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Geekriture - De la méthode dans ma créativité ?
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Geekriture - De la méthode dans ma créativité ?

Cette semaine, Lionel Davoust inaugure une nouvelle rubrique, Geekriture.

Découvrez la boîte à outils de Lionel Davoust avec ce premier épisode, De la méthode dans ma créativité ?

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Angoisse de la page blanche. Procrastination. Manque de temps. Découragement. Les notifications du téléphone qui attirent l’attention vers la dernière bataille rangée d’un réseau commercial quelconque, où il est tellement plus facile et gratifiant de se plonger que de se confronter à la tâche devant soi :

Écrire, au long cours, une histoire dont l’on soit satisfait·e.

La majorité des auteurs avoue la difficulté et l’angoisse d’écrire ; conduire un récit de la première à la dernière page, et évidemment le corriger ensuite, requiert une constance considérable, semaine après semaine, voire année après année. Un exemple célèbre a dû s’imposer un confinement drastique pour arriver à rendre le livre promis, alors qu’un an et demi après la date de rendu du contrat signé, il n’avait pas écrit une ligne.

Cet auteur, c’était Victor Hugo, et le roman en question Notre-Dame de Paris.

Il ne s’agit nullement de fustiger l’angoisse ni la difficulté. La création est une tâche puissamment anxiogène puisqu’il s’agit, par définition, de défricher des territoires vierges. Évidemment que c’est ardu, et si les territoires n’étaient pas vierges, ce ne serait pas de la création.

Il convient cependant de ne pas glorifier outre mesure la difficulté, et encore moins la souffrance. L’image du poète maudit finissant exsangue et solitaire avec une œuvre majeure qui ne sera reconnue qu’après sa mort est peut-être très romantique, mais puissamment inconfortable tant pour l’auteur que son malheureux entourage… Et surtout, je doute qu’on accomplisse, au fond, grand-chose de la sorte sur le long terme ; un·e professionnel·le accomplit beaucoup plus quand il ou elle est reposé·e, en bonne santé, l’esprit clair. Comme le disait Woody Allen : « Je n’ai pas envie de devenir immortel par mon œuvre, je veux devenir immortel en ne mourant pas. »

Pour ma part, j’ai décidé de quitter la science et l’informatique pour m’embarquer en écriture il y a bientôt vingt ans, mais j’en ai gardé une conviction profonde : il y a toujours un meilleur moyen de faire. Même dans des domaines aussi évanescents que la création. Il y a de meilleurs moyens de construire des histoires que de ramer devant ses blocages. Il y a de meilleurs moyens de s’organiser, de clarifier son esprit et ses idées, bref, de ménager à l’esprit le temps et le silence dont se nourrit l’écriture. De meilleurs moyens, de façon générale, de réaliser les projets qui nous tiennent à cœur.

Je propose en mai un essai sur la construction narrative (Comment écrire de la fiction – Rêver, construire, terminer ses histoires, éd. Argyll), mais l’autre partie de l’équation, c’est l’organisation personnelle et même – lâchons un mot regardé avec méfiance dès qu’il est question d’art – de productivité.

La productivité évoque rapidement des notions erronées de stress, de pression, de diktat de la réalisation, vidant tout enthousiasme dans la flânerie créatrice. Mais entendons-nous d’emblée : la productivité dans le domaine personnel ne traite nullement d’objectifs (si vous vous en fixez, c’est votre responsabilité). Elle parle de processus. La vie est courte, la création artistique contribue à l’accomplissement de soi. Et il y a de meilleurs moyens. Plutôt que de ramer, il existe des astuces, des outils, des méthodes – défrichées par le monde de l’entreprise et les travailleurs·ses indépendant·es depuis des décennies – qui permettent à l’auteur ou autrice solitaire de créer, au contraire, avec davantage de détente et de plaisir. Qui contribuent à libérer l’esprit des innombrables accaparements de l’existence pour lui ménager une marge de manœuvre dévolue à la création. Car c’est de cela qu’il est question : la productivité personnelle, c’est fluidifier les rouages de l’esprit.

