Actusf : Quel est ton parcours et qu'est-ce qui t'a amené au cinéma ?
Benjamin Mayet : Je ne préfère vraiment pas parler de moi. L'important ce n'est pas moi, c'est le geste.
Je pourrais être un enfant gâté qui décide de faire son premier film avec l'argent du paternel. Je pourrais être le dernier des mendiants qui n'a jamais lu un bouquin de sa vie. L'important ce n'est pas d'où je viens mais où je vais, et là où je suis maintenant. L'important, c'est d'être sur le qui-vive, toujours prêt à vivre, à danser, à connaître, à découvrir. Être dans le vif.
Le cinéma c'est l'art de l'instantané en mouvement, l'art du vif. Tu as beau préparer, planifier et nomenclaturer tout ce que tu veux, c'est sur le moment que tu le feras. Avec les acteurs, les lumières et les cadres. Le monteur ne peut pas faire avec ce qui n'a pas été inventé dans l'instant du tournage. Faire du cinéma c'est être de la volte : c'est créer sur la brèche.
Je me pose la question de l'engagement dans ma vie. Où ? Et à quoi ? Une question d'ordre politique. Loin de ce qui consiste à mettre des rustines sur une roue déjà bien trop crevée et loin d'une vision de l'actualité : une vision de la vie. Le cinéma me donne la voix pour l'exprimer.
Actusf : Comment es-tu tombé sur la nouvelle de Stéphane BEAUVERGER ? Quelle a été ta réaction en la lisant ?
Benjamin Mayet : Je l'ai trouvé à la Fnac en tête de gondole : faut reconnaître qu'aux Halles ils savent être pointus et qu'ils ont de très bons vendeurs. Appel d'Air(le recueil dans lequel apparaît « SÉCURITÉ/IMPUNITÉ ») était bien mis en valeur dans le rayon. 4éme de couv' : « 30 écrivains de science-fiction, 30 short stories pour s'interroger au lendemain des présidentielles, sur notre futur... et notre présent »
Je découvre ce livre juste après les élections alors que je sens un décalage entre le monde décrit par les candidats et celui dans lequel je vis. Aucune des questions soulevées ne m'appartiennent. Je me sens géré par des gens qui ne sont rien pour moi : ils font juste parti des meubles. Je me sens contrôlé.
« SÉCURITÉ/IMPUNITÉ » fait violemment écho à cette problématique. Envie de jeter le livre par la fenêtre. Je suis en colère de sentir qu'il a raison et d'avoir l'impression que personne ne l'entend !
Actusf : Qu'est-ce qui t'a donné envie d'en faire un court-métrage ?

En lisant la nouvelle de Stéphane, je découvrais des similitudes avec l'écriture et les thématiques d'Alain. Ça m'a amené à lire « Le Déchronologue » (4° roman de Stéphane, publié aux éditions La Volte, ainsi nommé d'après le groupuscule anarchiste de « La zone du dehors »...). En relisant ensuite les romans d'Alain, je voyais une ligne commune se dégager et la nouvelle de Stéphane, de part son format concentré, me permettait de l'exprimer.
Ce qui me fascine dans le cinéma, c'est son analogie avec le rêve où sons, images et sensations donnent un résultat supérieur à la somme des forces en présence. On comprend, on sait, on sent des choses sans qu'elles soient expliquées : seulement exposées. Le vecteur cinéma me permettait d'exposer le danger représenté par le consensus et l'urgence de notre réaction face à la perte de notre liberté. Et la voix-off de la nouvelle me permettait d'exprimer ces idées de manière assez ambiguë : c'est le Milicien, dont on entend les pensées, qui est le plus libre des deux protagonistes, le plus conscient.
Actusf : Comment vas-tu t'y prendre pour l'adapter ? Quelles sont les étapes avant le tournage ?
Benjamin Mayet : Je voulais redonner au récit un caractère d'anticipation. Cette idée du consensus avait pour moi bien plus ce caractère que l'oppression décrite dans la nouvelle. J'ai donc fondé ma réécriture sur la réflexion d'Alain, l'injectant dans la trame de Stéphane.
Avant le tournage, tu dois décider de la forme que tu vas donner à ton film, à son esthétique. Quelle utilisation de la caméra pour quelle forme de récit ? Quelle lumière, quels optiques pour quelles sensations ? Ça veut dire un maximum de référence à avoir, un maximum de film à regarder. De « Minority Report » à « 2001 » en passant par « Equilibrium », j'absorbe tout ce qui me semble en rapport avec le genre et/ou l'idée.
Actusf : Quels changements as-tu fait dans le script du court-métrage par rapport à la nouvelle ?

