Roma Eterna :
Actusf : Ce livre est en fait une anthologie qui rassemble onze histoires si l'on compte le prologue. Comment avez-vous conduit l'ensemble du projet ? Avez-vous écrit ces nouvelles sur plusieurs années et si oui, comment en avez-vous assuré la cohésion ?
Robert Silverberg : En fait j'ai écrit la dernière histoire en premier, aux alentours de 1989. Puis je me suis rendu compte que cette idée méritait d'être développée plus longuement, j'ai donc créé une charte de cet empire romain alternatif, en commençant par le point de divergence, juste après le règne de Constantin le Grand, jusqu'à cet autre XXème siècle dont il était question dans la nouvelle. Progressivement, j'ai rempli les blancs avec une liste d'évènements d'importance. Et puis, quand l'envie m'en prenait, j'écrivais une nouvelle. Pas forcément dans l'ordre chronologique. Ça m'a pris douze ou treize ans pour mener le projet à son terme, mais durant tout ce temps j'avais en permanence à l'esprit toute l'Histoire de mon Empire. Je n'avais plus qu'à choisir quelle époque je voulais dépeindre.
Actusf : Roma Eterna n'est pas votre première uchronie, mais d'une certaine manière on pourrait considérer cet exercice un peu particulier comme un sous-genre un peu marginal de science fiction. Est-ce symptomatique de la vision que vous avez de la SF d'aujourd'hui ? Certains de vos collègues, comme Bruce Sterling ou Michael Moorcock semblent très inquiets de l'évolution du genre, qu'ils voient devenir de plus en plus ennuyeux. Partagez-vous leur sentiment, et Roma Eterna est-il un moyen de prendre vos distances avec une SF plus traditionnelle ?
Robert Silverberg : "Devenir ennuyeux", c'est déjà une manière d'influer sur ma réponse. A vrai dire je ne lis plus beaucoup de science fiction, donc je ne peux pas vous dire si elle devient ennuyeuse ou pas. En revanche je ne suis très inquiet de l'évidente proéminence des pressions commerciales que les maisons d'éditions exercent sur la SF américaine. Cela dit je n'écris pas en fonction de ce genre de critères, mais plutôt en fonction de ce qui me semble être intéressant. Pas plus d'ailleurs que je ne considère l'uchronie comme un sous-genre marginal.
Actusf : Votre parfaite connaissance de l'histoire européenne n'est plus à démontrer, mais pourquoi avoir choisi de vous intéresser à l'empire romain ?
Robert Silverberg : Rome est à l'origine de l'eurocentrisme moderne. Les Grecs nous ont légué de grandes idées, mais c'est Rome qui a créé l'Europe, et par bouturage, les Amériques. Son influence a même atteint l'Afrique et l'Asie. Tout ce qui influe sur l'histoire de Rome, influe sur la planète toute entière.
Actusf : Votre passion pour l'histoire est bien connue, alors vous êtes-vous inspiré de l'Histoire d'autres grands empires pour construire la frise chronologique de Rome éternelle ?
Robert Silverberg : Je me suis appuyé sur mes connaissances des civilisations grecques et byzantines ainsi que sur l'histoire de royaumes plus anciens, comme Sumer ou l'Egypte, et les civilisations précolombiennes, mais mon principal souci restait Rome. Toutes les autres influences ne se sont imposées que par les nécessités de l'histoire.
Actusf : Est-ce que cela vous a demandé beaucoup de recherches ?
Robert Silverberg : Oui, énormément.
Actusf : J'ai été frappé par le fait que tous vos protagonistes (à l'exception de celui de La légende de la forêt veniane), sont tous, ou des patriciens ou issus de famille de patriciens. Etait-ce un choix délibéré de votre part de ne pas explorer certains aspects de la civilisation romaine, comme l'esclavage ou la pauvreté ?
Robert Silverberg : Je voulais que chaque nouvelle illustre l'un des moments critiques de mon histoire de Rome. Les mouvements populaires peuvent bien entendu avoir une certaine importance, mais il faut bien admettre que, la plupart du temps, l'histoire est fait par les patriciens, pas par les plébéiens. Shakespeare écrivait bien sur les rois et les princes après tout, ainsi que sur des personnages comme Coriolanus, Marc-Antoine ou Jules César. Il ne choisissait pas des paysans comme protagonistes de ses pièces historiques.
