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Un éclat de givre - Interview d'Estelle Faye
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Un éclat de givre - Interview d'Estelle Faye

A l'occasion de la réédition d'Un éclat de givre en collector aux éditions Actusf, on vous propose de redécouvrir cette interview d'Estelle Faye lors de la sortie de la première édition.
 

ActuSF : Après Porcelaine, on vous attendait certainement sur de la fantasy, mais Un éclat de givre relève plutôt de la science-fiction, non ?

 
Estelle Faye : Un éclat de givre se déroule à Paris, au vingt-troisième siècle, dans un monde où quatre-vingt-dix pour cent des terres sont devenus inhabitables, donc oui, c'est bien de l'anticipation, du roman post-apocalyptique. Du post-apocalyptique qui tient sur ses deux jambes scientifiquement parlant, c'était important pour moi, en tant qu'auteur, de mettre en place un futur crédible. Et en même temps, ce Paris du futur est une ville étrange, baroque, foisonnante, qui recrée sa propre mythologie, ses propres légendes. Même s'il n'y a pas dans le roman de surnaturel a proprement parler, le portrait de Paris flirte constamment avec le fantastique. De plus, toute l'histoire est vue au travers des yeux du héros, au travers des yeux de Chet. Et lui, pour le coup, voit vraiment sa vie comme un roman d'aventures, une quête de fantasy, avec beau chevalier blanc, antre du gnome, forêt maudite, sirènes, anges, monstres, paradis perdu... Le roman construit son équilibre entre ces deux pôles. D'un côté, le post-apo, la nostalgie des civilisations disparues, les mythes et les énigmes autour de l'ancien monde, la science déliquescente se changeant en magie dans le regard de ceux qui n'en saisissent que des bribes. Et de l'autre, la fantasy et tout ce qu'elle amène de flamboyant, de merveilleux, d'incarnation et de rêve. Un monde finit de mourir, un autre naît et croît au milieu des ruines, en se nourrissant des restes du passé, en les digérant et les amalgamant à sa propre chair.
 

ActuSF : Est-ce par esprit de contradiction que vous n'avez pas tout de suite poursuivi sur de la "pure" fantasy ?

Estelle Faye : J'ai beaucoup de mal à suivre un plan de carrière ! Plus sérieusement, ce qui m'importe avant tout, en tant qu'auteur, c'est de faire ce que l'histoire demande. De quelle manière cette histoire particulière doit s'écrire, et pourquoi. Après, bien sûr, je garde la question du genre en tête. Je reste persuadée qu'il faut bien connaître, de l'intérieur, les genres dans lesquels on évolue. Il faut avoir des bases pour pouvoir jouer avec. Mais le genre doit être au service de l'histoire, des personnages. Et s'effacer derrière eux.

ActuSF : Il y a dans votre nouveau roman une sorte de jubilation très "cape et épée", êtes-vous fan de ce style de récits ?

Estelle Faye : L'univers et les personnages de Givre me tournent dans la tête depuis des années. Cependant je me souviens très bien du moment particulier où j'ai décidé que c'était cette histoire que j'allais écrire, ici et maintenant. Je sortais d'une année assez lourde, j'avais lu coup sur coup plusieurs romans très bons mais très sombres, très pessimistes. L'actualité en général était morose, pour ne pas dire pire, pendant un mois de juin qui ressemblait trait pour trait à novembre... D'un coup j'ai eu envie de secouer tout ça, j'ai voulu écrire sur l'énergie, l'enthousiasme, et c'est pour ça que je me suis rapprochée des rythmes du roman de "cape et d'épées", du roman feuilleton aussi. De ces héros dont j'ai dévoré les aventures au cours de mon adolescence, Lagardère, Pardaillan, Rocambole... Des aventuriers qui se frayent un chemin dans des univers souvent très durs, très violents. Des héros qui se retrouvent cassés, brisés par l'existence, qui se prennent des coups mais se relèvent, toujours, qui ramassent leurs épées, se vengent de leurs anciens lieutenants, s'évadent du bagne en Guyane... Le véritable enjeu, dans le roman feuilleton, ce n'est pas que l'histoire finisse bien, c'est qu'elle continue, que la vie continue, qu'elle peut dans l'absolu continuer au-delà du livre. Cela témoigne d'un immense espoir au fond, et d'une sincère foi dans l'humanité, tous ces héros poissards, cabossés, le cœur mis en pièces, mais toujours acharnés à revenir, à reprendre l'aventure. Ces personnages sont dotés d'une vitalité incroyable, et ils communiquent un peu de cela au lecteur. Ces héros incarnent aussi, souvent, une aspiration à la liberté. Mais une liberté concrète, en action. Mine de rien, ils bousculent à leur manière les normes et les pesanteurs de leur société. Ici, je pense par exemple à Lagardère, dans Le Bossu. Au début du roman, c'est un gamin des rues, qui joue les "squelettes" vivants pour obtenir quelques pièces des passants. Puis il devient armurier, il vit un temps avec des bohémiens, il parcourt l'Europe entière, des bas quartiers jusqu'aux sphères de la haute finance, et aux bals de la cour... Il a vingt visages, vingt vies, ne se laisse arrêter ni par les classes sociales, ni par les frontières... C'est aussi cette liberté là que j'ai voulue pour Chet, pour mon héros dans Givre
 

