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Jean-Philippe Jaworski, une nouvelle branche pour Chasse Royale - Rois du monde
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Jean-Philippe Jaworski, une nouvelle branche pour Chasse Royale - Rois du monde

ActuSF : Pouvez-vous présenter l’histoire de votre cycle Rois du monde ?

Jean-Philippe Jaworski : Jouets de dieux errant parmi les hommes, deux frères vont devenir les premiers conquérants celtes de l'histoire. J'ai puisé mon sujet dans l'Histoire romaine de Tite-Live. Celui-ci est le seul historien antique à rapporter, en une page, le souvenir de la première invasion de l'Italie du Nord par des Gaulois, « à l'époque de Tarquin l'Ancien » précise-t-il, soit vers la fin du VIIe siècle et le début du VIe siècle avant notre ère. Le chef de cette première invasion était Bellovèse, prince biturige. Je me suis emparé de ce personnage, ainsi que de son frère Ségovèse et de son oncle Ambigat, également mentionnés par Tite-Live, et j'ai décidé d'écrire le roman archaïque et mythologique de leur famille. Ce qui m'intéressait tout particulièrement, c'était d'imaginer ce qui avait poussé ces chefs celtes à devenir des conquérants. Le nom de leur peuple a donné le titre du cycle, puisque l'ethnonyme Bituriges signifie « rois du monde » en gaulois. Voulant traiter cette histoire comme un récit mythique plus que comme un roman historique, j'ai inscrit naturellement mon cycle dans la fantasy.

ActuSF : Nous poursuivons la suite des aventures de Bellovèse avec ce nouveau tome. Qu’est-ce qui vous a fait choisir ce personnage, - maudit - comme héros de votre histoire ?

Jean-Philippe Jaworski : Tite-Live me l'a fourni. En revanche, le caractère tourmenté de son histoire est une création de ma part. En me demandant ce qui peut pousser un individu à devenir le premier grand conquérant au sein de son peuple, j'ai observé que la plupart des facteurs déclenchants qui motivaient des migrations ou des invasions étaient les troubles que connaissait le peuple conquérant. Rome a fondé son impérialisme sur ses incessants conflits de politique intérieure, les invasions qui ont submergé l'Empire romain ont été la conséquence des conflits entre royaumes barbares, Guillaume le Bâtard a dû soumettre par la force ses vassaux normands avant de se lancer à l'assaut de l'Angleterre pour devenir Guillaume le Conquérant, la révolution française et ses terribles guerres civiles ont accouché de l'impérialisme napoléonien… J'ai voulu raconter une histoire semblable au cours du premier âge du fer : comment la désunion et les guerres intestines peuvent déstabiliser un peuple au point de le lancer à la conquête du monde. C'est la raison pour laquelle Bellovèse est un personnage si tourmenté. Sa situation en Celtique est si insupportable qu'il n'a que deux solutions : périr ou partir. Or il ne peut périr, puisqu'il n'est même pas mort. Il ne lui reste que l'exil. Et comme il s'agit d'un guerrier, partir signifie conquérir.

ActuSF : La trilogie est devenue une pentalogie. Qu’est-ce qui a fait que le récit a pris de l’ampleur ? Votre héros avait-il plus de choses à dire et à vivre que prévu ?

"Les recherches que j'ai été amené à faire ont nourri peu à peu la fiction. Bien que je me documente comme si j'écrivais un roman historique, je produis bien de la fantasy, et l'un des desseins de la fantasy est de créer un univers."

