
Julien Heylbroeck : Julien Heylbroeck, 33 ans. Je suis né à La Rochelle, j’ai fait des études d’histoire et de sociologie avant de finalement devenir assistant social. Je travaille aujourd’hui dans une association, auprès de demandeurs d’asile. Après La Rochelle et Paris, je vis à présent sur Angers.
J’ai commencé par écrire de manière professionnelle avec le jeu de rôle, en proposant des livres contenant univers et scénarios pour jouer autour d’une table. Je l’ai fait durant plusieurs années. Et puis, j’ai eu envie de m’amuser avec mes propres jouets, de raconter moi-même les histoires qui me faisaient envie plutôt que de les livrer clefs en main aux joueurs. J’ai commencé à écrire de la littérature populaire début 2011.
Depuis, j’ai essayé d’aborder différents genres, avec une prédilection pour le fantastique, les monstres, les histoires un peu rock’n’roll…
Actusf : Chaque chapitre est un titre de morceau de stoner rock. Tu es fan du genre ? Quel groupe recommanderais-tu tout spécialement au néophyte qui aurait découvert ce courant avec ton roman ?
Julien Heylbroeck : Tout est parti d’une découverte presque fortuite, un nom lâché par un ami à propos d’un disque acheté par ma copine… Une référence musicale qui m’a fait découvrir tout un pan de musique, un courant du rock dont j’ignorais tout. J’étais royalement passé à côté du stoner rock et même, finalement, des groupes des années 1970 qui ont permis à ce courant d’émerger et de ses figures tutélaires.
Quand j’accroche à quelque chose, un courant musical, un auteur, un style, j’ai tout de suite envie de l’explorer, de me documenter. Avec le stoner, je suis carrément tombé dedans et j’ai bu la tasse. Et même, j’en ai redemandé ! Ces morceaux à la fois planants et puissants m’ont beaucoup parlé. Je crois qu’à différentes étapes de sa vie, on peut tomber sur des sons qui sont pile-poil ce que vous cherchiez, sans même le savoir, parfois. Ça me l’a fait à la fin des années 1990 avec le rock industriel de Nine Inch Nails. Là, cela a été pareil avec le stoner… Comme si ce son là, ce son précis, avait attendu le bon moment pour se manifester à vos oreilles.
Le stoner, c’est un genre assez discret mais un univers d’une grande richesse, qui se décline en différentes familles, suivant les orientations blues, hardcore ou metal… Certains titres sont bien psychédéliques et les groupes surfent sur toute une culture populaire de SF, de cinéma bis, avec des textes décalés… Je trouvais cette musique propice à un délire mystique mais un trip qui pouvait également flirter avec la série B. Un mélange détonnant, qui m’a beaucoup inspiré.
Pour bercer des oreilles vierges du doux son du stoner, je proposerais d’aller piocher dans les premiers Queens Of The Stone Age. Ce groupe a été fondé par des transfuges de Kyuss. Il propose un rock bien sympa, avec des accents stoner mais tout en restant super accessible pour le néophyte.
Ensuite, si la greffe a bien pris, il faut remonter aux sources, avec, bien évidemment, Kyuss, le groupe le plus « stonerien » du stoner rock. Un son lourd, hypnotique… Moins easy listening peut-être mais très puissant.
Ce ne sera là que le début d’une odyssée auditive qui s’annonce riche et passionnante. Parce qu’il faudrait aussi pouvoir causer du doom, le côté obscur du stoner, avec des groupes comme Electric Wizard…
Je pense que la playlist construite par les titres de chapitres propose déjà quelques albums à écouter, même si évidemment, ce ne sont là que des références personnelles.
Actusf : Josh est un parfait anti-héros, un junkie, un Doc Défonce. C’était jouissif à écrire ?
Julien Heylbroeck : Très plaisant, clairement. Josh se défonce, est ironique, grande gueule. Même quand il sait pertinemment qu’il va morfler, il l’ouvre, c’est plus fort que lui. Il assure pas toujours, doute, flippe mais insiste quand même pour se foutre de plus en plus dans les emmerdes. Tout ça parce qu’il est raide dingue de sa nana. Il affiche des principes mais bon, ces derniers ne pèsent pas toujours lourds face à la dope ou l’urgence de la situation. Cependant, au fond, je pense que son code de conduite dicte pas mal de ses choix, même s’il ne s’en rend pas toujours compte…
Actusf : Tu convoques la figure de Lancelot, mais également celle d’Orphée, les grands mythes littéraires de l’amour absolu. Josh est-il un chevalier des temps modernes ? Et, finalement, Stoner Road ne serait-il pas un roman un peu fleur bleue ?
Julien Heylbroeck : Je plaide coupable. Je voulais une sorte de relecture un peu trash, moderne, des grandes histoires d’amour traditionnelles. C’est peut-être cliché comme posture mais c’est dans les vieux pots, tout ça, tout ça… De plus, décliner une trame connue permet aussi de jouer avec, de s’en éloigner pour mieux y revenir. Josh est chevaleresque à sa manière, disons. Il fonce dans les filets du méchant pour aller sauver sa bien-aimée. Ça conditionne même ses trips, où il se retrouve avec une épée genre Excalibur…
Il y a effectivement un côté « fleur bleue », le héros agit par amour, un amour inconditionnel qui le pousse à tout risquer. Mais j’espère que cette fleur ressemble finalement plus à un pictogramme sur un buvard qu’à une rose d’héraldique.
Actusf : Le côté road book est facile à voir, mais tu empruntes également au cinéma le genre du buddies movie.
Julien Heylbroeck : Je suis un gros fan de films de ce genre. Le duo de héros que tout oppose, qui ne font que se vanner tout en développant des liens forts dans l’adversité, c’est un pan entier de ma culture ciné, une sorte de madeleine de Proust sur pellicule. Je pense à Double Détente, L’Arme Fatale, Tango et Cash, 48 heures, etc.
