ActuSF : Faisons connaissance, quels sont tes auteurs préférés en fantasy ?
Isabelle Bauthian : Mon auteur préféré, même s’il est un peu en marge de la fantasy, est Guy Gavriel Kay, en particulier ses romans Les Lions d’Al Rassan et Tigane, que je trouve à la fois intellectuellement brillants et très romanesques, avec une belle poésie pour traiter de thématiques pourtant terre à terre, et des personnages formidables. Le premier est celui qui m’a fait me remettre à la fantasy après des années à ne lire quasiment que de la littérature générale. J’étais en larmes en lisant la fin, ce qui a dû m’arriver cinq ou six fois dans ma vie si on compte les films et les séries (oui, je suis un cœur de pierre).
Parmi les Français, j’ai, comme beaucoup de gens, adoré La Horde du Contrevent d’Alain Damasio, alors que ce n’est pas forcément le genre de récit vers lequel je vais spontanément. Et j’ai récemment découvert le travail de Paul Béorn, que j’apprécie énormément.
Isabelle Bauthian : Mon auteur préféré, même s’il est un peu en marge de la fantasy, est Guy Gavriel Kay, en particulier ses romans Les Lions d’Al Rassan et Tigane, que je trouve à la fois intellectuellement brillants et très romanesques, avec une belle poésie pour traiter de thématiques pourtant terre à terre, et des personnages formidables. Le premier est celui qui m’a fait me remettre à la fantasy après des années à ne lire quasiment que de la littérature générale. J’étais en larmes en lisant la fin, ce qui a dû m’arriver cinq ou six fois dans ma vie si on compte les films et les séries (oui, je suis un cœur de pierre).
Parmi les Français, j’ai, comme beaucoup de gens, adoré La Horde du Contrevent d’Alain Damasio, alors que ce n’est pas forcément le genre de récit vers lequel je vais spontanément. Et j’ai récemment découvert le travail de Paul Béorn, que j’apprécie énormément.

ActuSF : Comment est née Anasterry ? Qu’est-ce que tu voulais faire avec ce roman ?
Isabelle Bauthian : Anasterry est née il y a près de quinze ans, même si elle ne s’appelait pas encore comme ça. Je me souviens, je faisais un stage de recherche aux États-Unis, j’ai fait un vague rêve avec une histoire de château et de marais… C’est surtout l’ambiance qui m’a marquée. Peu de temps avant, un romancier et scénariste de BD, Nicolas Jarry, m’avait écrit pour me complimenter sur des nouvelles que j’avais mises en ligne. Ça a été un déclic, alors que j’avais presque mis de côté l’écriture pour me consacrer à mes études. C’était la première fois que j’écrivais avec, en tête, l’objectif d’être publiée. À l’époque, un éditeur s’est montré vaguement intéressé, mais a finalement renoncé. Pas de regret, car ce premier jet était encore très maladroit. Je m’étais appuyée sur mes points forts, les dialogues et les personnages, en pensant sans doute que ça suffirait à faire un roman digne de ce nom, mais le style était très classique, la narration brouillonne et l’ensemble manquait énormément d’enjeu.
Isabelle Bauthian : Anasterry est née il y a près de quinze ans, même si elle ne s’appelait pas encore comme ça. Je me souviens, je faisais un stage de recherche aux États-Unis, j’ai fait un vague rêve avec une histoire de château et de marais… C’est surtout l’ambiance qui m’a marquée. Peu de temps avant, un romancier et scénariste de BD, Nicolas Jarry, m’avait écrit pour me complimenter sur des nouvelles que j’avais mises en ligne. Ça a été un déclic, alors que j’avais presque mis de côté l’écriture pour me consacrer à mes études. C’était la première fois que j’écrivais avec, en tête, l’objectif d’être publiée. À l’époque, un éditeur s’est montré vaguement intéressé, mais a finalement renoncé. Pas de regret, car ce premier jet était encore très maladroit. Je m’étais appuyée sur mes points forts, les dialogues et les personnages, en pensant sans doute que ça suffirait à faire un roman digne de ce nom, mais le style était très classique, la narration brouillonne et l’ensemble manquait énormément d’enjeu.
Par la suite, j’ai repris le texte, puis rencontré des gens comme Michel Dufranne et, surtout, Audrey Alwett, qui m’ont apporté des avis extérieurs précieux. J’ai d’habitude pas mal de recul sur ce que j’écris, mais là, depuis le temps que je travaillais sur cette histoire, j’étais contente d’avoir des regards frais et de passer de « j’écris pas mal, faisons un roman parce que pourquoi pas d’abord ! » à une démarche professionnelle, moins égoïste, avec l’espoir de vraiment apporter quelque chose au lecteur.
L’année dernière, Audrey a lancé le label Bad Wolf, qui nous a permis à elle, Christophe Arleston et moi (bientôt rejoints par Alex Evan) de nous lancer en coopérative d’auteurs. Nos trois romans ont reçu des retours très positifs, ce qui nous permet maintenant de poursuivre l’aventure via l’édition traditionnelle, et d’espérer toucher un plus large public.