Jean-Philippe Jaworski : Tout d'abord, je distinguerais les contraintes éditoriales de la dynamique propre au récit. Quoiqu'il ait publié son œuvre en trois volumes pour des raisons matérielles, Tolkien rappelait que Le Seigneur des Anneaux ne formait qu'un roman. À mon modeste niveau, je subis une distorsion un peu semblable : les impératifs éditoriaux (coût de fabrication des volumes, nécessité d'une publication régulière) ont segmenté mon roman fleuve en un nombre de tomes qui ne correspond pas nécessairement à son organisation narrative. C'est particulièrement vrai pour le volume qui sort ce mois de janvier, et qui a été coupé à la demande de l'éditeur.
Il n'en demeure pas moins vrai que le récit a pris une ampleur que je n'imaginais pas en me lançant dans la composition de Rois du Monde. En fait, j'étais même effrayé par l'objectif que je m'étais attribué : donner corps à une période de l'histoire très peu documentée, en restant vraisemblable pour prêter de la crédibilité au volet mythologique. Je craignais déjà de ne pas arriver au bout du premier volume tant les sources sont parcellaires et contradictoires.
Les recherches que j'ai été amené à faire ont nourri peu à peu la fiction. Bien que je me documente comme si j'écrivais un roman historique, je produis bien de la fantasy, et l'un des desseins de la fantasy est de créer un univers. Le matériau historique, archéologique, linguistique et mythologique que j'ai amassé a été ensuite converti en fiction. Pour en gommer le didactisme, il a fallu faire vivre les personnages dans ce monde lointain tout en le rendant à peu près accessible au lecteur du XXIe siècle. Cela signifie, par exemple, qu'il est difficile d'avoir recours à l'ellipse et à l'allusion, et qu'il faut peindre tout ce qui, dans un récit portant sur une époque mieux connue, serait traité plus rapidement. Voici une première raison de l'hypertrophie narrative.
La deuxième raison est que j'adopte une stratégie immersive. Mon objectif est moins de raconter que de faire vivre, par procuration, l'existence du héros archaïque. Cela contribue également à alimenter le volume du texte.

ActuSF : Que pouvez-vous nous confier sur ce nouveau tome ? Quelles thématiques vouliez-vous aborder dans ces trois tomes de Chasse royale ?

Jean-Philippe Jaworski : A travers le parcours des héros, Chasse royale raconte en fait une crise qui correspond, d'après l'archéologie, à la transition entre le premier et le deuxième âge du fer. La civilisation celte du premier âge du fer est souvent surnommée « l'âge des princes », car l'archéologie de cette période nous livre des palais et des tombeaux d'une remarquable richesse, qui attestent l'existence de grands pouvoirs régionaux. Puis, en l'espace de quelques décennies, vers le Ve siècle avant notre ère, cette civilisation semble brutalement bouleversée : les palais princiers sont incendiés, les grands tombeaux disparaissent au profit de tombes plus modestes et très guerrières. Il s'est donc produit de graves troubles qui débouchent sur une civilisation expansionniste, puisque c'est au cours du second âge du fer que les Celtes vont conquérir le nord de l'Italie, descendre la vallée du Danube, s'attaquer à la Grèce, franchir le Bosphore et fonder le royaume de Galatie dans l'actuelle Anatolie. Chasse royale a pour sujet cette transformation violente de la société celte. À travers le phénomène guerrier et expansionniste, je veux aussi raconter, en filigrane, les querelles et les desseins plus ou moins mystérieux de certains dieux celtes – Cernunnos, Epona, Le Seigneur des Forts qui est le surnom de Sucellos ou le Forestier qui est un dieu à la fois très connu et très méconnu du panthéon gaulois, et dont l'identité sera révélée plus tard… J'écris donc une fantasy épique qui mélange les héros et les dieux, suivant un modèle homérique, à ceci près que mon narrateur n'étant qu'un homme, il ne sait pas toujours très bien distinguer l'action des hommes de celle des dieux.

"À travers le phénomène guerrier et expansionniste, je veux aussi raconter, en filigrane, les querelles et les desseins plus ou moins mystérieux de certains dieux celtes – Cernunnos, Epona, Le Seigneur des Forts qui est le surnom de Sucellos ou le Forestier qui est un dieu à la fois très connu et très méconnu du panthéon gaulois, et dont l'identité sera révélée plus tard…"

ActuSF : À quel point votre série est-elle proche de l’histoire ?

Jean-Philippe Jaworski : Je l'ignore. C'est de la fantasy mythique. Mon sujet est en fait semi-historique, puisque Tite-Live est la seule source de l'antiquité qui cite Bellovèse, et son récit est mis en doute par beaucoup d'historiens. La période très haute à laquelle l'auteur latin situe l'histoire de Bellovèse et Ségovèse pose d'ailleurs problème, l'expansionnisme celtique étant placé deux siècles plus tard par les autres historiens antiques et par la recherche archéologique. C'est ce caractère semi-historique qui m'a séduit : Bellovèse est un personnage aussi douteux qu'Arthur. Il s'inscrit dans une zone floue du passé, à la charnière entre l'histoire et la légende, qui est le terreau du mythe. La documentation dont je me sers ensuite pour reconstituer une civilisation vraisemblable n'est, à tout prendre, qu'un tour d'illusionniste pour donner la texture historique à ce qui n'est probablement qu'imagination.

