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ITW Anne Fakhouri
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ITW Anne Fakhouri

Actusf : Vous avez publié chez l'Atalante Jeunesse un cycle en deux  tomes : Le Claivoyage et La Brume des Jours. Le lecteur découvre dans ces  pages les aventures d'une jeune fille, Clara, qui doit trouver sa voie dans  un monde féerique teinté de poésie et de tendresse, mais aussi par moment  froid et dur. L'univers de vos romans est particulier, un imaginaire à la  fois classique et surprenant. Comment vous est-il venu à l'esprit ?  
Anne Fakhouri : Je vais vous étonner : tout a commencé par un corbeau ! A la campagne, souvent, et de préférence l’automne, depuis le chemin, on voit de grands corbeaux qui tombent sur les champs. J’ai toujours eu un frisson d’angoisse en les apercevant : que venaient-ils nous dire ?
Ensuite, j’ai vu Clara toute seule sur un chemin de ce genre, une petite fille décalée, comme je pouvais l’être ou comme ma sœur l’était également, dans deux genres différents. J’ai toujours eu envie de venir consoler la petite fille sensible que j’étais. C’est idiot, je sais, mais je crois qu’elle en aurait eu besoin.   Après, j’ai un profond amour pour les contes, bien évidemment et une aversion totale pour l’image que l’on donne des fées, de nos jours. Ces petites choses roses qui volettent en minaudant et sont les amies des enfants, le côté Polly Pocket, quoi…  Je me suis laissé guider par ce que j’avais lu et aimé, entre autres, Lewis Carroll.  Le Clairvoyage est aussi le résultat de différentes figures de mon enfance, toutes liées à la littérature. Quand j’étais petite, ma mère me racontait des histoires de fées cachées dans les poches de sa veste. Mon père m’a abonnée à Spirou, selon la tradition familiale. En 1983 (je crois), Pierre Dubois y publiait sa Grande Encyclopédie du Petit Peuple, avec Hausmann au dessin. J’adorais ces fiches, la cruauté qui en émanait et le manque de manichéisme de son Petit Peuple. Ma grand-mère me prêtait ses contes de Normandie, de Bretagne, de Picardie. Quant à mon grand-père, je crois qu’il m’a donné le goût véritable de l’histoire. Je m’asseyais à ses pieds et il me racontait la guerre 39-45,  les camps, son enfance traversée par la guerre de 14. J’ai vite compris que l’histoire racontée, la parole romancée, était un lien affectif.  J’ai rempli le Clairvoyage de toutes ces références à ceux que j’aime, réels ou imaginaires. 

Actusf : Il y a plus dans ces pages qu'une simple ballade dans un monde peuplé de  rêves et de cauchemars. Que vouliez-vous exprimer en commençant à écrire le  Claivoyage ? 
Anne Fakhouri : J’ai voulu revisiter mon enfance et la partager. Je reste persuadée que l’enfance est un pays étranger, dont on a perdu les entrées. Lewis Carroll l’a très bien exprimé dans Alice et toute son œuvre tourne autour de cette perte.  Clara connaît cette perte de l’enfance, d’abord par la  disparition de ses parents puis par la destruction de son monde cartésien. Mais d’autres choses se mettent en place : l’amitié, le grand amour (Bébé et Antoine), des adultes peu rassurants mais positifs et consolateurs. Elle réalise aussi qu’elle va mourir et que ce ne sera pas une petite affaire, réglée aussitôt, qu’elle devra accomplir des choses auparavant, pour rester dans les mémoires.  

Actusf : L'ambiance de vos romans est fantastique, ce qui les classe dans la  catégorie "Fantasy". Pourquoi avoir choisi ce type de littérature pour vous  exprimer ? Qu'est-ce que cela vous apporte qu'une littérature plus classique  ne pouvait vous donner ?
Anne Fakhouri : A la fin de mes études, clairement orientées vers le médiéval, j’ai connu une grande frustration de lectrice. J’avais lu une bonne partie des classiques. La littérature générale me semblait morne, largement autobiographique et trop torturée. Nous étions dans une espèce de néo-romantisme français dont je me sens très éloignée. J’aime qu’on me raconte des histoires et si elles tombent dans le lyrisme, si elles relèvent d’une certaine complexité, si elles réutilisent des mythes, je deviens une lectrice féroce. C’est donc en tant que lectrice, d’abord, et assez tardivement, que j’ai découvert la  fantasy qui était la continuité de ce que j’aimais, l’épopée médiévale. Je me souviens même avec quel livre : une anthologie parue chez Fleuve Noir.  Je me suis mise à en écrire, logiquement. 

Actusf : Il s'agit de vos premiers romans publiés. Il ne s'agit pas là de vos  premiers textes ?
Anne Fakhouri : Non, j’ai toujours écrit. J’ai même deux romans de fond de tiroir que je ne ressortirai jamais. Ce qui est fait est fait. Mon écriture a évolué. Je n’ai rien envoyé auparavant car je ne me sentais pas prête. 

