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Le Sommaire N°38

Philippe Curval ( Auteur), Olivier Girard (Redacteur en chef), Johan Heliot ( Auteur), André Ruellan ( Auteur), Neal Asher ( Auteur), Victor Conde ( Auteur), Bifrost ( Auteur)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 31/03/2005  -  livre
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L'Edito N°38

On a volé la science-fiction. Si si, je vous assure : j’ai commis l’erreur de mettre les pieds dans une Fnac de province pas plus tard qu’il y a quinze jours, et on a volé la science-fiction. Notez que je m’en doutais bien, faut dire… Aussi est-ce d’un pas prudent, l’œil en coin, mine de rien, que je me suis approché de la table dédiée à la S-F. J’ai pas été déçu… C’est bien simple : sur la grosse trentaine de nouveautés grand format présentées en piles, il y avait quatorze titres de Bragelonne (dont un très recommandable bouquin de S-F, Days de James Lovegrove, paumé au milieu de treize titres de fantasy). Ouaip. Quatorze ! Pour les autres éditeurs, perdus au sein de la noria bragelonnienne, j’ai repéré deux Fleuve Noir « Rendez-vous ailleurs » (un R. Scott Bakker et un Chris Wooding : encore deux titres de fantasy, rassurez-vous), trois Bélial’ (rien que de la S-F — ouais ! mais un seul véritable inédit, le Meddik de Di Rollo…), des trucs de chez Nestiveqnen dont je sais plus les titres ni même les auteurs (quatre en tout, dont la revue Faërie, l’ensemble 100 % fantasy, comme il se doit), deux « Lunes d’encre » (une réédition de Pelot en omnibus et le Permanence de Karl Schroeder ; deux titres de S-F, donc), trois Mnémos (dont un titre S-F signé Catherine Asaro), deux « Ailleurs & demain » (de la S-F, cela va de soi et on a beau dire : heureusement que Gérard Klein est toujours là…), deux fantasy chez le Rocher, deux rééditions S-F dans la nouvelle collection « Poussière d’étoiles » chez Terre de Brume et quelques autres trucs (fantasy, faut-il le préciser) chez des petites structures comme Octobre ou l’Oxymore. Donc, après un rapide calcul, j’en suis arrivé à la conclusion que ce libraire présentait sur sa table moins de dix nouveautés de S-F en grand format. Dix titres dont, si nous retranchons les rééditions et autres omnibus, restent six inédits véritables. Six bouquins en table, six nouveautés en Fnac. On a volé la science-fiction !
Bon, certes, on l’a volée à la Fnac de Cannes. OK. Sauf qu’à peu de choses près, j’ai fait le même constat quelques jours plus tard à la Fnac Italie (Paris XIIIe). Vous avez probablement raison : il faut que j’arrête de fréquenter les Fnac pourries… Oui. Mais tout ceci m’a donné l’idée d’une petite recension. Me voilà donc en train d’affûter mon crayon, d’ouvrir mes vieux Bifrost et d’effectuer quelques recherches sur le Net. Eh bien, figurez-vous que d’octobre 2004 à mars 2005, les éditeurs et collections spécialisées ont publié trente livres de science-fiction (ont seuls été retenus ici les éditeurs bénéficiant d’une véritable distribution en librairies). Si ce chiffre de trente ne prend pas en compte les rééditions en poche chez Pocket, Folio, J’ai Lu et le Livre de Poche, il intègre en revanche les rééditions en grand format (à savoir les omnibus et les sorties en grand format, bien souvent dans des traductions nouvelles ou révisées, de vieux classiques épuisés depuis des lustres — une pratique éditoriale qui s’est considérablement développée ces cinq dernières années, la toute récente collection « Poussière d’étoiles » chez Terres de Brume étant d’ailleurs exclusivement consacrée à cette démarche). Ainsi, si nous nous limitons aux publications véritablement inédites, aux textes nouveaux et/ou n’ayant jamais été disponibles en France, ce chiffre de trente tombe à vingt-et-un (hors revues spécialisées mais y compris le n°1 de Fiction, qui tient davantage de l’anthologie périodique que de la revue). Vingt-et-un inédits de science-fiction sur six mois. Dont douze d’auteurs francophones, ce qui, finalement, est considérable : il y a eu davantage d’inédits de S-F francophones que de traductions (l’explication est bien sûr à chercher dans le coût de ces dernières : à l’heure où le champ commercial de la S-F se réduit comme une peau de chagrin, surtout au profit de celui de la fantasy, les éditeurs hésitent à investir dans des traductions, ce qui bénéficie aux auteurs francophones et aux rééditions de textes classiques déjà traduits). Sur ces vingt-et-un bouquins, on notera également deux anthologies (Tracés du vertige chez Flammarion et Les Passeurs de millénaires au Livre de Poche, soit une anthologie de S-F francophone en poche !), un recueil de nouvelles (Le Monde tous droits réservés de Claude Ecken) et deux novellas (dans la collection « Novella SF » des éditions du Rocher). Contre toute attente, la fiction courte est donc plutôt bien représentée proportionnellement parlant… Ce petit recensement permet aussi de dresser un palmarès des éditeurs défendant le plus la S-F. Arrivent en tête, si on se cantonne à la seule sphère des inédits, les éditions Mnémos avec quatre bouquins (dont trois d’auteurs français !), le Bélial’ (deux livres publiés — pour deux auteurs francophones : Di Rollo et Ecken), la collection « Ailleurs & demain » (deux bouquins également, dont le Suisse francophone Georges Panchard) et l’Atalante. On soulignera enfin que sur ces vingt-et-un titres, deux ont été publiés en poche : le déjà évoqué Les Passeurs de millénaires au Livre de Poche et Les Faucheurs de Nancy Kress chez Pocket.
Si le chiffre de trente nouveautés sur six mois — dont vingt-et-un véritables inédits — peut paraître assez faible, il l’est finalement surtout en regard de la production de fantasy, qui atteint des chiffres plus de trois fois supérieurs à ceux du domaine S-F. Dans une récente interview (publiée dans notre numéro 36), Gérard Klein, qui a toujours veillé à ne pas tomber dans le travers suicidaire de la surproduction, stigmatisait à raison ces excès actuels dans les domaines de la littérature de genre. Il affirmait notamment qu’au regard de la demande, dans le cadre d’un marché sain, l’offre de S-F et de fantasy, en poche et en grand format, ne devrait pas dépasser soixante titres par ans. Nous n’y sommes pas, loin s’en faut, mais finalement le caractère grotesque (en volume et en qualité) de la production de fantasy a provoqué par réaction un recentrage bien venu des sorties S-F. On l’a vu, les auteurs francophones sont correctement représentés et la qualité globale des œuvres proposées d’un niveau somme toute satisfaisant. L’offre, désormais réduite en S-F, a pour effet logique que les titres apparentés au genre se vendent plutôt correctement (pour peu qu’ils soient du space opera, domaine science-fictif sans conteste le plus vendeur). Tant mieux. Il ne fait pas de doute que le nombre de nouveautés de fantasy va encore augmenter dans les mois qui viennent (il n’y a pas, à l’heure actuelle, un seul éditeur généraliste qui ne projette pas de lancer une collection grand format spécialisée, et Calmann-Levy, par exemple, arrive dès la rentrée sur un marché déjà bien saturé). Cette masse de titres génère en réaction pour la S-F une niche dans la niche des littératures de genre. Ne doutons pas que beaucoup s’en sont déjà aperçus. A l’instar de Bragelonne qui, dans sa volonté conquérante de dominer le marché des genres en écrasant la concurrence sous le nombre des productions (à défaut de la qualité), vient d’annoncer la création d’une collection grand format de huit titres par an dédiée à… la science-fiction, bien sûr, sous la houlette d’un Jean-Claude Dunyach visiblement bien remis du naufrage d’Imaginaire Sans Frontières. Finalement, tout est question d’équilibre. La surproduction en fantasy a causé des dégâts mais a aussi libéré de l’espace pour la science-fiction (pour peu que les libraires trouvent encore de la place pour la présenter : charge à eux de choisir les titres qu’ils souhaitent défendre). Espérons que l’opportunisme de certains ne se chargera pas de noyer cet espace aussi vite qu’il s’est créé…
On peut toujours rêver.

Olivier Girard

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