La nouvelle met en scène une femme face à un policier. Je devais écarter cette dimension sexiste du récit pour pouvoir exposer l'idée du contrôle et son caractère insidieux. La conductrice de la nouvelle devient donc un conducteur dans le film. L'opposition masculin/féminin n'aurait sinon pas manquée de prendre le dessus, et ce n'était pas la question.
Je voulais sortir du schéma oppresseur/opprimé. Le Policier devenant un membre de la Milice Citoyenne, le conducteur ne se considère pas importuné, il est confronté à un autre citoyen qui ne représente plus une autorité oppressive. J'ai ainsi « nettoyé » la voix-off. Je l'ai purgée de tout ce qui se rattache au rabaissement de l'autre et à la volonté d'exercer un pouvoir. C'est l'idée même du consensus qui est appliquée ici, en permettant en plus au spectateur de se projeter immédiatement dans le futur, les milices n'existant pas encore.
Actusf : Quand le tournage est-il prévu et quand pourra-t-on voir les premières images ?
Benjamin Mayet : Le tournage est prévu en février. Chaque soir nous publierons un making-of de la journée de tournage écoulée. Mais vous ne découvrirez le film à proprement parler que quand il sera totalement fini, pas avant. D'ici là, nous préparons notamment des entretiens avec les deux auteurs Stéphane BEAUVERGER et Alain DAMASIO.
Et vous avez ici les deux premières images inspirées du film. Deux dessinateurs donnent leur vision du Milicien.

Benjamin Mayet : A l'approche d'une nouvelle élection présidentielle, je me demande où est-ce que je mets mon engagement de citoyen et la conscience qui va avec.
Le film me permet de poser cette question et si nous nous attachons à mettre en valeur le processus de création, c'est pour déclencher des réactions. L'idée est de créer des émulations autour du script pour que tout créateur qui le veuille puisse prendre ces idées à son compte, comme le font ici Véréna, Corentin et François.
Je veux que ça sorte du simple projet de court métrage en créant une espèce de clameur dont « Droite comme la justice » ne serait qu'une partie. D'ici la projection du film je veux permettre l'expression d'une créativité qui donnerait de la perspective à ce que nous faisons. J'ai envie que ça me dépasse, que ça sorte et que ça roule sans que je sois le seul conducteur. Je ne veux pas faire seul. Je veux mettre un objet sur la table et que chacun le fasse sien, à sa sauce et s'en serve. Pour que nous fassions l'actualité et la campagne. Que nous façonnions la réalité qui se présente.
Quant à mes ambitions, elles n'ont aucune limite. Avec tout le matériel apporté par les gens avec qui nous travaillons déjà et celui susceptible d'être apporté par ceux qui seront intéressés par le projet et son but, on peut tout imaginer. Conférences, expositions, installations, projections, débats...
Pourquoi pas montrer ce projet à nos futurs candidats ?
Je veux surtout qu'il nous rassemble pour agir sur l'actualité, sur notre quotidien et notre futur. Que ça nous permette d'exprimer notre puissance.
Parce que le pouvoir c'est de la gestion. C'est pour les gouvernants. Alors que la puissance c'est de l'action, de la « capacité à », et que ça, c'est nous qui l'avons.
Je voudrais qu'on l'utilise. Ensemble.