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Faites demi-tour dès que possible

Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 30/09/2014  -  livre
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Faites demi-tour dès que possible

Créées pour éditer l’incontournable Alain Damasio, les éditions La Volte fêtent déjà leurs dix ans et un catalogue haut de gamme. Très indépendants, ses dirigeants ont fait le choix de ne publier que des manuscrits aussi remarquables que novateurs, sans rien sacrifier à une vile démagogie commerciale. Cette exigence qualitative a fait sa réputation et son succès car loin de s'adresser à un lectorat confidentiel, les livres que La Volte a publiés ont pour beaucoup trouvé un très large public, ceux d’Alain Damasio, bien sûr, mais également ceux de Stéphane Beauverger, Valerio Evangelisti… Et pour fêter dignement son anniversaire, La Volte nous fait cadeau (pour une somme modique…) d’une anthologie qui rassemble quelques-unes des plus belles plumes de France. Nous retrouverons au sommaire les habituels piliers de la maison, mais également des auteurs connus ou moins connus.

Malgré des thèmes récurrents, des histoires aussi variées que les terroirs d’où elles proviennent.

Faites demi-tour dès que possible ! C’est avec cette inquiétante injonction que débute un tour de France qui tentera de mettre en lumière la mosaïque culturelle formant les membres de notre fameuse République-une-et-indivisible. Deux tables des matières nous offrent le choix entre itinéraire géographique ou thématique, peut-être une manière de demander au lecteur s’il préfère le tourisme ou l’authenticité… Stéphane Beauverger démarre plutôt fort et traque l’Ankou sur la crête des Monts d’Arrée, entre Plounéour-Menez et Brennilis. Gast ! Celui-là connait le pays ! La quête identitaire et les racines tranchées par le couperet du temps ne sont évidemment pas absents du recueil mais le traitement de ces thèmes attendus parvient  pourtant à éviter les clichés folkloriques, voire à les pulvériser comme en témoigne par exemple la nouvelle de Ketty Steward, qui se libère de ses racines en les retrouvant. Pourtant, et malgré l’excellence des textes, une proportion importante des auteurs semble être restée embourbée dans les sillons des champs déjà abondamment ensemencés de la nostalgie et de la fin d'un monde. Une explication évidente à cela : les particularismes régionaux sont aujourd'hui moins apparents que jadis, les dialectes fondent dans le creuset d'une langue de plus en plus standardisée et l'emploi des langues régionales est devenu marginal. Par conséquent, il est compréhensible que peu de textes s’impliquent totalement dans un futur qui a pourtant envahi les campagnes, parasité monuments et cathédrales, virtualisé les contes et légendes, apprivoisé les paysages… L’ensemble ressort plutôt du fantastique. Ce n’est pas un reproche, juste un constat : nos racines seraient trop profondes, ou trop anémiées pour tenter l’aventure spatiale et la démesure scientifique appliquée au quotidien ? Ce sont Alain Damasio et Norbert Merjagnan qui vont nous prouver le contraire in extremis (ce sont les deux dernières nouvelles du recueil) avec des histoires qui font honneur à leur talent et dont on se demande si les auteurs ne se sont pas entendus pour qu’elles soient complémentaires. La mémoire, cependant, est encore une fois au centre de leurs préoccupations… Qu’importe, après tout, si les régions ne sont plus que le décor de nos souvenirs, dès lors qu’elles constituent le ferment de récits aussi remarquables.

Un bilan pas mitigé du tout : que du bon, et souvent de l’excellent !

Reconnaître une bonne, voire une excellente histoire, est assez facile : après en avoir parcouru la dernière ligne, le lecteur ressent le besoin impérieux de marquer une pause, un peu sonné... C’est ce qui se produit avec celle de Léo Dhayer, une histoire qui invoque la puissance des mots avec des mots puissants. Le titre parle de lui-même : « ichtyornis, juvenilia, knickerbockers, labyrinthodonte » ! Avec style et beaucoup de délicatesse, il y est aussi question de la brutalité qui accompagne parfois la perte de nos illusions… David Calvo n’est pas en reste et chante la démesure marseillaise avec son habituelle faconde poétique, une histoire belle et profonde qui pose le doigt sur le fondement de la cité phocéenne et de la politique... Un des sommets inattendus du recueil est gravi par Jeanne Julien, dont le texte très euphonique mérite d’être lu à haute voix. C’est assez rare dans le « domaine de l’imaginaire » pour être signalé. Ce formidable monologue intérieur au style très personnel est constellé d'époustouflantes trouvailles poétiques. Un auteur à suivre de très près ! Il faudrait encore citer l’apparition facétieuse d’Erckman et Chatrian, la fable parisienne de Philippe Curval, le texte énigmatique de Luvan, l’inclassable Jacques Barbéri, Thomas Becker et son gothisme post-apocalyptique, la SF gastronomique de Raphaël Granier de Cassagnac, la belle histoire intimiste de Jean-Philippe Ourry… Souhaitons à cette anthologie et aux auteurs qui la peuplent le succès qu’ils méritent amplement. Et joyeux anniversaire !

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