Actusf : Comme vous le savez l'empire romain est l'un des grands fantasmes de l'histoire européenne, et il peut être relié à beaucoup d'autres épisodes des siècles passés (de Charles Quint jusqu'au IIIème Reich, en passant par les conquêtes napoléoniennes). Pensez-vous que votre livre sera perçu différemment en Europe qu'aux Etats-Unis ?
Robert Silverberg : Je n'en ai pas la moindre idée. Ce sera aux européens de me le dire. J'ai largement emprunté à l'histoire de France pour l'une des dernières histoires du recueil, mais je n'ai eu jusqu'à présent aucune réaction à ce sujet.
Actusf : Pensez-vous que l'édification de la Communauté Européenne peut être vue comme la réminiscence de ce vieux fantasme ?
Robert Silverberg : La CEE ? Une nouvelle Rome ? J'en doute. Une monnaie commune ne suffit pas à faire un empire. La CEE est certes un grand progrès en regard de cette Europe querelleuse qui a donné au monde les guerres de 1871, 1914 et 1939, mais les intérêts de ses différents membres sont trop éloignés les uns des autres pour aboutir à une réelle unité d'ici la fin de ce siècle. Tout ce que la France a en commun avec la Pologne, la Hongrie ou la Finlande, c'est l'euro. Par ailleurs la mentalité pacifiste qui prévaut dans les nations d'Europe de l'Ouest, nous préserve de toute répétition des conquêtes dans le style de l'empire romain hors de la CEE, comme l'a récemment démontré le manque de coopération dont la France et de l'Allemagne ont fait montre lors l'aventure américaine en Irak.
Actusf : Même si vous avez toujours pris soin d'éviter tout engagement politique, il est impossible de lire Roma Eterna, sans penser à l'état actuel du monde. Votre livre peut-il être vu comme une sorte de mise en garde contre un impérialisme aussi bien américain qu'européen ?
Robert Silverberg : Evidemment qu'il PEUT être vu comme ça, mais ce n'était absolument mon intention. Mon but était de me livrer à une extrapolation à partir d'une histoire alternative, pas d'écrire un manifeste politique. Par ailleurs je ne pense pas que l'impérialisme soit nécessairement mauvais (l'Afrique se porte-t-elle mieux maintenant que lorsqu'elle était sous l'influence de l'Europe ?), et en outre, je n'aurais en aucun cas écrit quelque chose d'aussi simpliste qu'une "mise en garde contre l'impérialisme".
En plus, n'oubliez pas qu'il y a de cela quinze ans, lorsque j'ai entamé l'écriture de ces nouvelles, l'état du monde était bien différent de ce qu'il est depuis que les forces de l'Islam radical ont lancé leurs attaques contre la civilisation occidentale. Si je devais mettre en garde contre quelque chose aujourd'hui, ce que je me garde bien de faire, ce serait contre ces gens qui veulent restaurer le Califat, plutôt que contre un quelconque impérialisme américain ou européen.
Actusf : Puisqu'il y a beaucoup de trous dans votre chronologie de la Rome Eternelle, avez-vous déjà prévu un Roma Eterna II ?
Robert Silverberg : Il est possible que j'écrive d'autres nouvelles romaines si l'envie m'en prend, mais je vois mal comment je pourrais faire un second tome. Je pourrais toujours intercaler de nouvelles histoires dans de futures rééditions. Pour l'instant je n'ai absolument pas prévu de revenir à ma Rome alternative, mais j'ai un lourd passé de versatilité dans mes projets.
Carrière :
Actusf : Il y a t'il encore des directeurs littéraires de l'acabit de la redoutée Alice K. Turner, qui osent encore vous tenir tête ?
Robert Silverberg : A dire vrai, je n'ai jamais vraiment "redouté" Alice Turner. Mais lorsqu'elle était ma directrice littéraire pour Playboy, j'avais pour elle beaucoup d'affection et de respect. Je prêtais la plus grande attention à ses suggestions éditoriales.
