Voici un volume regroupant de nouvelles lauréates du grand prix de l’imaginaire (autrefois appelé grand prix de la science-fiction française) fondé en 1974 par l’auteur Jean-Pierre Fontana (qui signe la postface). La sélection dut être difficile, allons voir donc ce qu’il en est.
Des récits qui vieillissent bien
Commençons par Petite mort, petite amie d’Yves Frémion où on découvre un monde où toute pratique sexuelle incluant la pénétration a été bannie d’une civilisation. Et de surcroit, les femmes qui la pratiquent meurent pendant l’orgasme… et voilà deux jeunes ados amoureux qui vont enfreindre cette loi et mourir. C’est un très bon récit ancré dans les années soixante-dix. Continuons avec Accident d’amour, une nouvelle ancrée dans le fantastique sur une femme qui coud son sexe, tombe enceinte et dont l’enfant la vengera de l’homme qui l’a abandonné. Extrêmement efficace.
De la SF pure et dure
Le recueil évolue bien avec Déchiffrer la trame, une nouvelle de Jean-Claude Dunyach racontant comment deux chercheurs découvrent la vie d’une femme du Kurdistan du VIIIe siècle à partir d’un tapis inachevé qu’elle a tissé… Jusqu’au twist final, extrêmement efficace. Idem avec Meucs, une histoire de Terry Bisson sur le clonage d’êtres humains, ensuite éliminés comme des animaux d’élevage. Bisson signe ici un récit choral réussi et sombre. Avec Les yeux d’Elsa de Sylvie Lainé, on s’intéresse à l’humain : un infirmier s’occupe d’un dauphin femelle génétiquement modifié et parlant, Elsa. Leur relation est amoureuse, inégale aussi car Elsa est à la merci de l’humain. Emouvant et prenant. On ne reviendra pas sur Océanique d’Egan, sinon pour dire qu’il s’agit évidemment d’un chef d’œuvre. Dans le registre des débordements de l’Homme, citons Ethfrag où Laurent Genefort nous raconte l’histoire d’un scientifique humain se livrant à des expériences sur des extraterrestres, des hodquins (nous sommes dans l’univers d’Omale : résultat glaçant. Idem avec La fille-flûte où une jeune fille est génétiquement modifiée pour que son corps puisse produire une musique sublime et enivrante. Vertigineux.
Terminons avec…
Les femmes sont à l’honneur de ce recueil. Après Sylvie Lainé, Lisa Tuttle nous offre Le remède : deux femmes s’aiment, l’une choisit d’avoir un enfant. Toutes deux prennent le remède, censé leur donner une parfaite santé. Mais le remède modifie le bébé, qui est muet (c’est le cas pour tous les enfants dont les mères enceintes ont pris le remède). Le silence s’installe entre ces deux femmes, un manque d’amour et un manque de mots… C’est très beau et très bon comme beaucoup d’histoires de Lisa Tuttle. Et puis il y a Shiva dans l’ombre de Nancy Kress, une histoire spatiale se déroulant à deux niveaux : d’un côté un équipage de deux homme et une femme au centre de la galaxie et de l’autre leurs avatars uploadés dans une sonde au cœur d’un phénomène physique hors du commun. Dotés de la même personnalité, les êtres de chair et leurs pendants numériques ne font pas les mêmes choix… Cette nouvelle, incluse dans le recueil Danses aériennes parue au Bélial, est très agréable à relire.
Un bon recueil et bravo à Caza pour sa couverture !
Sylvain Bonnet