Actusf : Y'a-t-il une traduction dont tu sois particulièrement contente ? Soit parce que tu aimes le texte, ou parce que tu as une super relation avec l'auteur ?
Mélanie Fazi : J'ai eu plusieurs belles expériences, mais je crois que je garde un faible pour "Lignes de vie" de Graham Joyce. J'ai l'impression qu'il s'est vraiment passé quelque chose de particulier avec ce roman. Parce que c'est un livre superbe qui m'a vraiment prise aux tripes, parce que j'étais impressionnée de traduire un auteur dont j'admirais déjà beaucoup les livres, parce que j'ai l'impression d'avoir beaucoup appris. Et parce que les échanges avec l'auteur ont toujours été très sympa, ce qui ne gâche rien.
Actusf : Comment te places-tu sur la question du "style" ? Comment arrives-tu à conserver le style d'un auteur comme Graham Joyce par exemple ?
Mélanie Fazi : Je crois que c'est quelque chose d'assez instinctif, en fait. Toute la difficulté consiste à essayer de "sentir" le style et de s'y fondre ensuite pour réécrire le texte à la façon de l'auteur, mais dans une langue qui fonctionne différemment. C'est un travail qui se fait sur l'ensemble du texte, plutôt que phrase par phrase : paradoxalement, on peut s'éloigner
énormément de la structure des phrases tout en produisant une traduction qui restitue le rythme, le vocabulaire, les niveaux de langue. J'ai même de plus en plus l'impression que cet éloignement est nécessaire, puisque le français et l'anglais sont deux langues si différentes. Un effet qui fonctionne en anglais tombera à plat si on ne l'adapte pas aux exigences de la langue française (parfois au prix de pas mal de contorsions).
Pour ce qui est de Graham Joyce, son style a plusieurs particularités que je trouve intéressantes. D'abord, ses dialogues sont souvent brillants et jouent beaucoup sur les registres de langue, surtout quand ses personnages appartiennent à différentes classes sociales. C'est assez ludique à traduire. Je me suis bien amusée avec les dialogues des hippies ou de Maman Cullen dans "Les limites de l'enchantement" par exemple. Ensuite, j'ai remarqué qu'il adopte deux voix différentes dans ses récits. Une qui est plus simple, plus narrative, et une autre qu'il réserve à des envolées qui ont un souffle bien particulier. L'exemple le plus marquant pourmoi, c'est la scène du bombardement de Coventry dans "Lignes de vie". Dans ce passage-là, j'ai vraiment essayé de faire un travail sur le rythme et la concision pour garder le souffle de l'original. J'avais l'impression que tout le passage tomberait à plat s'il y avait ne serait-ce qu'une
syllabe en trop pour casser le rythme.
Actusf : C'est un auteur difficile ou simple à traduire ?
Mélanie Fazi : J'appréhendais beaucoup de le traduire, mais avec le recul, j'en garde le souvenir d'un travail finalement assez facile. Comme je le disais, j'ai prêté une grande attention au rythme, aux sonorités, j'ai vraiment fait mon possible pour le traduire au mieux, mais je n'ai pas l'impression que ça m'ait demandé un tel effort. C'est peut-être simplement une question
d'adéquation : j'aime son style et ses personnages, je me sens à l'aise dans son univers. Du coup, j'aborde la traduction de ses livres avec un tel plaisir que ça me facilite sans doute la tâche.
Actusf : Tu as obtenu un prix pour la traduction de Ligne de Vie. J'imagine que c'était une belle récompense non ?
Mélanie Fazi : C'est effectivement un bel encouragement et ça m'a touchée que ce soit pour ce roman-là, qui a beaucoup compté pour moi comme je le disais. Je parlais de l'absence de retours et de la trouille permanente de rater mon coup : ce prix m'a rassurée à cet égard, sur ce livre-là en tout cas. C'est un des rares sur lesquels j'aie eu assez de retours positifs pour penser que je m'en suis bien sortie.
Actusf : Comment définirais-tu l'écriture de Joyce ?
Mélanie Fazi : Il y a dans son écriture quelque chose de léger et de très travaillé à la fois, qui oscille en permanence entre l'oral et le littéraire, entre l'humour et l'émotion. J'aime beaucoup l'équilibre qu'il
parvient à garder entre tous ces éléments.
