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ITW Pierre-Paul Durastanti
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ITW Pierre-Paul Durastanti

Actusf : D’abord raconte-nous un peu la genèse de ces deux volumes au Bélial. Qu’est-ce qui t’a et vous a donné envie de publier des recueils de nouvelles de Simak ?
Pierre-Paul Durastanti : C’est un de mes auteurs favoris, et le deuxième pour lequel j’ai dirigé un dossier dans Bifrost. Olivier Girard et Gilles Dumay l’apprécient beaucoup, eux aussi, donc la troïka infernale que nous formons n’a pas eu besoin de se déchirer. Par ailleurs, le Bélial’ poursuit une démarche de mise en valeur du patrimoine de la SF, qui nous a déjà conduits à publier des auteurs classiques comme Jack Vance, Poul Anderson, Jack Williamson, Leigh Brackett, Michel Demuth, j’en passe et j’en oublie. Clifford Simak s’insère naturellement dans ce processus.
 
Actusf : Est-ce toujours selon toi un auteur incontournable du genre et pour quelles raisons ?
Pierre-Paul Durastanti : Demain les chiens. Au carrefour des étoiles. Ces deux titres seuls suffiraient à assurer une pérennité à l’écrivain, s’il n’y avait dans son œuvre d’autres romans et bien des nouvelles de qualité comparable. En outre, son recours moindre que certains de ses contemporains à la technologie (aux gadgets, pour caricaturer) fait qu’à mon sens ses textes vieillissent mieux et qu’il constitue un point d’entrée possible pour les lecteurs non spécialisés. On peut mettre entre toutes les mains un bouquin de Simak, de Bradbury, de Sturgeon. Il y a de la place pour eux aux côtés de Baxter ou d’Egan, un peu plus difficiles d’accès. Ils sont même, à mon sens, nécessaires, voire indispensables.
 
Actusf : Comment as-tu composé ces recueils ?
Pierre-Paul Durastanti : En copiant mes aînés. Je reste admiratif devant le travail effectué par Daniel Riche et Patrice Duvic, sur Simak justement, par Alain Dorémieux, notamment sur Matheson, Sturgeon et Dick chez Casterman, et par Jacques Chambon, dont Trips, de Robert Silverberg, et le Livre d’or/Papillon de lune, de Jack Vance, me paraissent des sommets de l’art de l’anthologiste. Sans prétendre atteindre à leur excellence, je tente de m’inspirer de leurs réussites. Plus prosaïquement, je dispose d’une bibliothèque fournie de recueils américains et anglais, et d’un réseau de sympathisants : c’est par exemple notre camarade québécois René Beaulieu qui m’a fourni, entre autres, « Nouveau départ » dans Frères lointains ; j’en profite au passage pour le remercier de toutes ses bontés. Quant à la composition des volumes, j’essaie de leur conférer une certaine unité thématique, reflétée par les titres (pour Simak, mais aussi pour Croisades, de Vance), eux-mêmes déclenchés par un des textes du sommaire, et de les rendre attractifs tant pour les lecteurs découvrant l’auteur que pour les fans endurcis, d’où une forte proportion d’inédits et une très grande majorité d’introuvables.
 
Actusf : Dans Frères Lointains, son rapport aux extraterrestres est très intéressant. Il est assez peu guerrier. Ils ne sont pas très hostiles aux humains... Est-ce représentatif de son approche des ET dans son œuvre ? Ou y a-t-il des exceptions ?
Pierre-Paul Durastanti : Oui, c’est bien représentatif. Chez Simak, quand il y a conflit entre humains et E.-T., c’est la faute soit aux premiers, soit à un malentendu, soit à la volonté des aliens de nous enseigner quelque chose pour nous rendre meilleurs (ce qui va rarement sans résistance, demande à n’importe quel prof). Voir aussi Les visiteurs, Une certaine odeur, Chaîne autour du soleil et tout une tripotée de nouvelles.
 
Actusf : Comment se situait-il sur ce sujet par rapport à ses contemporains ? Son rapport aux extraterrestres est-il particulier ?
Pierre-Paul Durastanti : Plus ou moins. Je rappelle que John Campbell, qui a dirigé Astounding/Analog de 1937 à 1971, imposait à ses auteurs de présenter les aliens comme inférieurs aux humains : on pouvait, on devait les battre, autrement dit. C’est une des raisons pour lesquelles il n’y a pas l’ombre d’un œil pédonculé dans la trilogie originelle de Fondation, d’Asimov, qui ne voulait pas manger de ce pain-là. Dans « L’ogre », qui vient d’Astounding, ce sont ainsi les humains qui tirent leur épingle du jeu. Mais quand Galaxy est apparu, Simak s’est empressé d’en devenir un collaborateur prolifique et d’y laisser libre cours à son penchant humaniste… voire extraterrestriste ! Je noterai que certains de ses collègues partageaient ses vues : Bradbury et Sturgeon, déjà cités, mais aussi des moins connus comme Chad Oliver, Edgar Pangborn ou Robert F. Young.
 
Actusf : Philippe Boulier parle de « l’humanité » de Simak dans ses écrits. Une certaine douceur, une certaine empathie avec les êtres différents, venus d’ailleurs ou non. Est-ce que cela te semble bien définir le recueil et son œuvre en général ?
Pierre-Paul Durastanti : Oui, très clairement. L’étude magistrale de Philippe constitue à mon sens un des atouts majeurs de Frères lointains, à ranger près de celle de David Pringle, « Des étrangers pour voisins », reprise dans Bifrost n° 22, qui d’une part faisait un clin d’œil au titre d’un recueil anglais de Simak, Aliens for neighbours, et d’autre part a inspiré par ricochet celui de Voisins d’ailleurs. Bref, je ne vois pas trop ce que je pourrais rajouter à ce qu’ils ont dit.
 
