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Interview de Julien Blondel
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Interview de Julien Blondel

ActuSF : Comment avez-vous découvert la bande dessinée et pourquoi vous tournez-vous aujourd'hui vers ce média ? Qu'est-ce qui vous intéresse dans la BD après vos expériences en journalisme et dans le jeu de rôle et le jeu vidéo notamment ?
Julien Blondel : J’ai découvert la bande dessinée assez tard et de façon détournée, grâce à l’adaptation en jeu de rôles de l’univers des Métabarons chez les Humanoïdes Associés. J’en lisais assez peu avant cela, je n’y connaissais pas grand-chose, hormis quelques classiques, et même si je compense un peu mon retard aujourd’hui, je n’ai toujours pas de vraie « culture » de la bande dessinée, au sens où je ne suis pas « tombé dans la marmite quand j’étais petit » et où mes sources d’inspiration viennent surtout du roman, de la musique et du cinéma. Le passage aux Humanos et le travail d’adaptation sur les Métabarons m’ont permis de découvrir un nouveau potentiel en terme de narration, un moyen différent de développer des univers en choisissant d’emblée d’y raconter mes propres histoires, après avoir surtout cherché à créer des moteurs, à façonner des blocs de « matière brute » laissés volontairement à l’imagination des joueurs. Je vois la bande dessinée comme un prolongement logique, une façon de finaliser ce travail de développement en me concentrant sur une histoire. Le jeu de rôles est une formidable école pour ça, un atelier d’apprentissage énorme en terme de création. C’est un média sous-estimé, peut-être parce qu’il est trop souvent réduit à un loisir pour étudiants en mal d’elfes et de boules de feu, mais c’est sûrement le plus complet et le plus exigeant que je connaisse. Savoir combien coûte une épée, quelle langue parlent les habitants de l’île du bout du monde ou comment préparer une potion de soins, ça aide à inventer des univers crédibles.

ActuSF : Votre bio sur votre site évoque en parlant de vous un véritable raconteur d'histoires. Comment est née cette passion pour « raconter » ? Vous avez « une » histoire en tête ?
Julien Blondel : Je crois qu’on aime tous raconter des histoires, j’ai juste la chance d’en vivre et d’avoir pu en faire « un vrai métier », mais cette envie d’écrire est venue dès l’enfance. J’ai grandi dans les livres, j’ai passé beaucoup de temps à voyager « seul dans ma tête » en lisant du Tolkien ou du King. Je viens de cette génération « livres dont vous êtes le héros », club de jeu de rôles et cartes imaginaires dessinées dans les marges pendant les cours de maths… Après, qui sait, si j’avais griffonné pendant les cours de français, j’aurais peut-être fini banquier ?

ActuSF : Vous semblez attiré par les genres de l'imaginaire (SF, Fantastique...). Qu'est-ce qui vous intéresse dans ces genres ?
Julien Blondel : C’est avant tout une question de culture, les premières œuvres qui m’ont vraiment marqué étaient des films et des romans de genre, et quand on a 10 ou 12 ans, l’univers de Tolkien interpelle un peu plus que Le Père Goriot de Balzac… Ca a ouvert certaines fenêtres, ça m’a amené ensuite vers des choses plus classiques, mais avec un regard sans doute un peu particulier. J’ai très envie d’aller vers du roman plus intimiste, d’abandonner le côté « fiction » pour me concentrer sur de la vraie tranche de vie sale, mais j’apprécie de pouvoir mêler les deux quand j’écris aujourd’hui, d’utiliser la force d’évocation, la liberté et la richesse des univers imaginaires pour développer des histoires vraies, des dimensions tragiques, des personnages cassés… Ecrire de la fiction, ça reste un des meilleurs moyens de dire la vérité.

ActuSF : Parlons plus spécifiquement des Orphelins de la Tour avec Thomas Allart. Comment vous êtes-vous rencontrés et qu'est-ce qui vous a donné envie de travailler avec lui ?
Julien Blondel : J’ai rencontré Thomas via le Zarmatelier, un atelier de dessinateurs installés sur Marseille. Je travaillais déjà avec certaines crapules du groupe sur des travaux d’illustration de jeu de rôles et j’intervenais de temps en temps pour parler scénario dans les cours de BD qu’ils donnaient à de jeunes auteurs. Thomas venait de finir sa série Pandora, il cherchait une nouvelle histoire, on a fait connaissance et le courant est passé. C’est quelqu’un de passionné, de généreux et d’extrêmement talentueux. Il a cette faculté d’entrer complètement dans un univers, de se balader dans le monde imaginaire avec une caméra et un carnet de croquis pour mieux comprendre les dimensions, traquer les petits détails, ressentir les ambiances… C’est un régal de travailler ensemble.