Actusf : Qu'est-ce qui te plait dans ces romans ?
Mélanie Fazi : Je crois que ce sont avant tout ses personnages, ainsi que le côté profondément humain de ses livres. Sa façon de poser une atmosphère, aussi, notamment dans les textes qui prennent une ville bien particulière pour décor (Jérusalem dans "Requiem", Coventry dans "Lignes de vie", les îles grecques dans "Rêves égarés"). Et j'aime assez l'humour pince-sans-rire de certains passages, aussi. Mais je crois que par-dessus tout, je suis impressionnée par cette empathie par rapport à ses personnages.
Actusf : Est-ce que ton travail de traductrice influence ton travail d'écrivain ? Et comment te positionnes-tu par rapport à ça ? Est-ce que le jour où tu pourras vivre seulement de tes nouvelles et romans, tu laisseras la traduction de côté ? Ou au contraire souhaites-tu continuer à faire les deux ?
Mélanie Fazi : Je n'ai jamais eu envie de vivre de l'écriture. Premièrement, je ne suis pas extrêmement productive, car les idées me viennent lentement (on me répète souvent que la traduction doit m'empêcher d'écrire, mais c'est un faux problème, car je n'ai jamais été plus productive, même quand j'avais plus de temps libre : simplement, je suis incapable d'écrire beaucoup, ce qui m'exaspère d'ailleurs pas mal). Et je trouve assez angoissante l'idée d'être obligée de produire des textes pour gagner sa vie. J'aime justement la traduction parce que c'est une activité plus stable, moins sujette aux crises d'inspiration, mais qui garde un lien avec l'écriture. J'ai l'impression que c'est un bon exercice pour faire mes gammes en attendant d'écrire mes propres textes. J'apprends notamment beaucoup de choses sur le rythme et la concision, et j'en ressens parfois le résultat dans mes propres textes.
Actusf : Sur quoi travailles-tu en ce moment ?
Mélanie Fazi : Des nouvelles, principalement. J’en ai plusieurs à paraître cette année, dont l’une, Dragon caché, est au sommaire de l’anthologie sur les dragons qui sort en avril chez Calmann-Lévy. À plus ou moins long terme, j’aimerais bien rassembler des nouvelles dans un troisième recueil mais je n’ai pas encore assez de matière.
Mélanie Fazi : J'ai eu plusieurs belles expériences, mais je crois que je garde un faible pour "Lignes de vie" de Graham Joyce. J'ai l'impression qu'il s'est vraiment passé quelque chose de particulier avec ce roman. Parce que c'est un livre superbe qui m'a vraiment prise aux tripes, parce que j'étais impressionnée de traduire un auteur dont j'admirais déjà beaucoup les livres, parce que j'ai l'impression d'avoir beaucoup appris. Et parce que les échanges avec l'auteur ont toujours été très sympa, ce qui ne gâche rien.
Actusf : Comment te places-tu sur la question du "style" ? Comment arrives-tu à conserver le style d'un auteur comme Graham Joyce par exemple ?
Mélanie Fazi : Je crois que c'est quelque chose d'assez instinctif, en fait. Toute la difficulté consiste à essayer de "sentir" le style et de s'y fondre ensuite pour réécrire le texte à la façon de l'auteur, mais dans une langue qui fonctionne différemment. C'est un travail qui se fait sur l'ensemble du texte, plutôt que phrase par phrase : paradoxalement, on peut s'éloigner
énormément de la structure des phrases tout en produisant une traduction qui restitue le rythme, le vocabulaire, les niveaux de langue. J'ai même de plus en plus l'impression que cet éloignement est nécessaire, puisque le français et l'anglais sont deux langues si différentes. Un effet qui fonctionne en anglais tombera à plat si on ne l'adapte pas aux exigences de la langue française (parfois au prix de pas mal de contorsions).
Pour ce qui est de Graham Joyce, son style a plusieurs particularités que je trouve intéressantes. D'abord, ses dialogues sont souvent brillants et jouent beaucoup sur les registres de langue, surtout quand ses personnages appartiennent à différentes classes sociales. C'est assez ludique à traduire. Je me suis bien amusée avec les dialogues des hippies ou de Maman Cullen dans "Les limites de l'enchantement" par exemple. Ensuite, j'ai remarqué qu'il adopte deux voix différentes dans ses récits. Une qui est plus simple, plus narrative, et une autre qu'il réserve à des envolées qui ont un souffle bien particulier. L'exemple le plus marquant pourmoi, c'est la scène du bombardement de Coventry dans "Lignes de vie". Dans ce passage-là, j'ai vraiment essayé de faire un travail sur le rythme et la concision pour garder le souffle de l'original. J'avais l'impression que tout le passage tomberait à plat s'il y avait ne serait-ce qu'une
syllabe en trop pour casser le rythme.
