- le  
Eurydice déchaînée - Les secrets d'écriture de Melchior Ascaride
Commenter

Eurydice déchaînée - Les secrets d'écriture de Melchior Ascaride

A l'occasion de la parution d'Eurydice déchaînée, Melchior Ascaride, auteur et graphiste, revient sur la création de cet ouvrage publié aux Moutons Électriques.

Actusf : Eurydice déchaînée est votre premier roman en solo (si je ne me trompe pas). Comment est-il né ? Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Melchior Ascaride : Tout à fait, c’est mon tout premier. Comment est-il né ? J’imagine que comme les acteurs qui passent de l’autre côté de la caméra, les rôlistes de l’autre côté de l’écran… j’avais envie de m’essayer moi aussi à raconter des histoires. Après trois romans graphiques en collaboration, j’avais envie de voir si j’étais moi aussi capable d’écrire une fiction cohérente tout seul. Non que les collaborations m’ennuient (bien au contraire), mais (attention, phrase cliché dans 3, 2, 1) j’aime raconter des histoires et il me fallait savoir si j’étais capable de les faire passer de ma tête au papier. Et comme les Moutons électriques m’ont dit « Ben vas-y, avec plaisir », je me suis lancé.
J’en avais une qui traînait depuis longtemps, et c’était l’occasion pour moi de la sortir une bonne fois pour toutes. Mais j’ai dû me rendre à l’évidence, c’était trop long, trop compliqué… Bref, cette histoire me tenait à cœur mais était le classique projet trop gros pour une première. Donc il m’a fallut rétropédaler et trouver autre chose. Quelque chose où je serais plus à l’aise. Et quoi de mieux que les mythes grecs quand on a été biberonné à Jason et les Argonautes et Le Choc des Titans ?
De là est née la volonté de raconter une histoire dans une Grèce antique mythologique, un peu remaniée parce qu’après tout, chaque mythe possède tellement de versions qu’on peut en faire tout et n’importe quoi. C’est comme ça que j’ai pu raconter l’histoire du fantôme d’une dryade qui va tout faire pour s’extraire des Enfers et se venger.

Actusf : Qu’est-ce qui vous a donné envie de réécrire le mythe d’Orphée ?

Melchior Ascaride : Alors que j’avais d’intenses et profondes réflexions sous ma douche sur le fait que les dieux et les héros étaient passablement tous de gros connards, je me suis tout à coup demandé, du shampoing plein les yeux, si Orphée n’en était pas un lui-même. Quelque part, dans une version de son histoire. Est-ce qu’il n’aurait pas volontairement laissé Eurydice aux Enfers, plutôt que d’être victime de son propre empressement à retrouver son aimée ? Mais tout ce que j’ai pu trouver, c’est Platon qui raconte, pour vous la faire courte, que s’il a échoué c’est parce qu’il était une c*uille molle de saltimbanque et qu’un vrai bonhomme qui a fait ses classes serait resté en bas avec elle. Autre époque autres mœurs, d’accord, m’enfin le Platon niveau nez de bœuf il se posait là. J’avais donc champ libre pour faire d’Orphée ce que je voulais. Quant à Eurydice… Comme bien des femmes dans les mythes grecs, c’est un personnage fonction. Elle nait, se marie, meurt le jour de ses noces et croupit dans l’au-delà sans vraiment avoir vécu. Donc bon, là, je pouvais tisser vraiment n’importe quoi comme histoire.
Et puis ça m’intéressait de raconter l’autre versant de l’histoire. On sait ce qui arrive à Orphée, mais Eurydice ? Qu’est-ce qui lui arrive après l’histoire que tout le monde connaît ? En plus je pouvais tout situer dans l’Hadès et donc combiner deux de mes sujets favoris : les mythes grecs et les mondes souterrains. Banco.

Actusf : Comment avez-vous construit le personnage d’Eurydice ?

Melchior Ascaride : Comme dit juste avant, Eurydice n’a pas d’histoire. Et comme mon point de départ c’est qu’Orphée l’a volontairement laissée aux Enfers, j’ai voulu en faire un personnage plein de rage. Elle n’a pas vécu, s’est faite embobiner par un beau parleur et voilà qu’elle meurt. On lui dit « Mais peut-être que tu vas sortir ! ». Et en fait non. Tout ça à cause du beau parleur en question. Tout ça dans un monde d’une cruelle injustice envers les femmes (vraiment, j’adore les mythes grecs, je les trouve fascinant, mais la vache que c’est misogyne tout ça !).
Et comme elle est déjà morte, j’ai pu m’essayer à quelque chose que je trouve délicat mais fascinant : puisque techniquement mon personnage ne peut pas mourir, qu’est-ce que je raconte comme enjeux et embûches pour quand même créer de la tension ?

Actusf : Après Tout au milieu du monde et Ce qui vient la nuit, vous êtes en solo sur Eurydice déchaînée. Avez-vous travaillé de la même façon ? Quelles sont les difficultés, mais aussi les joies de créer ce type d’ouvrage ?