Je ne m'oppose plus guère aux suggestions éditoriales maintenant, mais de toutes les façons il n'y a plus grand monde aujourd'hui, capable de faire montre de la même acuité qu'Alice. Et puis d'une manière plus générale, je suis devenu une sorte de monstre sacré, de sorte que bien peu d'éditeurs (qui sont, pour la plupart, moitié plus jeunes que moi) tendent à penser que si j'écris quelque chose de telle ou telle manière, c'est que je dois avoir une bonne raison de le faire, alors ils me laissent faire. Ce qui n'est pas toujours une bonne chose. Généralement je peux justifier de chacun de mes partis pris, mais ça ne veut pas dire que ce soit la meilleure manière de raconter mon histoire, et au long de ma carrière on m'a régulièrement fait d'excellentes suggestions. Ma femme, Karen (9), qui elle-même est écrivain, porte souvent sur mon travail un regard très perspicace et absolument sans concession. Parfois, j'essaie de justifier mes choix, parfois je fais comme si de rien n'était et je persiste et signe, mais très souvent, j'admets la pertinence de ses critiques et j'opère quelques ajustements en conséquence.
Actusf : Avez-vous l'impression que votre "retraite" a radicalement changé votre rapport à l'écriture ?
Robert Silverberg : C'est un peu plus compliqué que ça. J'ai pris ma retraite vers 1974 / 1975, en partie parce que j'étais fatigué d'écrire, et en partie parce que je n'aimais les changements qui se profilaient alors à l'horizon dans le milieu de l'édition SF. Finalement je suis revenu à l'écriture, mais cette nouvelle politique éditoriale que je détestais tant n'avait pas disparu pour autant, au contraire, elle avait même totalement pris le contrôle du marché, ce qui m'a contraint, avec d'ailleurs un certain déplaisir, à procéder à quelques aménagements dans ma manière d'écrire. Mais expliquer tout ceci prendrait beaucoup trop de temps.
Actusf : Pourquoi êtes-vous si attaché aux prix qu'ont remportés vos écrits ?
Robert Silverberg : Mais ces prix ne sont pas si importants que ça à mes yeux. Evidemment, comme n'importe quel jeune auteur j'avais envie de remporter des Hugos ou des Nebulas, mais vous savez, une fois que j'en ai eu gagné plusieurs de chaque, mon intérêt pour la chose à considérablement diminué. Alors bien-sûr, j'aime remporter des prix. Qui n'aimerait pas ça ? Mais très franchement il y a bien longtemps qu'un Hugo ou un Nebula ne m'a pas empêché de dormir. C'est tout juste s'il m'arrive encore de jeter un -Sil sur la liste des auteurs nommés.
Actusf : Dans les introductions des nouvelles de ces 4 recueils, vous vous décrivez régulièrement comme un "vieux professionnel". Comment parvenez-vous à garder une fraîcheur authentique dans votre création ?
Robert Silverberg : Ca devient de plus en plus dur après cinquante ans de carrière.
Actusf : Est-ce qu'il vous arrive encore aujourd'hui d'écrire pour "payer le loyer"?
Robert Silverberg : Non. Même si je devais ne plus toucher le moindre sou pour ce que j'écris, je pense que je pourrais faire face sans grosses difficultés aux dépenses courantes de mon ménage, et ce jusqu'à la fin de mes jours.
Actusf : Vous parlez souvent du côté purement commercial du business de l'édition, et des gros chèques que vous recevez. En France, c'est une manière inhabituelle de parler du métier d'écrivain. Quel regard portez-vous sur cette attitude très française de ne pas mêler argent et création ?
Robert Silverberg : Je pense que c'est un mythe. Vous croyez vraiment que le gagnant d'un Prix Goncourt ne pense pas aux ventes supplémentaires que le prix va lui rapporter ? Est-ce que les écrivains français ne se plaignent pas que leurs éditeurs les escroquent sur leurs droits d'auteurs ? Georges Simenon - qui certes n'était pas français, mais presque - n'était-il pas très au fait des aspects financiers de sa carrière ? Croyez-vous qu'André Gide ne lisait pas ses contrats ?
C'est très simple. Ecrire est mon métier, et une carrière d'écrivain est spirituellement gratifiante, mais elle doit aussi l'être financièrement. J'aime à être payé, et bien payé, pour mon travail. N'importe quel fermier ou n'importe quel puisatier vous dirait la même chose.