ActuSF : À l’inverse, en quoi le récit est-il fantasy ou fantastique ? C’est très diffus dans les romans.

Jean-Philippe Jaworski : Le cycle raconte comment deux petits gars de la campagne, qui sont en fait des princes orphelins spoliés par leur oncle, vont devenir des héros et des conquérants parce qu'ils ont été élus par les dieux. Je pense au contraire que c'est un sujet archétypique de la fantasy. Le caractère diffus du surnaturel est délibéré : j'avais l'ambition de placer le lecteur dans la position du Celte antique, qui vit au contact du sacré mais ne distingue pas toujours clairement où s'arrête le monde des hommes et où commence celui des dieux parce qu'ils sont entrelacés. Par ailleurs, je recycle dans ce récit toute une série de motifs appartenant à la « matière de Bretagne », c'est-à-dire au merveilleux celtique : l'homme vert, la quête de la fée, la terre gaste, le roi caché… En d'autres termes, le roman revient aux sources de l'imaginaire occidental.

ActuSF : Une de vos nouvelles figurera dans SOS Terre et Mer, une anthologie d’imaginaire humanitaire en faveur des réfugiés. Comment avez-vous été impliqué dans ce projet ?

Jean-Philippe Jaworski : Mérédith Debaque, initiateur et anthologiste de SOS Terre et Mer, m'avait sollicité. Je craignais de n'avoir guère de temps à consacrer à ce projet, mais c'était une démarche si généreuse et Mérédith a été si accommodant avec les délais de remise du texte que je ne pouvais pas la refuser.

ActuSF : Pouvez-vous nous parler de l’adaptation en bande-dessinée de votre roman Gagner la guerre, par Frédéric Genêt ? À quel point avez-vous travaillé avec le dessinateur, et que ressent-on en découvrant son roman en images ?

"L'album en préparation gagne encore en puissance graphique avec des planches impressionnantes sur la bataille du cap Scibylos et des séquences ciudaliennes composées comme des tableaux."

Jean-Philippe Jaworski : La proposition d'adapter Gagner la guerre est venue directement de Frédéric Genêt, avant même qu'il ait trouvé un éditeur. Frédéric Genêt est à la fois scénariste et dessinateur ; je lui sers de consultant. Il me soumet le scénario, le storyboard puis les différentes étapes des planches, du crayonné initial jusqu'à la version finale, pour solliciter mon avis. Je lui apporte des précisions et des conseils sur mes sources d'inspiration pour le roman, tout en lui laissant la dernière main dans les choix narratifs et artistiques. L'album en préparation gagne encore en puissance graphique avec des planches impressionnantes sur la bataille du cap Scibylos et des séquences ciudaliennes composées comme des tableaux. Pour ma part, découvrir mon roman mis en images est assez grisant parce que cela signifie que la fiction prend son autonomie et gagne en variété et en épaisseur. Bien sûr, j'ai la chance de découvrir une BD qui est à la fois réécrite – la narration n'est pas celle du texte – et fidèle – l'histoire est identique, rapportée sous un angle un peu différent. Le changement de format apporte donc aussi un changement de perspective. Cela contribue à faire exister un peu plus les personnages et la république de Ciudalia, et c'est une expérience particulièrement agréable pour leur auteur.

ActuSF : Travaillez-vous sur d’autres projets de roman ou de nouvelle à l’heure actuelle ?

Jean-Philippe Jaworski : J'écris la fin de Chasse royale puisque le volume qui paraît en janvier 2019 ne forme en fait que la moitié de la troisième partie du roman. J'aurais préféré différer la publication pour livrer au public l'intégralité de cette troisième partie, mais les contingences éditoriales en ont décidé autrement.

ActuSF : Est-ce que des dédicaces accompagneront la sortie de Chasse Royale III ?

Jean-Philippe Jaworski : Pour l'instant, rien n'est prévu. Priorité à l'écriture.

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