L’année dernière, Audrey a lancé le label Bad Wolf, qui nous a permis à elle, Christophe Arleston et moi (bientôt rejoints par Alex Evan) de nous lancer en coopérative d’auteurs. Nos trois romans ont reçu des retours très positifs, ce qui nous permet maintenant de poursuivre l’aventure via l’édition traditionnelle, et d’espérer toucher un plus large public.
ActuSF : Peux-tu nous présenter tes deux personnages principaux, Renaldo et Thélban ?
Isabelle Bauthian : Renaldo a 20 ans. Il est le second fils du baron de Montès. C’est un seigneur, héritier d’une puissante dynastie militaire, pétri de certitudes naïves sur le monde, hautain, plein de défauts aux conséquences parfois dramatiques, mais honnête, ouvert d’esprit et déterminé à être quelqu’un de bien.
Thélban, son meilleur ami, est l’héritier de la Guide des épiciers, un puissant roturier qui, même s’il ne le déclare pas franchement, aspire à surpasser en influence et en richesse les hautes instances de son pays. Il est intelligent, curieux, libéral, rationnel, provocateur, manipulateur… et a une relation très ambigüe avec sa sœur jumelle.
Renaldo et Thélban sont très complémentaires mais diamétralement opposés de par leurs parcours, leurs ambitions, leurs mœurs et même leurs convictions politiques. On a un garçon qui a hérité de ses privilèges et qui d’un côté pense que c’est l’ordre naturel des choses mais de l’autre veut désespérément prouver qu’il en est digne, et un autre qui doit son ascension à ses capacités et son travail, est parfaitement conscient de ce qu’il vaut, a de grands principes humanistes mais une vision assez cynique de la société.
Ils se remettent mutuellement en question sans arrêt. C’est la force de leur relation, et aussi ce qui la menace sur la durée.
ActuSF : Est-ce qu’on peut parler d’un roman politique de fantasy ?
Isabelle Bauthian : Je pense, oui. C’est amusant parce que j’ai été totalement déconnectée de la politique pendant des années et je n’aurais jamais imaginé que mon premier roman serait qualifié ainsi. Mais je crois que, si les rouages de la politique me semblent presque vulgaires, les idéologies derrière, et leur confrontation à la réalité, m’ont toujours passionnée. Je me méfie énormément des gens qui ne sont pas capables de replacer leurs principes dans un contexte, même si ce sont des humanistes. C’est, à mon sens, un comportement très dangereux, la porte ouverte à toutes les violences, et je l’observe concrètement maintenant que je fréquente un peu les milieux militants. Je pense que beaucoup ont tellement peur du compromis qu’ils préfèrent être obtus, comme si s’adapter revenait à perdre ses convictions les plus profondes. Ça dénote, il me semble, une grande fragilité... et peut-être des principes pas si assurés que ça !
Isabelle Bauthian : Renaldo a 20 ans. Il est le second fils du baron de Montès. C’est un seigneur, héritier d’une puissante dynastie militaire, pétri de certitudes naïves sur le monde, hautain, plein de défauts aux conséquences parfois dramatiques, mais honnête, ouvert d’esprit et déterminé à être quelqu’un de bien.
Thélban, son meilleur ami, est l’héritier de la Guide des épiciers, un puissant roturier qui, même s’il ne le déclare pas franchement, aspire à surpasser en influence et en richesse les hautes instances de son pays. Il est intelligent, curieux, libéral, rationnel, provocateur, manipulateur… et a une relation très ambigüe avec sa sœur jumelle.
Renaldo et Thélban sont très complémentaires mais diamétralement opposés de par leurs parcours, leurs ambitions, leurs mœurs et même leurs convictions politiques. On a un garçon qui a hérité de ses privilèges et qui d’un côté pense que c’est l’ordre naturel des choses mais de l’autre veut désespérément prouver qu’il en est digne, et un autre qui doit son ascension à ses capacités et son travail, est parfaitement conscient de ce qu’il vaut, a de grands principes humanistes mais une vision assez cynique de la société.
Ils se remettent mutuellement en question sans arrêt. C’est la force de leur relation, et aussi ce qui la menace sur la durée.
ActuSF : Est-ce qu’on peut parler d’un roman politique de fantasy ?
Isabelle Bauthian : Je pense, oui. C’est amusant parce que j’ai été totalement déconnectée de la politique pendant des années et je n’aurais jamais imaginé que mon premier roman serait qualifié ainsi. Mais je crois que, si les rouages de la politique me semblent presque vulgaires, les idéologies derrière, et leur confrontation à la réalité, m’ont toujours passionnée. Je me méfie énormément des gens qui ne sont pas capables de replacer leurs principes dans un contexte, même si ce sont des humanistes. C’est, à mon sens, un comportement très dangereux, la porte ouverte à toutes les violences, et je l’observe concrètement maintenant que je fréquente un peu les milieux militants. Je pense que beaucoup ont tellement peur du compromis qu’ils préfèrent être obtus, comme si s’adapter revenait à perdre ses convictions les plus profondes. Ça dénote, il me semble, une grande fragilité... et peut-être des principes pas si assurés que ça !

