Catherine Dufour avait commencé à dépoussiérer la fantasy avec Blanche-Neige et les lance-missiles, tutoyant Pratchett et obtenant le prix Merlin en 2002. Suivait L’Ivresse des providers, second tome du cycle Quand les Dieux buvaient, premier roman de cyber fantasy au monde et sans doute l’ouvrage le plus drôle et inventif de ces dernières années. Après Merlin l’ange chanteur, troisième tome du cycle (et un ton en dessous), Catherine Dufour fait un break avec Le Goût de l’immortalité, lorgnant plus, cette fois, vers un autre grand des littératures de l’imaginaire, John Brunner. Et prouvant, s’il en était encore besoin, qu’un écrivain français – une de surcroît – est capable de rivaliser avec les Anglo-saxons pour sortir un vrai roman de SF riche, intelligent, militant et bien écrit.
Qu’est-ce que c’est que cette quête ?
Après cette pause « sérieuse », Dufour revient donner un quatrième tome à son cycle de fantasy humoristique. L’Immortalité moins six minutes se situe, dans la chronologie de l’histoire, avant les trois premiers. On y retrouve Pétrol’Kiwi et Pimprenouche, deux fées déjà aperçues dans L’Ivresse des providers, aux prises avec un miroir magique rendu maléfique par un elfe noir s’étant fait jeter par sa petite amie. Obligées de quitter la Terre plate pour le monde intermédiaire de Bas-Bord, où la magie est déconseillée, nos deux héroïnes entament une quête récalcitrante pour détruire le miroir. Quête qui se téléscopera avec une autre aventure : celle de quatre nains possédant un objet magique maléfique, accompagnés d’un elfe, d’un autre nain plus gros, de deux humains et d’un magicien. Ca ne vous rappelle rien ?...
Dans les traces de Tolkien… littéralement
Il n’est jamais évident de truffer un roman de références aux œuvres fondatrices d'un genre. Les risques sont nombreux : pâle copie, parodie facile et insipide, absence d’originalité… Catherine Dufour, qui s’appuie de façon évidente sur Le Seigneur des Anneaux, les évite tous avec brio. Tout d’abord parce qu’elle assume ses emprunts (voir son site internet). Ensuite parce qu’elle adopte un point de vue extérieur qui nous présente l’histoire de Tolkien sous un autre jour : Dufour part du constat qu’à chaque fois que les hobbits font un festin, une tuile leur tombe dessus. Il n’y a donc qu’à les suivre pour être sûr d’être nourri à l’œil… Outre un potentiel humoristique exploité de main de maître, cette idée a l’avantage d’offrir un autre regard sur la fantasy, de biais et légèrement en hauteur. Dufour a le don de captiver les réfractaires au genre en redéfinissant les clichés sans les renier (un dragon, il n’y a rien de moins original, mais un gragon, c’est tout autre chose !). Enfin, si les références de L’Immortalité moins six minutes font mouches, c’est avant tout parce qu’elles ne constituent pas le véritable intérêt du roman. Elles en forment certes le squelette mais, pour faire un rapprochement avec la gastronomie chère à l’auteur, les os ne sont là que pour supporter une bonne entrecôte.
Humour et vague à l’âme
Mais avant d’attaquer la pièce de viande tendre et savoureuse, parlons d’abord des épices et des condiments. On l’a dit, la fantasy de Dufour est bourrée d’humour. On rit presque à chaque page, ce qui peut s’avérer gênant pour qui bouquine dans les transports en commun. L’humour de L’Immortalité moins six minutes s’exprime avant tout par l’absurde et le contre-pied. Morceaux choisis : « Je ne livre pas dans les mondes euclidiens » ; « Il avait un regard d’escargot avec des freins » ; « Depuis leur abri, la vue sur le cratère était imprenable. De toute façon, personne n’en aurait voulu ». Cela n’empêche pas l’auteur d’être un peu plus crue ou de faire des jeux de mots digne du prix Versins (prix du jeu de mot le plus mauvais décerné lors de la convention nationale de la SF) : « Rien qu’y penser, ça me ruine le gros côlon » ; « Mais, par Thénogénèse, déesse frigide, que veux-tu que je fasse ? ». Mais c’est toujours amené avec esprit. Et avec culture : on sent Catherine Dufour à l’aise avec les mots. Elle ne sacrifie pas à la facilité et emploie un vocabulaire riche et varié, produisant une écriture de qualité.
Cette écriture, elle la met au service de messages et de réflexions. Car que l’on ne s’y trompe pas : l’humour n’est pas un but en soi pour Dufour, c’est avant tout un instrument. Elle émaille ainsi son texte de petits coups de gueule sur notre société et notre mode de vie : « Tu peux toujours édicter les lois que tu veux, il y aura toujours des pollueurs pour dégazer leurs vieux sortilèges n’importe où, c’est vraiment une honte ». Mais, et là on en arrive à notre entrecôte (charolaise, la meilleure), ce qui surprend le plus, c’est le ton mélancolique que prend peu à peu le récit. Au fur et à mesure, l’humour se fait jaune et Dufour aborde un thème qui semble ne jamais la quitter : « La véritable offense des nains à l’encontre des humains, c’était de leur avoir donné la vie, la liberté, et pas de mode d’emploi ». C'est-à-dire, rien moins que le sens de la vie… et de la mort. Que deux titres successifs de l’auteur comporte le terme « immortalité » n’est pas un hasard. Petrol’Kiwi et Pimprenouche, fées immortelles, sont confrontées malgré tout à la mort, et par leur bouche Dufour exprime, avec une émotion pudique, ses appréhensions, sa tristesse ou ses interrogations sur cette issue fatale, nécessaire et injuste, horrible et belle, sans jamais sombrer dans la mièvrerie. Et la légèreté, qui jusque là égaillait le récit, ne fait que mettre en relief ce vague à l’âme qui nous laisse, non pas attristés ou moroses, mais tendrement touchés.
Un divertissement plein de sens
Finalement, L’Immortalité moins six minutes est bien plus qu’il n’y paraît au premier abord. Drôle et intelligent, c’est avant tout un excellent moment de lecture et un divertissement de premier choix. L’humour de Dufour ne lasse pas. C’est d’autant plus honorable que l’on sait désormais ce dont elle est capable dans un registre plus sérieux. Mais, plus que les précédents tomes du cycle, celui-ci laissera une trace bien au-delà de la simple récréation : avec sa sensibilité discrète, Dufour évoque le spleen de l’âme humaine et la mort de ceux qui nous sont proches. Il paraît qu’elle planche déjà sur le tome -1 : qu’elle ne se prive pas d’écrire autant de volumes qu’il lui plaira !
La chronique de 16h16 !