Actusf : Les nouvelles du recueil ont été rédigées entre 1944 et 1977. Quelles sont les différences entre le jeune Simak et l’écrivain plus âgé ?
Pierre-Paul Durastanti : La période d’apprentissage passée, il n’y en a guère. Peut-être un style plus varié par la suite, très alerte pour les nouvelles de Galaxy, plus littéraire dans des récits ambitieux comme « Le photographe de Marathon », « Le puits siffleur » et « La maison des pingouins ». Autrement, ainsi que je le note dans mon avant-propos, « L’ogre », avec sa galerie d’aliens et de robots plus farfelus les uns que les autres, pourrait dater de trente ans plus tard. Si, une chose : Simak a été l’un des premiers à pratiquer le mélange des genres, SF et fantasy, par exemple, dès les années 60, avec La réserve des lutins et L’empire des esprits.
 
Actusf : Parle-nous de « Mondes sans fin », une nouvelle presque atypique dans le recueil puisque sans ET... Pourquoi l’as-tu sélectionnée ?
Pierre-Paul Durastanti : Pour ce motif même. Même si je tâche de donner une unité à ces divers recueils, j’aime aussi y mettre des respirations, des contrepoints, et ajouter un texte ou deux qui, sans contredire la thématique d’ensemble, l’abordent en tout cas d’un autre angle. Dans Voisins d’ailleurs, tous les textes se passent sur Terre, sauf un — deux, en fait, mais on a excisé le second pour des raisons de place, et je l’ai mis dans Frères lointains, où, cette fois, il y a bel et bien deux textes un peu différents, « Mondes sans fin », qui est presque dickien (on ne se refait pas), et « Dernier acte ». Toutefois, la notion d’une fraternité distante y apparaît aussi, je crois.
 
Actusf : « Tête de pont » est l’une des nouvelles les plus drôles du recueil. En même temps on ne peut s’empêcher de songer à d’autres nouvelles d’autres auteurs de science fiction mettant en scène des affrontements entre des militaires humains et des ET « locaux » sur des planètes lointaines. Le récit de Simak est-il selon toi un clin d’œil à ces autres textes ou plutôt une inclination naturelle ? Ecrivait-il aussi en fonction de ses contemporains ?
Pierre-Paul Durastanti : J’imagine qu’il t’a fait penser à du Sheckley ? Bien sûr que Simak lisait ses collègues. Et il fréquentait les conventions, et il appartenait à un club local de fans et d’écrivains qui comptait aussi Gordon Dickson parmi ses membres. De toute manière, la SF a toujours été un terreau nourri par les textes antérieurs et alimentant les textes ultérieurs. C’est la vie du genre. Et il me semble que tu as trouvé le bon terme en parlant d’inclination naturelle ; il y a bien trop de textes de cette eau dans sa bibliographie pour qu’il ne s’agisse pas d’un penchant, voire d’une conviction bien ancrée.
 
Actusf : Un petit mot sur « L’ogre », une nouvelle assez drôle. Comment l’as-tu découverte ? Et quelle place a-t-elle dans sa bibliographie ?
Pierre-Paul Durastanti : Pour enchaîner sur la réponse précédente, voilà aussi une nouvelle sheckleyenne… huit ans avant les débuts de Sheckley. Je l’ai découverte grâce à Francis Lyall, un Britannique qui a composé une demi-douzaine de recueils de Simak reprenant des textes soit indisponibles en Angleterre, soit tout bonnement rares. Quant à la place de cette nouvelle dans la bibliographie, disons que, dès son retour à la SF en 1938, Simak commence à trouver son ton, sa thématique, sa spécificité, et que les nouvelles publiées dans Astounding à partir de 1942 ne font que confirmer cette évolution. Après « L’ogre », il y aura dans cette revue encore un (bon) texte, et puis ce sera la série Demain les chiens, sur laquelle je n’ai pas besoin de m’étendre.
 
Actusf : Qu’en est-il de ce qu’il reste à traduire de Clifford Simak ? Y’a-t-il encore de nombreuses nouvelles inédites en français ?
Pierre-Paul Durastanti : Une trentaine, quoique surtout dans la première partie de sa carrière, où elles sont, en toute honnêteté, assez médiocres, et dans la seconde, de 1938 à 1944, après quoi il entame Demain les chiens. Il faut trier avec soin, mais on trouve, et j’ai sous le coude, des textes que j’estime de la même qualité que « L’ogre ». A partir des années 50, la plupart des nouvelles ont été traduites, mais il en reste certaines éparses dans des revues américaines que je dois encore me procurer, et un bon nombre de traduites ici et là qu’on peut exploiter à condition de revoir ou refaire les versions françaises de l’époque, souvent incomplètes et à tout le moins vieillottes.
 
Actusf : Y’aura-t-il d’autres recueils de Simak au Bélial ?
Pierre-Paul Durastanti : Des promesses inavouables m’ont déjà permis de convaincre mon boss d’en publier un troisième, dont j’ai une bonne idée d’ensemble. Sa tonalité devrait être un peu différente.

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