Je ne sais pas vous, mais moi, tout ce qui me permet de me libérer de la marge de manœuvre pour consacrer davantage d’attention à ce qui compte, je prends.

Nous avons toutes et tous le même temps par semaine : 168 h, dont une quantité certaine est déjà dévolue au sommeil. Nous prenons soin de nos proches, de nous-mêmes, nous travaillons (j’ai à présent la chance d’écrire à plein temps depuis plusieurs années, mais pendant longtemps, ma pratique de l’écriture devait cohabiter avec la traduction), nous nous détendons – et là-dedans, l’on veut trouver le temps de créer.

En un mot comme en cent, comment se faciliter la vie ?

C’est l’optique de cette colonne mensuelle. Depuis bientôt vingt ans, j’ai assemblé mes propres outils, tant pour la construction narrative que ma productivité personnelle, en allant piocher partout ce qui me semblait prometteur et continuant à expérimenter sans relâche. Parce que cela m’amuse, je ne m’en cache pas, mais aussi parce que c’est une nécessité vitale : aujourd’hui, je produis un podcast bimensuel (Procrastination), j’anime des ateliers d’écriture réguliers, je donne des conférences sur la créativité, je publie sur mon blog trois à cinq fois par semaine, j’explore la musique électronique et surtout, je publie un épais roman tous les douze à dix-huit mois. Je ne vous dis pas cela pour me la raconter, mais pour vous dire que, même pour un procrastinateur obsessionnel-compulsif comme je le suis, on peut réaliser beaucoup de choses avec les bonnes approches. Et sans devenir dingue. (Enfin, je le suis peut-être, à faire tout ça. À vous de voir.)

Cette colonne s’appelle Geekriture parce qu’elle va parler d’organisation et des outils qui vont avec. Évidemment, notre époque est technologique et les outils le seront souvent, mais ce qui m’intéresse avant toute chose, ce sont les principes. En effet, les implémentations s’en vont (des services font faillite, des mises à jour bouleversent un écosystème technologique), mais les idées restent. D’ailleurs, toutes les grandes méthodes ont été conçues pour fonctionner avec du papier et un crayon.

Mais geek, c’est avant tout un esprit. C’est l’envie constante de chercher de meilleurs processus, de se réjouir de se faciliter la vie en confiant à un système – qu’il soit analogique ou numérique1 – certaines fonctions simples afin de libérer l’esprit pour ce qu’il fait de mieux : avoir des idées, rêver, réfléchir. Ou même, juste, savourer un instant de contemplation sans culpabilité !

Alain Damasio arguait il y a quelques années aux Utopiales qu’un grand nombre de nos technologies contemporaines nous « retirent de la puissance » (au sens philosophique du terme). Se laisser guider par un GPS, par exemple, nous rendrait impuissants dès qu’il s’agit de revenir à la carte classique. Je m’oppose fondamentalement à ce point de vue. L’évolution de l’humanité s’est toujours fondée sur les outils – à commencer par le feu – et le trajet global de notre espèce consiste à leur déléguer toujours davantage de fonctions de l’existence pour nous en libérer, et nous consacrer à autre chose.

Bien sûr, ces outils peuvent être utilisés contre nous (dans le cas du numérique, on pensera à la collecte de données privées, à l’accaparement suscité par les réseaux commerciaux…), mais c’est pour cela qu’il nous revient de nous les approprier, au contraire, dans une démarche volontaire, afin de le dominer et de les faire travailler à notre profit. Et il y a énormément de choses possibles dans ce domaine pour aider une vie créatrice. Cette joie de la découverte et de l’expérimentation visant à faciliter les processus créatifs, tel est le but de cette colonne.

Si mon GPS me guide sans que j’aie besoin de réfléchir et que cela me libère l’esprit pour laisser affluer des idées ou simplement m’octroyer un moment de répit, ma puissance ne diminue pas, bien au contraire. Elle augmente. J’ai à présent le choix de faire autre chose de mes pensées.

C’est à chacun·e d’avoir conscience que ce choix existe, et de le saisir pour nourrir – osons lâcher le terme – ses rêves.

Lionel Davoust

1. Par pitié, ne dites pas « digital ». Le digital, ça concerne les doigts.

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