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La boussole du capitaine - Janvier 2014
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La boussole du capitaine - Janvier 2014

Il ne vous aura certainement pas échappé que l’année qui vient juste de s’achever fut l’occasion de célébrer un anniversaire particulièrement marquant dans l’histoire de l’imaginaire.
Comment ? C’était le septante-cinquième anniversaire de Spirou ? Euh oui, aussi, et je suis particulièrement fan de Spirou, mais ce n’est pas du petit groom belge que je voulais parler, mais d’un sujet de science-fiction, suivez un peu. C’est-à-dire : le cinquantenaire de Doctor Who, la série télévisée britannique.
Il y a peu d’années de cela, si je vous avais parlé de Doctor Who, vous auriez ouvert des yeux ronds, avec un air de complète incompréhension. Je m’étais tout de même risqué à glisser un chapitre sur le Docteur au sein des pages de mon pavé Space Opera ! parce que, tout de même, le sujet me semblait incontournable dans la culture SF. Las, en France on a beau dire et beau faire, la fibre science-fictive, ce n’est pas trop notre truc national. Je me souviens même d’une convention de science-fiction, il y a pas mal d’années, en terre helvète (le musée d’Yverdon, la Maison d’Ailleurs, avait alors organisé une convention), où l’écrivain québécoise Élisabeth Vonarburg avait fait une conférence où elle parlait beaucoup de la série américaine « Star Trek: the Next Generation » et à l’époque elle n’avait rencontré qu’incompréhension et petits ricanements de la part de ses confrères français… 
Enfin, tout de même notre bonne vieille patrie du terroir et de la littérature pour profs progresse peu à peu et une chaîne nationale diffuse les nouveaux Doctor Who. Les rares fois où je me suis risqué à allumer la télé pour tester cette V.F. j’ai frémi d’horreur en entendant les voix, mais ça, on le mettra sur le compte de mon snobisme férocement pro-anglais. Reste que maintenant, tout de même, le Docteur a enfin pénétré dans la culture geek française. 
Ça n’avait rien d’acquis : de même que Star Trek n’a jamais été diffusé chez nous autrefois, le Docteur dans sa version « classique » n’avait eu droit qu’à un très bref et très discret passage aux petites heures du matin dans une émission enfantine. L’anecdote est d’ailleurs amusante : en 1981, les frères Bogdanoff, renommés pour leur émission « Temps X », avaient fait acheter les droits de quelques saisons de Doctor Who (celles avec l’acteur le plus célèbre dans le rôle, Tom Baker), et pour accompagner cette diffusion ils avaient également convaincu un éditeur d’acheter les droits de certains romans Doctor Who. Sous la supervision de Richard D. Nolane, un certain nombre de traducteurs, dont votre serviteur, avaient donc traduit en français de vieux romans Doctor Who pour les éditions Garancière. Et puis patatra : Mitterrand est élu et les socialistes mettent les Bogda à la porte, tandis qu’aux Presses de la Cité un scandale renverse la famille dirigeante, tout le groupe est vendu, les éditions Garancière disparaissent. Seuls les premiers volumes seront imprimés, aussitôt soldés. Quant aux quelques épisodes déjà doublés, la redoutable Dorothée les diffusera en catimini, et ce sera tout pour le Docteur.
Jusqu’à maintenant, où l’on nous diffuse donc les Doctor Who de la nouvelle génération et où un éditeur a même fait traduire quelques romans par Pierre Pevel, Laurent Queyssi et d’autres. « Nouvelle génération » ? Eh bien oui, car si l’on vient de fêter le cinquantième anniversaire de la série, en réalité le Docteur ne fut pas produit durant 50 ans : une longue et cruelle interruption fut provoquée par la décision imbécile d’un dirigeant de la BBC, avant qu’enfin le producteur Russel T. Davies parvienne à relancer la machine. Aujourd’hui, merveille des merveilles, ce sont d’anciens fans du Docteur qui le produisent, d’où l’épatante satisfaction de voir sur petit écran des histoires absolument taillées sur mesure pour les fans, comme ce mini-épisode où Paul McGann reprend le rôle du Docteur (The Night of the Doctor), 
 
 
ce superbe téléfilm par Mark Gatiss retraçant les débuts de la série (Adventures in Space and Time), cet épisode spécial du cinquantenaire bourré de surprises exquises (The Day of the Doctor), ou bien encore cette comédie tournée par l’acteur du cinquième Docteur et plein de complices (The Five(ish) Doctors Reboot).
 
 
Ce qui est remarquable, aussi, c’est que durant les années d’absence télévisuelle, le Docteur continua à vivre : à travers une production régulière de romans, bien sûr (puisque tout comme Star Trek, la série a créé sa propre littérature), mais aussi, et c’est plus original, par le biais d’une production pléthorique de dramatiques audio. Et ainsi le huitième Docteur, l’acteur Paul McGann, qui n’avait eu droit qu’à un téléfilm, s’imposa-t-il paradoxalement comme le Docteur ayant eu la plus longue carrière — mais seulement par sa voix. Les livres audio ? Encore un produit culturel qui ne marche guère en France, mais de l’autre côté de la Manche, écouter des livres est presque aussi commun que de les lire. La maison Big Finish ne cesse donc de publier des CD où les différents acteurs encore de ce monde et leurs nombreux compagnons interprètent toujours leur propre version du Docteur. 
Et afin de célébrer à sa façon ce cinquantième anniversaire, Big Finish a donc produit un CD un peu exceptionnel, The Light at the End. Une histoire où une machination temporelle du Master fait se rencontrer cinq incarnations du Docteur, à savoir le quatrième (Tom Baker), le cinquième (Peter Davison), le sixième (Colin Baker), le septième (Sylvester McCoy) et le huitième (Paul McGann). On court en tout sens, il y a des explosions, des surprises, le tout est totalement silly et absolument vain, je ne suis pas certain qu’avoir écouté tout cela ait été ma meilleure utilisation de mon temps, mais c’est amusant.
Un amusement que j’ai également ressenti à la lecture de l’anthologie 11 Doctors 11 Stories, publiée en Angleterre chez Puffin, où des écrivains actuels pour la jeunesse livrent chacun une petite fiction sur l’un des Docteurs. Avec en particulier une nouvelle preuve de l’incroyable talent de Neil Gaiman, qui transforme en or tout ce qu’il touche de sa plume. 
Et puis si vous voulez sourire, tenez, regardez donc le délicieux hommage que réalise une équipe d’artistes new-yorkais : le Doctor Puppet, version en animation image par image de notre cher Docteur, qui a sa propre chaîne sur YouTube.
 
 
 
André-François Ruaud
 
 

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