Actusf : Publiés à l'Atalante jeunesse, vos livres s'adressent donc à un public  d'enfants et d'adolescents. Pourquoi avoir fait ce choix ? 
Anne Fakhouri :  Ce n’était pas forcément un choix évident. L’éditeur en est un, bien entendu. Je reste persuadée que le Clairvoyage fait partie de ces romans jeunesse qui peuvent trouver un public adulte, non pas parce qu’il est plus compliqué (il ne l’est pas), mais parce qu’il parle de l’enfance perdue et qu’il s’y trouve de nombreuses références à une culture commune du conte. C’est d’ailleurs ce que me disent mes lecteurs adultes. Les plus jeunes y trouvent une vision différente des fées.  

Actusf : Le public ciblé est particulier. Cela implique-t-il une approche différente  du travail d'auteur ? Y a-t-il eu des choses que vous vous êtes interdit de  dire ou d'intégrer dans votre intrigue ? 
Anne Fakhouri : En tant que prof, je commence à avoir l’habitude de m’adresser à des adolescents. Je sais que je vais en choquer certains (et ils se reconnaîtront) mais  je ne cible pas, dans le sens où je ne prévois pas ce qu’ils vont aimer et que je n’ai pas écrit le Clairvoyage en conséquence. Je ne sais qu’une chose sur les « ados » : ils détestent qu’on les prenne pour des cons. J’ai donc refusé de passer par certains clichés ou même de réfléchir à la question. Je n’ai pas adapté mon vocabulaire ni ma syntaxe et je ne pense pas qu’ils soient trop « cons » pour comprendre n’importe quel thème abordé. Cette année, j’ai des élèves réfractaires à la lecture qui ont aimé la Cousine Bette… Si un ado de 15 ans aime Balzac (que j’ai toujours du mal à supporter, à mon âge et avec toutes les données esthétiques), tout est possible, non ?  Cela dit, je reste très prudente sur la question de la sexualité. Ce n’est pas pour une raison morale mais par pudeur, parce que je pense que chaque adolescent doit construire sa propre image de la sexualité. Je me suis gardée de tout jugement, de tout commentaire, particulièrement dans la Brune des Jours où Clara a une première approche de la sexualité et en particulier du trouble.  J’ai également refusé de mettre trop de noirceur dans le Clairvoyage (je me suis largement rattrapée avec la Brume des Jours), de ne pas insister sur la mort, le pathos. Les adolescents n’ont pas besoin d’être parasités par notre vision parfois cynique de la vie. Ils y arriveront très bien tout seuls… 

Actusf : Vous avez une formation en lettres et vous avez travaillé sur mythe  Arthurien. Certains éléments de votre univers recoupent ceux du mythe, mais  souvent vous vous êtes largement éloigné du modèle. Quelle influence ont eu Arthur, Merlin et les autres personnages de la légende sur  votre travail ?
Anne Fakhouri : Toutes les influences ! Lancelot m’a donné le goût des héros déchirés, du tragique (même s’il y a là une vraie rupture avec le héros tragique, à bien des égards…). Merlin a toutes les ambivalences, de par sa nature et son implication douteuse dans le monde arthurien. J’en ai donc fait une espèce de saltimbanque féerique, un Arlequin, un Sganarelle.  Quant à Gauvain, le vrai, j’en suis amoureuse depuis mes huit ans. Il a souvent été malmené, en particulier dans la version de Thomas Malory. Il représente le chevalier terrestre, bien campé sur ses deux pieds, loyal et sans grande profondeur spirituelle mais courtois et intelligent. Mon petit Gauvain lui ressemble beaucoup. Par ailleurs, j’aime le mélange de la réalité brute et du merveilleux. Il y a une discrète opposition, dans le Clairvoyage, entre un certain manichéisme chrétien et le paganisme échevelé et perturbant des fées qui ne répondent à aucune logique. Il ne s’agissait pas là de prendre position mais bien de refléter la réalité : à une époque, les fées et les rites régionaux associés ont été détruits au profit des rites chrétiens, pour des raisons sociales et historiques. De la même façon, dans le roman Arthurien, il y a clairement un recul du merveilleux face à l’organisation sociale que représente la montée du christianisme. J’aime les périodes transitoires. Le Clairvoyage en est une, sans conteste. 

