Suite à l'éviction de Stéphanie Nicot de son poste de Directrice Artistique des Imaginales, l'équipe des modérateurs et des interprètes lui a également apporté son soutien.
Monsieur le Maire d’Épinal
Hôtel de Ville
9 rue du Général Leclerc
88000 EPINAL
Monsieur le Maire,
L’équipe des modérateurs/interprètes des Imaginales a souhaité vous adresser ce courrier pour porter à votre connaissance un certain nombre de réflexions après le festival qui vient de se terminer.
Aux dires de tous, ces Imaginales ont été une très belle réussite. Pour l’équipe, qui s’est comme d’habitude investie pleinement dans ses missions, ces Imaginales ont néanmoins été teintées d’un profond malaise. Entre les modifications de dernière minute imposées à la directrice artistique – sans tenir compte du travail de préparation effectué en amont par les modérateurs –, les éléments du programme soulevant des questions qui nous ont parfois été posées – après tout, le public suppose que l’équipe d’animation est solidaire de la programmation –, et les incessantes rumeurs concernant un éventuel limogeage de la directrice artistique, le climat de l’édition 2022 du festival a interpellé l’équipe.
Depuis la création des Imaginales, le petit groupe des modérateurs/interprètes œuvre afin d’assurer la réussite du festival. Être modérateur, ce n’est pas simplement poser, durant les tables rondes, quelques questions rédigées à la va-vite. C’est préparer, en amont, ses interventions, en s’intéressant à la production de l’année et en lisant les ouvrages des auteurs. C’est participer à la finalisation du programme avec la directrice artistique. C’est modérer les débats en s’adaptant aux intervenants et au public. Et, surtout, c’est travailler en équipe durant le festival, en restant en contact les uns avec les autres, en assurant le lien avec les équipes de la ville, en veillant à s’épauler, à se conseiller, et à assurer le respect du programme en cas de problème (l’absence de dernière minute d’un intervenant, par exemple). Être interprète, ce n’est pas simplement traduire vaguement et sommairement quelques propos sans y réfléchir. Cela suppose un gros travail de préparation s’appuyant sur la connaissance des genres de l’imaginaire et de l’œuvre des auteurs. Durant les tables rondes, il faut du professionnalisme et de la concentration pour traduire à l’auteur étranger l’essentiel des débats, puis restituer fidèlement au public les propos de l’auteur. Être interprète, c’est également assurer l’accompagnement des auteurs étrangers sur tout le festival. Ainsi, l’engagement et le travail de toute l’équipe sont précieux. Ils contribuent, à chaque édition, à la réussite des Imaginales.
Cette équipe, c’est Stéphanie Nicot qui l’a constituée au fil des ans. Ces professionnels n’ont pas été choisis au hasard. Ils ont été pressentis pour leurs qualités et leurs compétences, et pour leur capacité à travailler collectivement. Les plus anciens ont même participé à la création du festival. C’est grâce au travail conjoint avec la directrice artistique que se sont mises en place, année après année, les valeurs d’ouverture, de convivialité, d’échange qui sont la signature des Imaginales et qui différencient ce festival de tous les autres. Cette éthique respectée par l’équipe est appréciée de tous les festivaliers qui viennent à Épinal pour trouver un cadre accueillant, dans le respect de chacun. C’est aussi la marque d’une culture organisationnelle qui s’est peu à peu mise en place, et qui donne un sens à la mission de tous les acteurs.
Or, nous devons avouer qu’aujourd’hui nous sommes inquiets. Parce qu’aucun message officiel n’est venu confirmer ou contredire les rumeurs. Parce que l’équipe ne sait pas ce qu’il adviendra du festival l’année prochaine. Les « remous » de cette année sont-ils la marque d’une rupture annoncée avec les valeurs défendues jusqu’ici par le festival ? Des réorientations sont-elles envisagées en profondeur ? Stéphanie Nicot sera-t-elle encore là en 2023 ? Si un changement de direction artistique est envisagé, qu’adviendra-t-il de l’équipe, et notamment des plus fidèles à l’actuelle directrice artistique ?
