime Gabrielle, mais qui vaut certainement le détour… À cela, sans trop en dire, j’ajouterais la « subtile » parodie d’Armand que nous avons concoctée, et qui est tout à fait particulière, à mon avis.

Morgane Caussarieu : Sans hésitation, Lestat. Lestat a toujours été mon vampire chouchou parce qu’il est flamboyant, charismatique, rebelle, bien sapé, méga hot, etc., mais aussi parce que c’est une grosse bitch bourrée de défauts, des défauts qui font son charme, mais bon un peu chiant quand même pour son entourage. Il est centré sur lui-même, toujours en manque d’attention, on le croirait parfois un peu érotomane à le lire, il ferait passer Regina George pour quelqu’un d’empathique et de profond, et souvent, il se comporte comme un gamin de cinq ans. Le pire, c’est qu’en plus de 200 ans, il n’a jamais pensé à consulter et analyser d’où vient son problème, il se complait dans son état mental, il est super fier de lui, il n’a pas l’intention de changer quoi que ce soit. C’était du pain bénit pour une parodie, on n’a pas eu besoin de rajouter grand-chose en fait, tout était déjà là, en lisant un peu attentivement. On a juste forcé le trait.

Actusf : C’est quoi, votre scène préférée ? Et celle que les lecteurs et lectrices vont préférer à votre avis ?

Vincent Tassy : J’en aime beaucoup ! À brûle-pourpoint, je dirais la célèbre scène du Théâtre des Vampires, mais il y a aussi une certaine traversée en bateau qui a des chances de piquer l’intérêt des plus romantiques. Je me tais pour que la surprise reste entière, de même que le roman entier est à la fois exceptionnel et indispensable. Une vraie promenade revigorante en terres vampiriques !

Morgane Caussarieu : Mes scènes préférées sont bien sûr celles que j’ai écrites, et c’est certainement aussi celles que les lecteurs vont préférer. J’adore particulièrement le passage où nos Louis et Claudia vont dans les Carpates pour rendre visite à Dracula, une petite référence à ces quelques chapitres au milieu du livre Entretien avec un vampire où les Louis et Claudia originaux visitent l’Europe de l’Est pour trouver leurs semblables et rencontrent un zombie au lieu du Comte. Dans notre parodie, ils sont plus chanceux. Enfin si on veut. Le comte Dracula a un peu perdu de sa superbe…

Actusf : Qu’est-ce que vous aimez tant chez le vampire qui vous incite à l’explorer sous toutes ses facettes (même humoristiques, comme avec Entrevue choc avec un vampire) ?

Vincent Tassy : Les vampires sont beaux, immortels, ambigus et souvent extrêmement couillons. Ils existent depuis toujours, s’adaptent à toutes les formes et reflètent de façon complexe l’insaisissabilité de notre nature. Ils concentrent en eux tout ce qui fait notre humanité, notamment l’incapacité à se bonifier avec le temps. J’aime leur plasticité, leur façon de parler à chacun de façon intime. Et puisque ma vision du vampire a été très tôt conditionnée par Anne Rice, j’avoue que j’admire aussi leur mise en plis toujours impeccable et l’irréprochabilité de leur skincare routine.

Morgane Caussarieu : Oh, je n’aime pas les vampires, c’est vraiment un truc d’ado attardé. Juste j’essaye de les placer dans mes livres quand je sens qu’ils sont un peu à la mode. Ça avait pas mal marché pour Dans les veines à l’époque de Twilight, on va essayer de refaire pareil maintenant qu’ils reviennent sur le devant de la scène en force.

Zoé Laboret

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