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L'Île habitée

Arkadi Strougatski ( Auteur), Boris Strougatski ( Auteur), Lasth (Illustrateur de couverture), Jacqueline Lahana (Traducteur)
Langue d'origine : Russe
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/03/2010  -  livre
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L'Île habitée

L'Escargot sur la pente, Le Dernier cercle du paradis, Le Lundi commence le samedi. Ces titres ne vous disent rien ? Peut-être Il est difficile d'être un dieu, Stalker (ou Pique-nique au bord du chemin) ou bien encore L'Auberge de l'alpiniste mort éveillent-ils, eux, des échos dans votre mémoire. Tous ces romans sont l'œuvre des plus grands écrivains de science-fiction russes, Boris et Arkadi Strougatski. L'Île habitée est un autre de leurs livres, méconnu, que Denoël réédite dans la collection Lunes d'Encre. Un livre qui a fait l'objet d'une adaptation cinématographique par Fyodor Bondarchuck en 2008 et 2009 (en deux films) et qui devrait faire l'objet d'un remake à Hollywood.

Tel Robinson sur son île, Maxime s'échoue sur une planète habitée

Maxime Kammerer est un explorateur russe du Groupe de Recherches Libres. Il étudie incognito une planète peuplée d'êtres humains. Mais lorsque son vaisseau est détruit par les autochtones, il est obligé de se montrer, de s'intégrer à cette société pour trouver un moyen de retourner chez lui.
Or, Maxime est un être venu d'ailleurs, aux capacités surhumaines comparé aux normes de ce monde. De plus, c'est un idéaliste dont la conscience va se heurter à l'horrible dictature qui dirige ce monde et asservit les hommes. Autant de raisons pour qu'il soit entraîné dans bien des mésaventures.

Une critique affûtée du stalinisme

Denoël nous a démontré – ou rappelé – tout le talent des frères Strougatski en ayant déjà réédité deux de leurs romans majeurs, Il est difficile d'être un dieu et Stalker. L'Île habitée nous est présenté comme une autre œuvre d'importance des deux auteurs russes.
Il est vrai qu'à bien des égards, ce roman écrit en 1971 peut-être comparé à Il est difficile d'être un dieu (datant de 1964). Tout d'abord, il se déroule dans le même lointain futur où l'homme a conquis l'espace ; ensuite, il décrit une planète sous le joug d'un régime oppressif ; enfin, il met en scène un personnage idéaliste qui va se heurter à des situations remettant en cause sa vision naïve de l'univers, qui va grandir – s'endurcir – en faisant l'expérience des conditions de vie difficiles des autochtones.
Mais malgré ces points communs, L'Île habitée n'est pas pour autant une copie du livre précédemment cité. Toutefois peut-être les frères Strougatski se sont-ils permis d'aller plus loin dans la critique du totalitarisme et disons-le, du stalinisme. Car la société des Pères Inconnus rappelle sans difficulté celle du « Petit père des peuples ». On comprend la censure qu'a subi le roman à sa sortie, mais c'est une version complète que propose aujourd'hui Lunes d'Encre et la critique des auteurs apparaît sans concession. Les Strougatski décrivent en effet un régime qui a succédé, après une Révolution, à un Empire ; une nation endoctrinée, non pas par la propagande, cela dit, mais grâce à un dispositif à base de tours émettant des rayons ; une nation fortement militarisée, en guerre avec ses voisins, notamment un Empire insulaire qui peut rappeler celui des États-Unis d'Amérique ; une nation sous le joug d'un régime politique qui rappelle donc celui de l'ex-U.R.S.S.

Un roman initiatique mettant en scène des personnages authentiques

Cette exploration de l'île habitée – nom que donne Maxime à la planète en se comparant à Robinson Crusoë au début du roman –, nous la faisons en compagnie de cet homme perdu sur un monde étranger, sans autres ressources que lui-même. Mais cela est déjà pas mal, car son esprit affûté, ses connaissances techniques, son éducation dans bien des domaines, acquise sur une Terre qui a plusieurs siècles d'avance sur l'île habitée, lui permettront d'échapper à bien des dangers. Quant à la pollution atmosphérique, aux radiations des régions du Sud, aux blessures, son organisme – génétiquement ? – amélioré peut aisément y faire face. Mais malgré ces caractéristiques exceptionnelles, Maxime est jeune et inexpérimenté. Il a grandi sur une planète plaçant au-dessus de tout la valeur de la vie humaine. Confronté à la mort donnée avec violence, au mépris de la vie, à la manipulation des hommes, des idées, des volontés, le héros des Strougatski va subir des transformations morales majeures. L'Île habitée est donc également un roman initiatique.
Les frères écrivains prennent d'ailleurs beaucoup de soin dans la présentation de leurs personnages. Car non seulement Maxime n'a aucun secret pour le lecteur, qui saura tout de ses pensées, tout de ses tourments, mais plusieurs personnages secondaires – Gaï, Philosophe... – sont également décrits avec détails. On remarquera notamment avec quelle efficacité les auteurs laissent la parole aux personnages, au cours de monologues in petto, renforçant ainsi leurs personnalités et par la même leur authenticité.

Toutefois, un récit de science-fiction légèrement émoussé

C'est par son personnage principal que L'Île habitée, formidable satire politique et excellent roman initiatique, laisse apparaître une faiblesse. En effet, la surhumanité de Maxime rappelle les heures glorieuses, mais vieillies, de la science-fiction de l'Âge d'Or. Le héros tout puissant, que rien n'arrête – physiquement –, à qui rien ne fait peur, est une figure aujourd'hui quelque peu dépassée.
Le récit est relativement linéaire, mais cela est renforcé par la division de ce dernier en cinq parties aux titres révélateurs de la ligne que va prendre l'histoire. Cette dernière semble parfois s'enliser et les auteurs la relancent par facilité grâce à des péripéties dont l'origine a bien souvent pour cause une soudaine perte de lucidité, de grossières erreurs, de la part d'un héros presque parfait d'autre part. Une construction du récit qui donne un léger coup de vieux à L'Île habitée.

Encore un roman des Strougatski qui vaut le détour

Malgré ce dernier bémol, L'Île habitée est un roman qui mérite lecture pour la critique acerbe, juste et efficace des totalitarismes que les auteurs y dressent. Arkadi et Boris Strougatski laissent apparaître un talent déjà démontré par ailleurs, qui s'exprime au travers d'un propos intelligent et de personnages attachants. On ne souhaite qu'une chose : que Lunes d'Encre poursuive la réédition des œuvres des célèbres frères russes.

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