C’est Alfred Adler qui a dit : « Il est plus facile de se battre pour ses convictions que de vivre à leur hauteur ». Je crois que ce décalage, et l’importance du recul sur soi et sur son environnement, sont au cœur de beaucoup de mes livres, et particulièrement des Rhéteurs.
Les littératures de l’imaginaire m’intéressent parce qu’elles permettent d’aborder des sujets en s’affranchissant de la réalité sociale, historique et politique dont nous sommes familiers. On peut donc traiter de thèmes polémiques en laissant de côté pas mal d’a priori. C’est une stratégie narrative beaucoup employée en science-fiction, mais encore peu en fantasy. J’espère que ça changera.
ActuSF : Ton roman est passionnant intellectuellement parce que les personnages vont devoir trouver la faille dans ce royaume où tout est parfait en apparence. Est-ce que ce jeu intellectuel était facile à écrire ?
Isabelle Bauthian : Les questions intellectuelles, les débats, les sentiments qui tiraillent les personnages me viennent assez naturellement, sans doute parce qu’ils découlent de choses auxquelles j'ai déjà bien réfléchi. Je n’ai pas une écriture très cathartique. Lorsque je me mets face à mon clavier, c’est en général que j’ai déjà fait le travail d’analyse. Ça me permet de libérer ma pensée assez naturellement, sans surintellectualiser, et d’avoir je crois un résultat relativement léger dans sa forme malgré le caractère souvent intello du fond.
L’intrigue, par contre, a été plus compliquée à mettre en place. D’abord parce que la première version du livre, comme je le disais, avait moins d’ambitions et qu’il a fallu réécrire tout en gardant la fluidité narrative, mais aussi parce qu’il y a de nombreux non-dits, des indices parsemés le long les chapitres et il ne faut pas se louper. Ne rien oublier, éviter de rabâcher ou d’être lourdingue, distiller les choses bien progressivement et jamais aux dépens du côté humain, parce que je n’aime pas les récits intellectuels glacés et je me repose énormément sur mes personnages pour faire passer mon propos. Mais j’ai l’habitude de me mettre des bâtons dans les roues. En novembre, j’ai commencé une « petite histoire jeunesse sans prétention » qui est devenue un machin bien tordu !
ActuSF : Parle-nous un peu de l’univers que tu as mis en place dans sa globalité ?
Isabelle Bauthian : Civilisation est une monarchie fédérale, avec quatre baronnies plus ou moins indépendantes et une capitale. C’est un pays à peine gros comme quatre ou cinq fois la France, mais qui a qualifié le reste du monde « d’Outre-Civilisation », les races qui y habitent de « mi-hommes », et ne s’y intéresse pas vraiment. J’ai toujours été fascinée par ce nombrilisme presque comique que l’on retrouve dans de nombreuses cultures humaines.
À l’époque où commence Anasterry, Civilisation, qui est d’habitude la cible de tentatives d’invasions violentes des mi-hommes, n’a plus connu de guerre depuis trente ans. Cette situation inédite a favorisé le développement des arts et des sciences, mais aussi engendré une certaine mollesse chez la jeune génération. Mais tout cela, nous le verrons dans les tomes suivants, est vécu très inégalement selon les baronnies, leurs traditions, leur degré de développement et leurs systèmes politiques. Chaque roman des Rhéteurs se passera dans une baronnie différente. Leurs histoires seront complètement indépendantes. Mais, en lisant les cinq, on verra se déployer des intrigues secondaires, un propos plus général et quelques surprises.
ActuSF : Sur quoi travailles-tu ?
Isabelle Bauthian : Mon quotidien est surtout fait de traduction et d’écriture de scénarios de bandes dessinées. Là, je travaille sur le tome 2 de Versipelle, un contre horrifique chez les Vikings, aux éditions Akileos, avec Anne-Catherine Ott au dessin, et Alyssa, une série de gags un peu geeks, dessinés par Rebecca Morse, chez Soleil. Mais j’ai plusieurs projets de romans. J’ai terminé il y a peu un récit young adult et je travaille en ce moment sur le tome 2 des Rhéteurs, où l’on retrouvera quelques personnages d’Anasterry. Le roman est ma première passion, je l’ai beaucoup délayé, alors j’aimerais idéalement en écrire un ou deux par an. Mais cela ne se fera pas aux dépens du fond ou de la qualité narrative. Travailler sur un roman est assez fatigant intellectuellement et, autant j’écris vite, autant j'affine ensuite beaucoup mes textes. Je veux me laisser du temps, pour essayer de proposer aux lecteurs des histoires toujours meilleures.