A l'occasion de la parution du recueil de nouvelles, La Fabrique des lendemains, aux éditions Le Bélial', Rich Larson revient sur l'écriture de celles-ci.
Actusf : Comment est née votre envie d'écrire des livres ?
Rich Larson : Je ne me rappelle pas d’un moment où je n’ai pas sculpté les possibilités à partir du vivant. Je pense que je suis né avec cette impulsion créatrice, comme quelque chose qui existerait en dehors de moi-même. De la même façon, chaque histoire est indépendante de moi ; je la découvre morceau par morceau.
Mes désirs entrent rarement dans l’équation. Je comparerais plus cela à une obsession. Même si on me forçait à garder mon travail enfermé dans un coffre fort une fois terminé, sans personne pour le lire ni aucun profit, je continuerais comme je l’ai toujours fait.
Actusf : Jusqu'à présent, vous avez écrit plus de 200 nouvelles. Les écrivez-vous les unes après les autres ? Ou peut-être après un événement, ou une lecture ?
Rich Larson : Le chiffre de 200 est exagéré. Pour l’atteindre, il faudrait ajouter mes poèmes, et peut-être mes écrits publiés sous pseudonyme.
J’élabore souvent entre 10 et 15 histoires en même temps. En ce sens, je suis un jongleur, gardant beaucoup d’idées variées en l’air, pour essayer de toujours y trouver un intérêt. Inévitablement, certaines s’éloignent. D’autres prennent des années avant d’être finies. Les meilleures idées proviennent d’un seul afflux, comme provenant de la même veine.
L’impulsion d’une histoire arrive sous toutes les formes, dans n’importe quel endroit. Je ne manque jamais de matériaux, juste de concentration et de discipline - parfois de bravoure.
Actusf : Avez-vous des sources d'inspirations en particulier ? Cinématographiques ou littéraires ?
Rich Larson : Je ne suis pas cultivé. Dans la vie de tous les jours, cela ne me gêne pas, mais dans les conférences et les conventions, cela transforme chaque conversation en un jeu de bluff sans enjeu : je hoche la tête avec sagesse, parle avec prévenance, fais des références judicieusement choisies à des titres que je ne connais que de réputation.
Les livres qui m’ont énormément influencés sont ceux que j’ai lu enfant : parmi ceux-là il y a Till We Have Faces (Un visage pour l'éternité) de C.S. Lewis, Feed de M.T. Anderson, The Queen of Attolia de Megan Whalen Turner, Sailing Bright Eternity de Gregory Bendord, et The Live-Forever Machine de Kenneth Oppel.
Beaucoup de mes histoires volent des éléments des arts visuels, des pellicules... Quand j’écris, je me joue un film dans ma tête. Parfois, les limites de l’écriture me gêne. Je suis incapable de décrire spécifiquement certains sons humains ou de communiquer une série rapide d’actions sans encombrer la page. Parfois j’aimerais avoir une caméra à la place du clavier.
Beaucoup de mes histoires sont engendrées par collisions accidentelles. Je n’ai pas l’esprit d’un philosophe : je ne trouve rien de brillant ou d’original quand je me regarde. Je me repose plutôt sur le chaos : une phrase mal entendue, les balbutiements d’un modèle de langage GPT-3, et par dessus-tout, les mécanismes insaisissables de mon propre subconscient. Environ un tiers de mon travail vient de mes rêves ou de la drogue.
Je mourrais avec vraiment beaucoup d’histoires inachevées, ou à moitié écrites. Cette pensée me tiraille de temps en temps.
Actusf : Vous avez également écrit un roman intitulé Annex. De quoi parle-t-il ?
Rich Larson : Annex est un conte de fées de dark sf, qui raconte les conséquences d’une invasion alien. Cela a été écrit comme un lettre d’amour à certains livres que j’ai adoré étant enfant, incorporant des morceaux de The Thief Lord (Le Prince des voleurs) de Cornelia Funke, Animorphs de K.A. Applegate, Coraline de Neil Gaiman et de Shade’s Children de Garth Nix. Il a été largement loué par la critique et lu par presque personne.
Examiner maintenant Annex me laisse partagé. Je me sens redevable de chaque personne qui l’a aimé et a cru en son potentiel : mon agent, mon éditeur, le scénariste qui l’a adapté pour la télévision mais n’a pas pu finalement le vendre. Je me sens reconnaissant des lecteurs pour qui l’histoire a retenti profondément. Mais pour moi, le livre et sa situation contractuelle l’entourant sont devenus comme une tempête dans un coin de mon esprit.