La suite
Actusf : Ce livre est en fait une anthologie qui rassemble onze histoires si l'on compte le prologue. Comment avez-vous conduit l'ensemble du projet ? Avez-vous écrit ces nouvelles sur plusieurs années et si oui, comment en avez-vous assuré la cohésion ?
Robert Silverberg : En fait j'ai écrit la dernière histoire en premier, aux alentours de 1989. Puis je me suis rendu compte que cette idée méritait d'être développée plus longuement, j'ai donc créé une charte de cet empire romain alternatif, en commençant par le point de divergence, juste après le règne de Constantin le Grand, jusqu'à cet autre XXème siècle dont il était question dans la nouvelle. Progressivement, j'ai rempli les blancs avec une liste d'évènements d'importance. Et puis, quand l'envie m'en prenait, j'écrivais une nouvelle. Pas forcément dans l'ordre chronologique. Ça m'a pris douze ou treize ans pour mener le projet à son terme, mais durant tout ce temps j'avais en permanence à l'esprit toute l'Histoire de mon Empire. Je n'avais plus qu'à choisir quelle époque je voulais dépeindre.
Actusf : Roma Eterna n'est pas votre première uchronie, mais d'une certaine manière on pourrait considérer cet exercice un peu particulier comme un sous-genre un peu marginal de science fiction. Est-ce symptomatique de la vision que vous avez de la SF d'aujourd'hui ? Certains de vos collègues, comme Bruce Sterling ou Michael Moorcock semblent très inquiets de l'évolution du genre, qu'ils voient devenir de plus en plus ennuyeux. Partagez-vous leur sentiment, et Roma Eterna est-il un moyen de prendre vos distances avec une SF plus traditionnelle ?
Robert Silverberg : "Devenir ennuyeux", c'est déjà une manière d'influer sur ma réponse. A vrai dire je ne lis plus beaucoup de science fiction, donc je ne peux pas vous dire si elle devient ennuyeuse ou pas. En revanche je ne suis très inquiet de l'évidente proéminence des pressions commerciales que les maisons d'éditions exercent sur la SF américaine. Cela dit je n'écris pas en fonction de ce genre de critères, mais plutôt en fonction de ce qui me semble être intéressant. Pas plus d'ailleurs que je ne considère l'uchronie comme un sous-genre marginal.
Actusf : Votre parfaite connaissance de l'histoire européenne n'est plus à démontrer, mais pourquoi avoir choisi de vous intéresser à l'empire romain ?
Robert Silverberg : Rome est à l'origine de l'eurocentrisme moderne. Les Grecs nous ont légué de grandes idées, mais c'est Rome qui a créé l'Europe, et par bouturage, les Amériques. Son influence a même atteint l'Afrique et l'Asie. Tout ce qui influe sur l'histoire de Rome, influe sur la planète toute entière.
Actusf : Votre passion pour l'histoire est bien connue, alors vous êtes-vous inspiré de l'Histoire d'autres grands empires pour construire la frise chronologique de Rome éternelle ?
Robert Silverberg : Je me suis appuyé sur mes connaissances des civilisations grecques et byzantines ainsi que sur l'histoire de royaumes plus anciens, comme Sumer ou l'Egypte, et les civilisations précolombiennes, mais mon principal souci restait Rome. Toutes les autres influences ne se sont imposées que par les nécessités de l'histoire.
Actusf : Est-ce que cela vous a demandé beaucoup de recherches ?
Robert Silverberg : Oui, énormément.
Actusf : J'ai été frappé par le fait que tous vos protagonistes (à l'exception de celui de La légende de la forêt veniane), sont tous, ou des patriciens ou issus de famille de patriciens. Etait-ce un choix délibéré de votre part de ne pas explorer certains aspects de la civilisation romaine, comme l'esclavage ou la pauvreté ?
Robert Silverberg : Je voulais que chaque nouvelle illustre l'un des moments critiques de mon histoire de Rome. Les mouvements populaires peuvent bien entendu avoir une certaine importance, mais il faut bien admettre que, la plupart du temps, l'histoire est fait par les patriciens, pas par les plébéiens. Shakespeare écrivait bien sur les rois et les princes après tout, ainsi que sur des personnages comme Coriolanus, Marc-Antoine ou Jules César. Il ne choisissait pas des paysans comme protagonistes de ses pièces historiques.