Melchior Ascaride : Le processus de travail a été le même : qu’est-ce qui est écrit, qu’est-ce qui est montré ? Sauf que là, j’étais seul à décider.
La première difficulté de l’ouvrage, c’est le format. La Bibliothèque Dessinée, ce sont des romans courts donc on n’a pas la place de se perdre en digressions, il y a des développement (de personnages ou du récit) qu’il faut abandonner faute de place pour se consacrer à l’essentiel.
Et paradoxalement c’est aussi toute la joie de ces livres. Comme l’image vient en support du texte, il y a des passages que l’on peut condenser en une image (parfait pour les ellipses), des détails qui prendraient de la place dans le texte qui peuvent être montrés visuellement pour être tout de même présents.
Une fois que l’on a son histoire, arrive le comment. Comment je raconte tel passage, par le texte ou l’image ? Si ce sont les deux, qu’est-ce que j’alloue à quelle technique ? Qu’est-ce que je fais avec la maquette du livre pour donner un surplus de sens ou d’émotion ? Qu’est-ce que je peux expérimenté que je n’ai pas vu graphiquement en littérature ? Par exemple je suis content d’avoir pu expérimenter un texte qui glitche. C’est anachronique, et pourtant raccord avec la situation.
Pour résumer, le difficulté (outre celle de simplement écrire une histoire qui tient la route avec un style décent) est le nombre de signes qui contraignent l’histoire. Les joies, c’est tout le reste : mélanger textes et images, grappiller des mécaniques narratives issues d’autres supports, travailler à plusieurs, expérimenter avec la maquette…

Actusf : De quelle manière avez-vous composé les illustrations ? Pourquoi de la bichromie ? Noir et bleu qui plus est ?

Melchior Ascaride : Après deux ouvrages faits à la peinture, j’avais envie de changer de cap, essayer autre chose et voguer vers ce vers quoi la Bibliothèque Dessinée tend : faire le lien entre littérature et bande-dessinée (Bibliothèque Dessinée, les initiales, vous l’avez chez vous ? un indice sous votre écran).
Donc j’ai acheté environ dix mille feutres, stylos, et tout ce qui avait l’air chouette pour dessiner, et j’ai tout fait sur papier pour revenir à du manuel quand, sur mes couvertures, je travaille presque exclusivement à l’ordinateur.
La bichromie est une contrainte de la collection, elle fait partie de son identité. Tous les ouvrages de la Bibliothèque Dessinée sont en bichromie, et c’est pas parce que je suis tout seul sur ce livre que j’ai droit à un traitement de faveur.
Le bleu s’est imposé tout seul. Il n’avait pas encore été utilisé, et ma première histoire (celle abandonnée) était une histoire de SF que je voulais bleue. Quand Eurydice a débarqué dans mon esprit en hurlant, j’ai conservé le bleu. Toute l’histoire se déroule dans les Enfers grecs, et ce sont des Enfers froids. Tout y est sombre, et quoi de mieux que le bleu pour exprimer l’obscurité ?
Oui, le noir. Vous avez raison. Mais comme le noir est imposé, je pouvais pas faire noir ET noir.

Actusf : Vous êtes graphiste, illustrateur, co-directeur de la maison d’édition Les Saisons de l’étrange et auteur. Comment organisez-vous votre temps ? Est-ce que vos différentes casquettes vous inspire en tant qu’auteur ?

Melchior Ascaride : Comment j’organise mon temps ? Du mieux possible j’imagine. A force d’avoir des casquettes je vais avoir besoin de nouvelles têtes. Mais si je peux des fois râler, jamais je ne me plaindrai. Je fais des couvertures de livres, j’illustre des livres, je publie des livres, je fais des jaquettes de DVD, y a des projets de jeu de rôle qui se pointent… C’est ma vie de rêve. Si je remonte le temps pour parler à mon moi adolescent et lui raconter ce que je vais devenir il me dira certainement « Tu mens sal*perie de doppelganger ! »
Je ne vais pas dire que tout ceci m’inspire en tant qu’auteur. Je suis encore un débutant. Donc je pourrai répondre si j’ai plusieurs ouvrages à mon actif un jour.

Actusf : Quels sont vos projets pour la suite ? Vos envies ? Une autre plongée dans la mythologie est-elle prévue ?

Melchior Ascaride : Eh bien il y a les nouveaux romans des Saisons de l’étrange à travailler (ça j’ai hâte parce qu’ils vont tous être très bons, je peux l’assurer) ; puis un énorme beau-livre sur les super-héros chez les Moutons dont je vais assurer la partie graphique (surveillez le 6 avril).
Puis sont dans les tuyaux un roman graphique avec Nicolas Texier sur un personnage secondaire de sa trilogie Monts et Merveilles (pour vous qui l’avez lu, on va explorer un peu l’histoire de Nicotine, la fée des clopes) ; un dans le futur avec Nelly Chadour (pour celles et ceux qui ont lu Espérer le soleil, pensez Russie et vampire). Puis, si Eurydice Déchaînée séduit, je rempile avec plaisir. Cette fois, pas de mythologie à proprement parler, mais ce sera du noir, du vert, un homme seul dans une maison vide et beaucoup de ronces.

Et bien entendu, encore une fois un très grand merci à ActuSF !

à lire aussi

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?