ActuSF : Comment est née cette histoire ? Qu'aviez-vous en tête avant de la commencer ?
Julien Blondel : A l’origine, c’est un projet de roman que je voulais écrire il y a quelques années, mais je manquais cruellement de temps pour m’y mettre sérieusement, et je crois surtout que l’écriture demande une certaine forme de maturité de style et de construction que j’étais loin d’avoir à cette époque. Le projet s’est lentement rendormi, mais le contexte et les enjeux des personnages sont restés très actifs. Quand Thomas m’a parlé de ce qu’il recherchait, de ce qu’il avait envie de raconter, on a tout de suite senti que ce projet correspondait. L’histoire a beaucoup évolué, Thomas se l’est appropriée, on en a fait quelque chose de commun, mais avec le recul, je crois qu’elle était faite pour la bande dessinée beaucoup plus que pour le roman.

ActuSF : Comment la présenteriez-vous à quelqu'un qui ne l'a pas encore lue ? Quelles ont été vos influences pour cet album ?
Julien Blondel : Pour moi, c’est l’histoire d’un enfant dans une mégalopole en pleine transformation. Quand j’avais l’âge du petit Théo, le personnage central de la série, New York était pour moi « la plus grande ville du monde et du futur ». J’ai eu la chance d’y aller encore adolescent, et ça m’a bouleversé. Les perspectives, le bruit, les gens, l’ambiance SF : c’est une ville fascinante, et ça reste un symbole aujourd’hui, l’incarnation d’une certaine architecture, d’une mutation constante et d’une interaction troublante entre l’homme et le béton. La façon dont cette ville évolue me fascine, mais plus qu’une vision très futuriste, j’avais envie de creuser cette période de transformation, de grands travaux… Le moment où les choses se construisent ou s’effondrent est toujours plus intéressant que l’étape aboutie, car il permet de s’intéresser aux réactions, aux doutes et aux angoisses des gens qui vivent ce changement. C’est certainement pour ça que la série oscille entre le réalisme et la pure science-fiction, un mélange d’anticipation, de fantastique, de sentiments, de réflexions, de société, à mi-chemin entre Akira, Dark City et Bienvenue à Gattaca.

ActuSF : Qu'est-ce qu'on peut dire de la suite ? Est-ce que vous pouvez donner quelques pistes aux lecteurs ?
Julien Blondel : Très honnêtement, c’est difficile d’en dire beaucoup sans en gâcher au moins un peu… La série comptera quatre tomes, ce qui nous laisse le temps de bien développer les personnages et d’avancer progressivement dans les révélations, notamment sur le passé de Théo, la vraie nature de ses visions et les relations complexes entre les différents personnages secondaires. Il y a quelque chose de frustrant dans le premier tome, le sentiment d’une mise en place un peu trop lente ou d’un format un peu trop court… Ca correspond au rythme qu’on voulait donner avec Thomas sur ce projet, mais ça devrait s’accélérer sensiblement dès le prochain, avec une montée en puissance sur le personnage d’Ambre, les secrets de cette mystèrieuse Tour et le passé d’Alice… Pour ceux qui veulent en savoir plus, Thomas a ouvert une petite fenêtre sur son atelier dans la section BD du site Café Salé : http://www.cfsl.net/forum/viewtopic.php?t=43665

ActuSF : Sur quels projets travaillez-vous ? Et quelles sont vos envies pour la suite ?
Julien Blondel : Beaucoup de bande dessinée en ce moment, je me régale à travailler de front sur des séries très différentes et à passer d’un univers à l’autre. En parallèle d’Alice, le deuxième tome des Orphelins de la Tour, je viens de boucler le troisième tome d’Akademy, une série contemporaine façon « série télé » que je développe avec Anne Rouvin et Kepon chez Delcourt, et on attaque le quatrième qui clôturera le première saison en moins d’un an pour les lecteurs. J’avance aussi avec Jaouen sur le tome 2 de Nova, une série space opera éditée chez Soleil, très inspirée par la tragédie grecque, et sur la suite d’Actor’s Studio, une série manga en collection Shogun des Humanos, qui traite des snuff movies et de la téléréalité. Pour l’an prochain, je travaille déjà sur un nouveau projet de manga, certainement en one-shot dans la lignée de Domu, et je prépare une adaptation de la légende de Gilgamesh un peu plus dure et plus barbare que l’image qu’on s’en fait. Après, il y a déjà beaucoup d’autres chantiers en route, dont une adaptation d’Antigone, des livres en collectifs et des projets de séries pour la télévision, mais j’imagine qu’on aura l’occasion d’en reparler…

ActuSF : Votre CV est impressionnant. Vous avez l'air d'un bourreau de travail. Comment organisez-vous vos journées ?
Julien Blondel : Ah ah ! Je me lève tôt avec la France, je travaille plus pour gagner plus, et je sors autant que possible pour me coucher moins bête le soir…

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