Actusf : Comme vous le savez l'empire romain est l'un des grands fantasmes de l'histoire européenne, et il peut être relié à beaucoup d'autres épisodes des siècles passés (de Charles Quint jusqu'au IIIème Reich, en passant par les conquêtes napoléoniennes). Pensez-vous que votre livre sera perçu différemment en Europe qu'aux Etats-Unis ?
Robert Silverberg : Je n'en ai pas la moindre idée. Ce sera aux européens de me le dire. J'ai largement emprunté à l'histoire de France pour l'une des dernières histoires du recueil, mais je n'ai eu jusqu'à présent aucune réaction à ce sujet.
Actusf : Pensez-vous que l'édification de la Communauté Européenne peut être vue comme la réminiscence de ce vieux fantasme ?
Robert Silverberg : La CEE ? Une nouvelle Rome ? J'en doute. Une monnaie commune ne suffit pas à faire un empire. La CEE est certes un grand progrès en regard de cette Europe querelleuse qui a donné au monde les guerres de 1871, 1914 et 1939, mais les intérêts de ses différents membres sont trop éloignés les uns des autres pour aboutir à une réelle unité d'ici la fin de ce siècle. Tout ce que la France a en commun avec la Pologne, la Hongrie ou la Finlande, c'est l'euro. Par ailleurs la mentalité pacifiste qui prévaut dans les nations d'Europe de l'Ouest, nous préserve de toute répétition des conquêtes dans le style de l'empire romain hors de la CEE, comme l'a récemment démontré le manque de coopération dont la France et de l'Allemagne ont fait montre lors l'aventure américaine en Irak.
Actusf : Même si vous avez toujours pris soin d'éviter tout engagement politique, il est impossible de lire Roma Eterna, sans penser à l'état actuel du monde. Votre livre peut-il être vu comme une sorte de mise en garde contre un impérialisme aussi bien américain qu'européen ?
Robert Silverberg : Evidemment qu'il PEUT être vu comme ça, mais ce n'était absolument mon intention. Mon but était de me livrer à une extrapolation à partir d'une histoire alternative, pas d'écrire un manifeste politique. Par ailleurs je ne pense pas que l'impérialisme soit nécessairement mauvais (l'Afrique se porte-t-elle mieux maintenant que lorsqu'elle était sous l'influence de l'Europe ?), et en outre, je n'aurais en aucun cas écrit quelque chose d'aussi simpliste qu'une "mise en garde contre l'impérialisme".
En plus, n'oubliez pas qu'il y a de cela quinze ans, lorsque j'ai entamé l'écriture de ces nouvelles, l'état du monde était bien différent de ce qu'il est depuis que les forces de l'Islam radical ont lancé leurs attaques contre la civilisation occidentale. Si je devais mettre en garde contre quelque chose aujourd'hui, ce que je me garde bien de faire, ce serait contre ces gens qui veulent restaurer le Califat, plutôt que contre un quelconque impérialisme américain ou européen.
Actusf : Puisqu'il y a beaucoup de trous dans votre chronologie de la Rome Eternelle, avez-vous déjà prévu un Roma Eterna II ?
Robert Silverberg : Il est possible que j'écrive d'autres nouvelles romaines si l'envie m'en prend, mais je vois mal comment je pourrais faire un second tome. Je pourrais toujours intercaler de nouvelles histoires dans de futures rééditions. Pour l'instant je n'ai absolument pas prévu de revenir à ma Rome alternative, mais j'ai un lourd passé de versatilité dans mes projets.
Carrière :
Actusf : Il y a t'il encore des directeurs littéraires de l'acabit de la redoutée Alice K. Turner, qui osent encore vous tenir tête ?
Robert Silverberg : A dire vrai, je n'ai jamais vraiment "redouté" Alice Turner. Mais lorsqu'elle était ma directrice littéraire pour Playboy, j'avais pour elle beaucoup d'affection et de respect. Je prêtais la plus grande attention à ses suggestions éditoriales.
