Nous : Vous avez officié dans des genres très différents, allant de la BD gore au polar noir, mais est-ce que vous pourriez nous résumer votre parcours ?
François Darnaudet : J'ai débuté en 1985 chez Corps 9 éditions, un éditeur picard spécialisé en fantastique francophone. Parmi les auteurs Corps 9, il y avait Gérard Dôle et Gilbert Gallerne (qui signait Bergal à l'époque). Sur les conseils de Gallerne qui est pour moi une sorte de "frère aîné littéraire", je suis passé au Fleuve Noir dans la Collection Gore, seule collection qui publiait alors des jeunes auteurs francophones... Après mes deux Gore, j'ai connu un long purgatoire... Francis Valéry m'a réactivé en 1997 pour écrire un roman de la série Agence Arkham et depuis, je publie un livre par an, alternant le roman noir politique et le roman fantastique horrifique. Cette année, exceptionnellement, je sors un polar et un fantastique à 15 jours d'intervalle...
Nous : Seriez-vous d'accord pour dire que vous avez écrit ce que l'on appelait au début du siècle un roman populaire ?
François Darnaudet : Je pensais avoir écrit un roman d'horreur moderne, genre populaire dans les années 80. Une sorte de Masterton revu par Jean Ray... et l'on me parle de plus en plus en souvent d'auteurs français comme Leroux, Bernède, Leblanc, Le Rouge (j'ai droit à toutes les couleurs de nos ancêtres glorieux)... Evidemment, j'ai pensé à Belphégor et au Fantôme de l'Opéra en écrivant Le Fantôme d'Orsay, la première aventure de ce livre mais en écrivant la seconde partie du diptyque, Les Dieux de Cluny, je songeais à Lovecraft et à Masterton... L'écriture étant souvent un grand malentendu, j'accepte de devenir un petit-fils de Leroux, Leblanc et les autres... c'est plutôt flatteur !
Nous : Comment vous est venue l'idée de renouveler ce genre un peu tombé en désuétude ?
François Darnaudet : "Horreur moderne" ou "roman populaire francophone", je voulais utiliser un décor urbain (Paris, Bruxelles...) pour mettre en scène des légendes parisiennes (la légende du fantôme des Tuileries) et des mythes gaulois (les dieux gaulois du pilier des nautes)... j'ai souvent pensé à ce que Jean Ray avait fait avec la mythologie grecque dans son Malpertuis... Jean Ray est l'immense auteur belge de la seconde moitié du vingtième siècle... celui qui a réellement trouvé une voie originale pour le fantastique franco-belge !
Nous : Pensez-vous que ce soit un genre typiquement français ? Et pensez vous qu'il y a un imaginaire fantastique qui soit typiquement français ?
François Darnaudet : Il y a un fantastique typiquement belge "franco-néerlandais"... je suis moins sûr de l'existence d'un fantastique typiquement français. Le fantastique français est souvent sous influence (anglo-saxonne pour certains ou bien littérature générale pour d'autres). Actuellement, un auteur comme Ward essaie de trouver une nouvelle voie. En étudiant la mythologie basque, il a écrit une véritable merveille – Irrintzina* –... c'est dans cette direction qu'il faut creuser ! Nouveaux thèmes, nouvelles mythologies...
Nous : Vous avez écrit des livres sur l'histoire du Languedoc, est-ce que votre passion de l'histoire vous a amené vers ce type de littérature ?
François Darnaudet : J'ai écrit des essais sur la peinture en Roussillon ! Tous les noms des gardiens du musée d'Orsay dans la première partie des Dieux de Cluny sont des noms de peintres très connus en Roussillon et ignorés ailleurs... c'est un "private joke catalan", si vous me permettez l'expression ! Je suis un peintre et un dessinateur frustré. La peinture occupe une grande place dans ma vie... cela déteint sur mes livres...
Nous : Vous habitez Auch, vous semblez d'ailleurs très attaché à cette région, et pourtant on sent un véritable amour de Paris dans ces deux novellas. Vous en parlez comme un véritable "sirop des rues". Comment cela se fait-il ?
François Darnaudet : J'ai quitté Auch en 1962 à l'âge de 3 ans... j'ai vécu ensuite 15 ans à Bordeaux puis 10 ans à Paris et maintenant cela fait 15 ans que je vis en Roussillon (pas loin de Perpignan)... Je pensais ne jamais quitter Paris tellement j'ai aimé "avoir 20 ans" dans cette ville... maintenant, j'évite d'y retourner... j'ai du mal à quitter le sud !
Nous : Est-ce finalement ce n'est pas plutôt une certaine image de Paris que vous aimez ?
François Darnaudet : J'ai la nostalgie du Paris de mes années d'étudiant et du Paris littéraire et cinématographique à la Prévert, Mocky ou Vian... c'est ce Paris là que je tente de recréer... un Paris qui n'existe pas vraiment... un Paris vaguement surréaliste et fantastique où les pierres sont bien plus intéressantes que les gens !
Nous : Vous vous sentez plus proche de la vision de Paris de Maurice Leblanc ou de celle d'Umberto Ecco ?
François Darnaudet : Léo Malet et Tardi ! Ou plus exactement un auteur français nommé Bernard Chapuis qui est l'auteur d'un sublime roman introuvable : Terminus Paris.
Nous : Quelle est la recette du "roman populaire" ?
François Darnaudet : Aucune recette... mais un double devoir de suspense et de vitesse !
Nous : Dites-nous en un peu plus sur la société des Gardiens, que vous créditez dans les remerciements des Dieux de Cluny ?
François Darnaudet : Je crois que j'en ai à la fois trop dit et pas assez sur les gardiens des fissures... Admirez la sublime illustration de Pierre Massine pour Les Dieux de Cluny et vous en saurez plus sur ces énigmatiques personnages ! Vous comprenez leurs angoisses, imaginez leur savoir, leur vécu... ce regard inquiet, cette peau parcheminée, ces cicatrices... ! Une belle peinture enseigne souvent beaucoup plus qu'un long discours !
Nous : La question évidemment que l'on ne peut pas ne pas poser. Est-ce que Les dieux de Cluny est le début d'une longue et belle série ?
François Darnaudet : Un troisième volet après Le fantôme d'Orsay et Les Dieux de Cluny est envisageable pour percer le secret des fissures européennes... mais, en ce moment, je travaille sur une autre thématique populaire et historique: L'Atlantide ! Cette fois, j'avoue subir une influence de type Edgar P. Jacobs (un Belge encore !)
La chronique de 16h16 !