Je trouve qu’avec ce genre, on peut aborder des sujets forts comme l’amitié, la tolérance, la solidarité. On peut aussi pas mal travailler l’évolution des personnages et de leurs préjugés… Tout en se faisant plaisir au niveau des dialogues, des reparties.
C’est un régal à mettre en scène. Le toxico libertaire et le redneck réactionnaire, un duo de choc… De quoi écrire pas mal d’engueulades, vu qu’ils passent beaucoup de temps en tête à tête, en bagnole, au milieu de nulle part…
Actusf : Stoner Road est une vraie galerie de freaks ! Comme si tu donnais des États-Unis une image grotesque et déformée. Pourquoi ce choix ?
Julien Heylbroeck : Je voulais proposer une Amérique white trash, chère à des artistes comme Rob Zombie, dont j’apprécie l’œuvre globale (ciné, zique…), explorer les petits bleds ruraux peuplés de gens bizarres qu’on voit parfois dans les slashers. Souvent, ce sont des figures menaçantes, monstrueuses et honteusement cachées par leurs proches. Ce sont d’ailleurs souvent des antagonistes, des tueurs, des détraqués qui menacent les personnages principaux. Dans Stoner Road, j’ai voulu qu’on les voie au grand jour. Et leur donner un autre rôle car pour la plupart, ils viennent en aide aux deux héros.
J’adore la figure du « monstre », ce qu’il renvoie chez les lecteurs, les réflexions sur la différence… J’aime les « humaniser » quand ce sont des créatures fantastiques (ou, pour Stoner Road, rappeler qu’ils n’ont jamais cessé d’être humains), leur donner un côté « monsieur Tout-le-monde », les mêler au reste des gens. J’en parsème le plus possible mes textes. Même quand le style ne s’y prête pas forcément, j’essaie parfois d’en caser, c’est dire…
J’ai dans les tuyaux un autre roman qui se passe dans ces mêmes USA peuplés de freaks où, là encore, les personnages sont légèrement « spéciaux »… Ce n’est pas une suite mais disons que ça se passe dans le même univers.
Actusf : En plus d’écrire des romans, tu en diriges. Tu nous racontes l’aventure TRASH, ta maison d’édition ?
Julien Heylbroeck : TRASH Éditions a été créée par Artikel Unbekannt et moi-même. Nous avons été fortement aidés par Robert Darvel, du Carnoplaste. Nous sommes partis du principe que cela faisait trop longtemps qu’il n’y avait plus de littérature bien dégueulasse en France. Avec la fin de la collection Gore, au Fleuve Noir, en 1990, les étals de boucherie… pardon, de librairie, manquaient singulièrement de rouge tripes. Nous envisagions un temps de proposer une collection ou un label rouge (forcément) à un éditeur avant de finalement se lancer dans le grand bain et de nous débrouiller tout seuls. C’était en juin 2013, il y a tout juste un an. Depuis, nous avons publié neuf romans. Des livres signés par des auteurs débutants mais aussi par deux anciens de la collection Gore. Nous espérons être ainsi considérés comme les dignes bâtards de cette mythique aventure éditoriale qui compta, en son temps, 118 titres.
TRASH, ce sont six romans publiés par an. Prochaine vague pour 2014, au second semestre, les numéros 10, 11 et 12 avec, notamment, un inédit de Brice Tarvel. Je voudrais également citer nos trois illustrateurs, Willy Favre (qui a aussi signé un titre sous le pseudonyme de Brain.Salad), Vitta Van Der Vulvv et Deshumanisart qui nous mitonnent des couvertures chatoyantes parfaitement dans l’esprit.
Puisque le but est aussi de se faire plaisir, j’ai signé deux textes dans cette collection, sous des pseudos plus ou moins reconnaissables. Et j’ai bien l’intention de continuer car TRASH est aussi un moyen d’explorer, de pousser le genre de l’horreur dans ses retranchements, de secouer un peu le cocotier et de tripoter ensuite la cervelle du singe qui s’est fracassé le crâne en tombant.
Actusf : Où peut-on te retrouver sur le Net ?
Julien Heylbroeck : Je tiens un blog, L’Œil Cannibale, à cette adresse. J’y parle de mes projets en cours, de mes coups de cœur ciné ou bouquins et j’essaie de tenir à jour « Mes 5 albums du mois », une rubrique où je chronique rapidos des disques que j’apprécie.
Sinon, j’ai un compte Facebook, demandez-moi en ami, j’ai besoin de vies pour Candy Crush.
Actusf : Sur quels projets travailles-tu actuellement ?
Julien Heylbroeck : J’ai plein de projets, pas assez de temps par contre mais bon, on ne va pas s’arrêter à ce petit détail.
Je planche actuellement sur un fascicule pour Le Carnoplaste. Invité par Robert Darvel à participer à sa collection sur le Système solaire en 1920 qui propose un roman par planète, je me charge de Saturne avec Soviets sur Saturne, une histoire d’invasion soviétique dans les anneaux de la géante gazeuse.
Je vais également me lancer dans une nouvelle aventure médiévale du docteur Barbet, le héros de Pestilence, chez TRASH.
Si on rajoute le projet dont je parle plus haut dans la lignée de Stoner Road et un truc sur les Gueules cassées de 14-18 qui me tient à cœur, j’ai de quoi m’occuper un moment.
Sans compter les relectures que je fais sur Le Dernier Vodianoï, mon premier roman, une histoire mêlant fantastique russe et rouages du pouvoir soviétique, et Merhaba – un polar autour de la demande d’asile en France – afin de les peaufiner autant que possible…