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L'empire invisible

Jérôme Noirez ( Auteur), Marc Simonetti (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/12/2009  -  livre
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L'Empire invisible

Musique et écriture, tel est le crédo de Jérôme Noirez. Deux passions qui l'ont amené à effectuer des études d'Histoire de l'Art, à créer un groupe de musique et à écrire des romans et nouvelles fantastiques et science-fictives. Ainsi peut-on lire de lui aussi bien des livres pour la jeunesse (Fleurs de dragon et sa suite Le Shôgun de l'ombre, ou encore La Dernière flèche) que pour un lectorat plus âgé avec Leçons du monde fluctuant ou le recueil de nouvelles Le Diapason des mots et des misères qui a reçu le Grand Prix de l'Imaginaire 2010.

La vengeance d'une esclave

Clara Walker est une jeune fille noire dans le Sud américain esclavagiste du XIX e siècle. Ses journées ne sont que ramassage de coton et brimades par les employés de son propriétaire, Charles Wingard. Une vie de peine et de labeur qui aurait pu continuer jusqu'à la mort si une nuit, le père de Clara n'était pas été tué, stupidement, par les blancs, saouls. L'adolescente voit alors enfin sa vie prendre un sens : celui de la vengeance.

Où le talent de Noirez n'est pas invisible

Avec L'Empire invisible, Jérôme Noirez nous emmène aux États-Unis, en 1858. Le Nouveau Continent est à la veille de sa Guerre de Sécession, qui débutera en 1861. Dans les états du Nord, l'abolition de l'esclavage a commencé à se répandre, mais dans le reste du pays, comme en Caroline du Sud, où se déroule l'action du roman, l'asservissement des noirs est une pratique plus que courante. Une institution. L'Empire invisible, roman écrit pour un lectorat adolescent – la première édition du livre était chez Gulf Stream –, a donc un aspect éducatif indéniable mais autant les enfants que les adultes y apprendront beaucoup de choses sur une période en fait méconnue. Jérôme Noirez décortique la condition d'esclave par le biais de son personnage principal, mais illustre également l'attitude des maîtres grâce aux Wingard. Il peint simplement un tableau de l'Amérique esclavagiste poignant car véridique.

Ainsi, Clara, adolescente noire, donc esclave, exprime-t-elle à maintes reprises le mélange de sentiments qui étreint ceux qui sont de sa condition. La haine pour les blancs et les maîtres souvent cruels est ainsi étouffée par une résignation déplorable, mais qui se comprend : aux esclaves qui se révoltent, on ne promet rien d'autre que la mort. « L'espoir, c'est comme votre dollar, nous autres, on ne saurait pas quoi en faire... » déclare Clara à Hodgkin lors de leur première rencontre.
Toutefois, l'adolescente donnera libre court à sa haine lorsque son père sera tué par Edwin Wingard, le fils aîné du propriétaire de la plantation, ainsi que l'intendant de cette dernière, Daugherty, alors qu'ils étaient saouls. Pour se venger, elle fera appel à un noir vivant seul dans la forêt, un tueur de blancs, mais surtout un fou. Un aliéné sans aucun scrupule, aux méthodes extrêmes, qui feront s'interroger la jeune fille quant au prix de la vengeance.

Jérôme Noirez a ainsi un grand talent pour créer des personnes humains, qui sont souvent plus que ce qu'ils paraissent au premier abord. C'est vrai, dans L'Empire invisible, avec le personnage de Clara, mais encore plus avec les personnages de blancs.
Il y a évidemment les Wingard. Ces derniers sont racistes, évidemment, mais sans en avoir conscience. Pour eux, les noirs sont inférieurs, tout naturellement.
Charles est le chef d'entreprise, inflexible, qui place le profit avant tout autre chose. Les esclaves sont pour lui des outils. Il n'en prend soin que parce qu'ils sont plus productifs en bonne santé. Il n'aura pas de scrupule à  négocier la vente de Clara contre un esclave plus efficace avec un autre propriétaire terrien devant la jeune fille elle-même.
Son fils aîné, âgé de dix-neuf ans, adore faire peur aux noirs, qu'il dit superstitieux. Il prend grand plaisir, avec Daugherty et les autres employés blancs de la plantation de coton, à leur rendre visite la nuit, affublés de grandes robes blanches et cagoulés, comme le feront plus tard les membres du tristement célèbre Ku Klux Klan.
Katharine, l'épouse Wingard, elle, est une maîtresse au racisme paternaliste consternant. En général, elle préfère se tenir à l'écart des esclaves qui travaillent au champ. Ils ont l'air parfois si misérables qu'on finit par les prendre en pitié. Et la pitié ne récolte pas le coton et le tabac, ne défriche pas la forêt, ne creuse pas des canaux d'irrigation, ne rentre pas le fourrage et ne nourrit pas les bêtes. La pitié, c'est la ruine. Sa bonté a donc une limite : celle de son confort matériel. Celle aussi, de son équilibre mental. Car ce dernier a été ébranlé par la mort de sa fille, quelques années plus tôt. Une catastrophe terrible pour une mère qui essaie de garder vif le souvenir de son défunt enfant.
C'est là qu'entre en scène David Hodgkin. Le XIXe siècle marque le début de la mode du spiritisme. Hodgkin est un médium. Autant dire un charlatan. Il vient du Nord abolitionniste pour organiser des séances où il fait croire aux participants, réunis autour d'un guéridon, qu'il entre en contact avec les morts. Dans le Sud, Hodgkin vient gagner de l'argent. Un projet qui n'en valait peut-être pas la peine. Confronté à l'esclavage, il va en effet faire face à sa propre lâcheté et recevoir une bien difficile leçon. Comme beaucoup de gens du Nord, Hodgkin souhaite sincèrement que l'esclavage, cette barbarie, soit aboli dans ce pays. Mais en définitive, ce souhait ne lui coûte rien. Il n'a jamais rien fait pour qu'il se réalise.

C'est donc un Sud raciste, aux grandes heures de l'esclavage, que nous dépeint avec authenticité Jérôme Noirez. D'un point de vue documentaire, l'objectif est atteint. Mais l'auteur n'oublie pas, également, de raconter une histoire passionnante. Le suspense va crescendo, les personnages se dévoilent peu à peu dans la tourmente d'événements qui atteignent des extrémités empêchant tout retour en arrière. Si bien que le lecteur plonge sans difficulté dans le livre, aidé également par l'écriture souple de Noirez, qui a choisi de raconter l'histoire au présent, ce qui place le lecteur au centre des événements.

L'Empire invisible est un roman passionnant, instructif, efficace. Jérôme Noirez y aborde un thème sensible, avec pudeur mais non sans une conviction faisant passer le message. Car si l'esclavage est depuis longtemps aboli, le racisme, lui, est toujours une affligeante réalité. La haine, nourrie par la bêtise ordinaire, est une crasse dont on ne se débarrasse pas facilement lance l'auteur dans les annexes du roman. On ne peut pas lui donner tort.
On ne peut que trouver intérêt pour son roman.

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