Actusf : C'est un auteur difficile ou simple à traduire ?
Mélanie Fazi : J'appréhendais beaucoup de le traduire, mais avec le recul, j'en garde le souvenir d'un travail finalement assez facile. Comme je le disais, j'ai prêté une grande attention au rythme, aux sonorités, j'ai vraiment fait mon possible pour le traduire au mieux, mais je n'ai pas l'impression que ça m'ait demandé un tel effort. C'est peut-être simplement une question
d'adéquation : j'aime son style et ses personnages, je me sens à l'aise dans son univers. Du coup, j'aborde la traduction de ses livres avec un tel plaisir que ça me facilite sans doute la tâche.
Actusf : Tu as obtenu un prix pour la traduction de Ligne de Vie. J'imagine que c'était une belle récompense non ?
Mélanie Fazi : C'est effectivement un bel encouragement et ça m'a touchée que ce soit pour ce roman-là, qui a beaucoup compté pour moi comme je le disais. Je parlais de l'absence de retours et de la trouille permanente de rater mon coup : ce prix m'a rassurée à cet égard, sur ce livre-là en tout cas. C'est un des rares sur lesquels j'aie eu assez de retours positifs pour penser que je m'en suis bien sortie.
Actusf : Comment définirais-tu l'écriture de Joyce ?
Mélanie Fazi : Il y a dans son écriture quelque chose de léger et de très travaillé à la fois, qui oscille en permanence entre l'oral et le littéraire, entre l'humour et l'émotion. J'aime beaucoup l'équilibre qu'il
parvient à garder entre tous ces éléments.
Actusf : Qu'est-ce qui te plait dans ces romans ?
Mélanie Fazi : Je crois que ce sont avant tout ses personnages, ainsi que le côté profondément humain de ses livres. Sa façon de poser une atmosphère, aussi, notamment dans les textes qui prennent une ville bien particulière pour décor (Jérusalem dans "Requiem", Coventry dans "Lignes de vie", les îles grecques dans "Rêves égarés"). Et j'aime assez l'humour pince-sans-rire de certains passages, aussi. Mais je crois que par-dessus tout, je suis impressionnée par cette empathie par rapport à ses personnages.
Actusf : Est-ce que ton travail de traductrice influence ton travail d'écrivain ? Et comment te positionnes-tu par rapport à ça ? Est-ce que le jour où tu pourras vivre seulement de tes nouvelles et romans, tu laisseras la traduction de côté ? Ou au contraire souhaites-tu continuer à faire les deux ?
Mélanie Fazi : Je n'ai jamais eu envie de vivre de l'écriture. Premièrement, je ne suis pas extrêmement productive, car les idées me viennent lentement (on me répète souvent que la traduction doit m'empêcher d'écrire, mais c'est un faux problème, car je n'ai jamais été plus productive, même quand j'avais plus de temps libre : simplement, je suis incapable d'écrire beaucoup, ce qui m'exaspère d'ailleurs pas mal). Et je trouve assez angoissante l'idée d'être obligée de produire des textes pour gagner sa vie. J'aime justement la traduction parce que c'est une activité plus stable, moins sujette aux crises d'inspiration, mais qui garde un lien avec l'écriture. J'ai l'impression que c'est un bon exercice pour faire mes gammes en attendant d'écrire mes propres textes. J'apprends notamment beaucoup de choses sur le rythme et la concision, et j'en ressens parfois le résultat dans mes propres textes.
Actusf : Sur quoi travailles-tu en ce moment ?
Mélanie Fazi : Des nouvelles, principalement. J’en ai plusieurs à paraître cette année, dont l’une, Dragon caché, est au sommaire de l’anthologie sur les dragons qui sort en avril chez Calmann-Lévy. À plus ou moins long terme, j’aimerais bien rassembler des nouvelles dans un troisième recueil mais je n’ai pas encore assez de matière.