Je ne m'oppose plus guère aux suggestions éditoriales maintenant, mais de toutes les façons il n'y a plus grand monde aujourd'hui, capable de faire montre de la même acuité qu'Alice. Et puis d'une manière plus générale, je suis devenu une sorte de monstre sacré, de sorte que bien peu d'éditeurs (qui sont, pour la plupart, moitié plus jeunes que moi) tendent à penser que si j'écris quelque chose de telle ou telle manière, c'est que je dois avoir une bonne raison de le faire, alors ils me laissent faire. Ce qui n'est pas toujours une bonne chose. Généralement je peux justifier de chacun de mes partis pris, mais ça ne veut pas dire que ce soit la meilleure manière de raconter mon histoire, et au long de ma carrière on m'a régulièrement fait d'excellentes suggestions. Ma femme, Karen (9), qui elle-même est écrivain, porte souvent sur mon travail un regard très perspicace et absolument sans concession. Parfois, j'essaie de justifier mes choix, parfois je fais comme si de rien n'était et je persiste et signe, mais très souvent, j'admets la pertinence de ses critiques et j'opère quelques ajustements en conséquence.
Actusf : Avez-vous l'impression que votre "retraite" a radicalement changé votre rapport à l'écriture ?
Robert Silverberg : C'est un peu plus compliqué que ça. J'ai pris ma retraite vers 1974 / 1975, en partie parce que j'étais fatigué d'écrire, et en partie parce que je n'aimais les changements qui se profilaient alors à l'horizon dans le milieu de l'édition SF. Finalement je suis revenu à l'écriture, mais cette nouvelle politique éditoriale que je détestais tant n'avait pas disparu pour autant, au contraire, elle avait même totalement pris le contrôle du marché, ce qui m'a contraint, avec d'ailleurs un certain déplaisir, à procéder à quelques aménagements dans ma manière d'écrire. Mais expliquer tout ceci prendrait beaucoup trop de temps.
Actusf : Pourquoi êtes-vous si attaché aux prix qu'ont remportés vos écrits ?
Robert Silverberg : Mais ces prix ne sont pas si importants que ça à mes yeux. Evidemment, comme n'importe quel jeune auteur j'avais envie de remporter des Hugos ou des Nebulas, mais vous savez, une fois que j'en ai eu gagné plusieurs de chaque, mon intérêt pour la chose à considérablement diminué. Alors bien-sûr, j'aime remporter des prix. Qui n'aimerait pas ça ? Mais très franchement il y a bien longtemps qu'un Hugo ou un Nebula ne m'a pas empêché de dormir. C'est tout juste s'il m'arrive encore de jeter un -Sil sur la liste des auteurs nommés.
Actusf : Dans les introductions des nouvelles de ces 4 recueils, vous vous décrivez régulièrement comme un "vieux professionnel". Comment parvenez-vous à garder une fraîcheur authentique dans votre création ?
Robert Silverberg : Ca devient de plus en plus dur après cinquante ans de carrière.
Actusf : Est-ce qu'il vous arrive encore aujourd'hui d'écrire pour "payer le loyer"?
Robert Silverberg : Non. Même si je devais ne plus toucher le moindre sou pour ce que j'écris, je pense que je pourrais faire face sans grosses difficultés aux dépenses courantes de mon ménage, et ce jusqu'à la fin de mes jours.
Actusf : Vous parlez souvent du côté purement commercial du business de l'édition, et des gros chèques que vous recevez. En France, c'est une manière inhabituelle de parler du métier d'écrivain. Quel regard portez-vous sur cette attitude très française de ne pas mêler argent et création ?
Robert Silverberg : Je pense que c'est un mythe. Vous croyez vraiment que le gagnant d'un Prix Goncourt ne pense pas aux ventes supplémentaires que le prix va lui rapporter ? Est-ce que les écrivains français ne se plaignent pas que leurs éditeurs les escroquent sur leurs droits d'auteurs ? Georges Simenon - qui certes n'était pas français, mais presque - n'était-il pas très au fait des aspects financiers de sa carrière ? Croyez-vous qu'André Gide ne lisait pas ses contrats ?
C'est très simple. Ecrire est mon métier, et une carrière d'écrivain est spirituellement gratifiante, mais elle doit aussi l'être financièrement. J'aime à être payé, et bien payé, pour mon travail. N'importe quel fermier ou n'importe quel puisatier vous dirait la même chose.
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