ActuSF : Votre Paris post-apo est finalement presque un personnage à part entière, c'est une ville qui vous tient particulièrement à cœur ?

Estelle Faye : Paris, c'est une ville dont je ne peux pas me dépêtrer. Je l'arpente depuis que je suis môme, dès que je le peux, j'y marche à pied pendant des heures. Il y a là plein de lieux qui m'ont marqués, qui ont fait celle que je suis, les petits cinémas où j'allais voir vingt fois le même film, quand j'étais enfant, le cours de théâtre où j'ai monté mes premières troupes, les magasins de tissus de Montmartre, dans lesquels on se croit presque dans un Zola, dans Le Bonheur des Dames, et où nous nous fournissions pour les costumes... C'est une ville que je vois changer, aussi, ces dernières années surtout. Une ville que je vois devenir plus propre, plus lisse, moins réelle. Devenir un décor pour touriste plus qu'une vraie cité. Ce qui me laisse parfois un goût amer dans la bouche. La librairie des PUF a fermé juste devant la Sorbonne, et depuis, à la place, se succèdent des magasins de vêtements sans âme. Rien que cette année, on aura vu la fin de la Miroiterie, le squat musical de la rue de Ménilmontant. La fin de l'Orient Express, le petit cinéma des Halles, spécialisé dans les films de genres et les bizarreries. Dans les salles, pendant les projections, on entendait le grondement des RER qui passaient tout près. Ce sont des bribes de vraie ville qui s'en vont l'une après l'autre. Des bribes de vraie vie. Parfois j'ai l'impression que le Paris que j'aime se réfugie de plus en plus dans les interstices, dans les recoins de la nouvelle ville. Mais en même temps, ce Paris différent est toujours là, il se bat, il résiste. Il existe encore, et avec un peu de chance, un jour, il reprendra le pas sur la carte postale. Je l'espère, en tout cas je veux y croire. L'un des plaisirs de la littérature, c'est aussi de faire revivre des lieux disparus, ou créer des mondes dans lesquels on aimerait vivre. Cela peut paraître paradoxal, vu que "Givre" est un post-apo, mais mon Paris du vingt-troisième siècle, je l'aime, je l'ai bâti à partir de tous ces morceaux de ville qui me touchent, qui m'émeuvent. C'est presque une cité utopique, en ce sens. Certaines scènes urbaines assez irréelles de Givre sont inspirées de vrais moments vécus, à peine transposés dans le monde du roman. C'est l'un des charmes de cette ville, l'une des choses qui m'y retiennent. Ces instants étranges qui surgissent sans qu'on y prenne garde, au détour d'une rue.

ActuSF : Vous travaillez dans les milieux du cinéma, selon vous cela influe-t-il sur votre manière d'écrire ?

Estelle Faye : Écrire des scénarios me permet, par contraste, de mieux appréhender les spécificités de la littérature. Bien sûr le roman offre une liberté assez exceptionnelle, par rapport au cinéma. Il permet de recréer des univers entiers sans se poser des questions de moyens, de faisabilité ou de finances. Là, c'est le niveau un, ce dont on s'aperçoit d'emblée. Mais ce n'est que la surface des choses. Plus profondément, de façon plus fondamentale, là où le cinéma joue pour l'essentiel sur deux sens, la vue et l'ouïe, le roman peut vous faire entrer dans la peau même du personnage. Jouer vraiment sur nos cinq sens, sur le toucher, le goût, l'odorat aussi. Et au-delà, pouvoir ressentir tout ce que le héros éprouve, dans ses muscles, dans ses nerfs, dans sa chair. Ceci est d'autant plus vrai pour Givre, qu'il s'agit du premier roman que j'écris à la première personne. L'un des grands enjeux du roman a été de trouver la voix de Chet, de lui faire porter toute l'histoire. D'immerger le lecteur, non seulement dans un autre monde, mais dans un autre corps. Quelque chose de plus proche du jeu de rôle, ou du jeu vidéo, que du cinéma, au final.
 

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