Si nous ne cherchons pas à nier à la Mairie d’Épinal le droit de changer la direction d’un festival hébergé par la ville, nous tenons à souligner que si on veut éviter des conséquences très négatives en termes de qualité et d’image pour le festival, un tel changement doit se faire de façon éthique et dans le respect des personnes. Écarter Stéphanie Nicot de façon brusque, sans même avoir pris en compte les réactions de l’équipe, ne peut que mettre les modérateurs et interprètes dans une impasse : soit ils soutiennent Stéphanie et ils partent, malgré leur attachement aux Imaginales, soit ils décident de rester et ils vont se sentir mal. Il ne peut en résulter qu’une perte de cohésion et d’efficacité qui va nuire à la qualité du travail collectif – et donc à la qualité du festival. Si un changement est vraiment envisagé, il est vivement souhaitable de respecter les règles de gestion organisationnelle les plus élémentaires : organiser la transition dans le temps, la travailler avec l’actuelle directrice artistique et avec son équipe, et la rendre acceptable pour tous. C’est d’ailleurs cette méthode qu’elle vous a proposée après en avoir discuté avec nous.
Nous aimerions que la Ville d’Épinal donne des réponses claires à nos questionnements afin que nous puissions nous situer pour l’avenir. Chacun des membres de l’équipe pourra ensuite prendre position en fonction de ses convictions propres. Les signataires de la présente lettre se montreront solidaires de Stéphanie s’il s’avère qu’elle est limogée purement et simplement. Traiter injustement la directrice artistique, ce serait porter atteinte à tous les collaborateurs qui partagent ses valeurs et qui apprécient de travailler avec elle.
Nous espérons que vous tiendrez compte de ce courrier et des questions que nous soulevons. En tant que modérateurs et interprètes, nous sommes profondément attachés aux Imaginales. Nous sommes fiers d’avoir construit, collectivement, un festival reconnu nationalement et internationalement pour sa qualité et pour ses valeurs. Nous apprécions d’œuvrer, chaque année, à offrir un beau programme au public et nous souhaitons que les Imaginales conservent leur âme.
Veuillez agréer, Monsieur le Maire, l’expression de nos respectueuses salutations.
Courrier signé le 23/06/2022 par :
- Anne BESSON, professeure de littérature comparée, UFR Lettres et Art, Université d’Artois.
- Céline BLACHÉ, fondatrice du Plib et Booksphere, modératrice.
- Hélène BURY, traductrice littéraire et interprète.
- Claudine CARPENTER, lectrice et interprète
- Lionel DAVOUST, auteur, lauréat des prix Imaginales et elbakin.net, membre de la SFWA (association professionnelle américaine des auteurs d’imaginaire), podcasteur, anthologiste, secrétaire du prix Imaginales à sa création, interprète anglais-français.
- Solène DUBOIS, conservatrice des bibliothèques, autrice (Méropée Malo) et modératrice.
- Silène EDGAR, autrice, chercheuse, professeure agrégée de Lettres Modernes, chevalière de l’Ordre des Palmes Académiques, lectrice et modératrice.
- Christophe de JERPHANION, animateur radio, membre du jury du prix Imaginales et modérateur.
- Valérie LAWSON, autrice et modératrice.
- Sylvie MILLER, professeure agrégée d’Economie & Gestion, chevalière de l’Ordre des Palmes Académiques, autrice, anthologiste, traductrice littéraire, interprète, membre du jury du Prix Imaginales de 2002 à 2009, et modératrice.
- Clément PÉLISSIER, Docteur en littératures spécialisé recherches sur l’imaginaire, auteur, conférencier, modérateur.
- Jean-Luc RIVERA, critique, chroniqueur à « Mauvais Genres » (France Culture), Vice-Président du Grand Prix de l’Imaginaire, fondateur et directeur artistique des Rencontres de l’Imaginaire de Sèvres (17 éditions) et modérateur.
- Morgane SAYSANA, traductrice littéraire, formatrice, interprète.
- Ketty STEWARD, autrice, psychologue clinicienne, doctorante en psychologie, modératrice.
- Jean-François THOMAS, auteur, critique, anthologiste, directeur de collection et modérateur.
- Jérôme VINCENT, directeur éditorial Perfecto (l’agence 100 % culture), directeur des éditions Actusf.