Actusf : Vous avez choisi comme héroïne Clara, une jeune adolescente blessée par la  vie et confrontée à un univers de moins en moins compréhensible. Pourquoi ce  choix ?
Anne Fakhouri : Parce que les gens heureux sont emmerdants… Non, plus sérieusement, sans perte, traditionnellement, il n’y a pas d’aventure. C’est le propre du roman initiatique. Clara devait être blessée pour s’accomplir. Ecrire du fantastique n’exclut pas de se baser sur un minimum de réalisme ou du moins d’être cohérent, n’est-ce pas ? Je me voyais mal faire deux tomes en compagnie d’une adolescente heureuse de vivre, positive, structurée et pleine de certitude. En outre, j’aurais vite eu envie de la noyer…

Actusf : Tout au long des deux tomes, Clara est dépassée par ce qui lui arrive,  effrayée par les choix qu'elle doit faire. Est-ce ainsi que vous vous  représentez la vie d'adulte vue par une adolescente ?
Anne Fakhouri : C’est ainsi que je l’ai perçue et que je la perçois encore. Ne pas avoir de certitudes… La peur et la colère sont de grands moteurs pour Clara. Finalement, c’est aussi ce qui nous fait nous lever chaque matin, non ? La peur de perdre, de manquer, de mourir. Et la colère – pas la frustration, hein ? –aide les grandes causes de notre existence à voir le jour. Dans la Brume des Jours, Clara est dans l’action. Elle a cessé d’être cette petite fille discrète et observatrice. Elle fait des choix. La peur est une alliée, à chaque moment, car en la maîtrisant, elle se construit. Bon, j’avoue, j’ai passé mon adolescence à regarder Star Wars… J’aimerais vous citer Nietzsche mais je n’ai que du Yoda en stock… 

Actusf : Il y a une vraie rupture entre les deux volumes. Dans le premier, Clara  découvre que le monde n'est pas ce qu'elle croit et le lecteur plonge dans  un univers inventif et inattendu. Le second volet est plus classique, un  chemin initiatique plus linéaire. Qu'en pensez-vous ?  
Anne Fakhouri : Voilà une question technique qui m’a taraudée ! A la moitié de la Brume des Jours, j’ai trouvé l’aventure trop linéaire, effectivement. J’y ai longuement réfléchi et finalement, tout ça m’a paru très logique. Le Clairvoyage comporte beaucoup de récit dans le récit : c’est l’univers du conte et donc de la parole et de l’enfance. On y trouve aussi beaucoup de retours en arrière car l’histoire repose sur le passé de Bébé. Je pouvais donc en faire un récit complexe. Par ailleurs, c’est bel et bien l’univers de l’enfance. Qu’avons-nous retenu de la nôtre ? Les rituels, d’abord et les ruptures dans ces rituels, les événements particuliers. Le Clairvoyage pouvait donc être un roman de rupture, dans le temps comme dans l’histoire.

L’adolescence est une période très différente : on s’y ennuie beaucoup, non ? Il y a cette linéarité de la vie. On s’étonne moins, on agit plus, on construit plus consciemment. L’émerveillement est différent. Clara devait donc agir, aller d’un point A à un point B, pour devenir adulte. Ce n’est pas l’époque des retours en arrière : l’enfance est trop proche, l’avenir incertain et on se sent tout de même immortel, prêt à tout accomplir.  Par ailleurs, dans le récit lui-même, le temps n’est pas le même dans le monde des fées et le nôtre. Il aurait été difficile de jouer avec, de revenir, d’avancer. Il y a déjà deux mondes et deux temps. Si j’avais ajouté d’autres temps et d’autres mondes, on aurait perdu de vue l’essentiel : l’aventure qui construit Clara.  Et puis, dans la Brume des Jours, le temps presse ! Clara ne peut pas se permettre de s’asseoir, de réfléchir, d’écouter les autres, d’autant qu’ils ont tous de bonnes raisons de lui mentir, humains comme fées. 

Actusf : L'aventure est terminée à la fin du cycle. Mais pensez-vous revenir plus  tard dans cet univers, avec les mêmes héros ou d'autres ?
Anne Fakhouri : Je vais reprendre un personnage de la Brume des Jours, car il provient d’un roman que j’ai en tête depuis longtemps. J’aime l’idée de « ponts » entre les romans. En revanche, le sort de Clara est réglé. Je n’ai plus rien à lui apporter. J’ai voulu faire un véritable épilogue qui la fixe dans un temps indéterminé. J’ai eu un pincement au cœur en la laissant, une bonne fois pour toutes, mais je sais qu’elle est entre de bonnes mains… 

Actusf : Avez-vous d'autres projets, d'autres travaux en cours ?
Anne Fakhouri : Oui, je travaille sur deux projets : un roman jeunesse sur le monde arthurien dont je viens de commencer l’écriture et un roman de pure fantasy. Je n’ai pas encore décidé s’il sera adulte ou jeunesse. L’histoire me hante depuis six ans. Dans la Brume des Jours, comme je l’ai dit, on retrouve une des créatures mythologiques qui peuplent ce roman. J’en ai déjà écrit une version, il y a cinq ans mais je m’étais trompée d’angle. Il va falloir que cette histoire sorte, une bonne fois pour toutes…Elle me parasite, à force. J’aimerais aussi finir mon recueil de nouvelles en littérature générale, sur les femmes, l’art et l’influence du milieu social.

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