Il était prévu qu’Annex soit un seul roman, mais l’éditeur a voulu une trilogie. J’ai accepté pour des raisons financières. Ça a mal tourné. Ma tentative de suite était imparfaite et sinueuse.
Mon éditeur m’a donné une délai supplémentaire pour la corriger, puis un second. Pendant ce temps, Annex se vendait très peu, peut être à cause de la manière dont il a été vendu – un livre pour enfants commercialisé pour les adultes, un livre avec un personnage trans imparfait vendu comme une fiction LGBTQIA+.
Au vu des ventes, l’éditeur a suggéré de réduire la trilogie à une duologie. Je me suis mis à essayer de transformer mon déplorable livre 2 sur 3 en un livre satisfaisant de 2 sur 2. Encore une fois, mon éditeur m’a donné tout le temps que je demandais. Mais j’étais incapable de fournir un manuscrit terminé.
Ils m’ont depuis offert une porte de sortie, un roman adulte one-shot sans aucun lien avec Annex du tout, et le brouillon que j’ouvre chaque jour sur mon netbook me donne l’impression d’un puits de sable mouvants. J’ai oublié comment écrire des romans, ou je n’ai jamais su.
Quant à Annex, je le recommande de tout cœur. Ce n’est pas complexe, mais cela devient électrisant, perturbant, humoristique et poignant. C’est plus ou moins exactement ce qu’il devait être.
Actusf : Dans vos nouvelles, vous parlez entre autres de biopunk, de SF militaire ou encore de transhumanisme. Pourquoi choisir d'écrire de la science-fiction ?
Rich Larson : La discussion ou la dissection de ces sujets ne me concernent pas, et mon opinion ne devrait pas être prise en compte. Je ne suis pas un scientifique. Je n’ai aucune expertise en quoique ce soit, et comme Neruda, chaque jour j’en sais un peu moins.
Mes histoires parlent des gens. Non pas parce que je comprends les gens, mais parce j’essaie de les comprendre, guidé encore et encore par une espèce de solitude cellulaire.
La science-fiction est une collection d’esthétiques, et je suis porté par cette esthétique car, par essence, elles représentent le changement. Le changement est ma préoccupation principale, je suis obsédé par lui. Je me torture moi-même me demandant dans quelle mesure je peux altérer mes comportements, ma manière de penser – je suis un homme avec de mauvaises habitudes – et dans quelles mesures je suis transporté à travers l’univers sur des rails invisibles.
J’enveloppe mes histoires dans la science-fiction car je veux l’assurance d’un changement tangible qui soutient chacun de mes travaux, même si ce changement est désastreux.
Actusf : Avez-vous des anecdotes d'écriture à nous partager ?
Rich Larson : Jusqu’à maintenant, ce que j’ai décrit dépeint l’écriture comme une carrière très maussade. Mais cela m’a aussi offert des expériences uniques, principalement à travers les amis que je me suis fait. J’ai des souvenirs qui m’électrisent encore la peau – regarder des couchers de soleil à Oaxaca, passer un été entier à garder un mi-château, courir ivre dans un garage abandonné, rencontrer une femme spéciale dans un ascenseur – que j’impute indirectement à l’écriture.
Cela n’a probablement que peu d’intérêt. Vous préfèreriez sans doute des anecdotes liées à d’autres écrivains plus célèbres que moi. Elles sont rares :
Une fois j’ai assisté à une afterparty organisée par George R. R. Martin. Elle s’est déroulée dans un hôtel baroque tentaculaire, dans le centre-ville de Kansas City. Je l’ai vu de loin : il était comme une planète avec de nombreux satellites.
Une fois, j’ai interviewé Corniela Funke pour un festival international d’écrivains. Je n’étais pas au courant que cela allait être filmé : mon jogging et mes cheveux en bataille ont été immortalisés.
Une fois, je discutais avec une femme près d’une piscine à Orlando, quand Neil Gaiman a fondu dessus, comme une chauve-souris en veste de cuir, l’emmenant rapidement. Elle et moi sommes devenus amis, et elle a accepté de mettre mon premier livre sous son oreiller. Mais c’était il y a des années.
Actusf : Et maintenant, sur quoi travaillez-vous ?
Rich Larson : Je travaille sur lâcher prise sur le bonheur. Je veux valoriser le processus au lieu de la finalité, le changement au lieu de l’état.
Une des histoires que j’écris s’appelle Butterfly Man, où des hommes de mains simili-zombies peuvent être transportés comme fœtus et élevés plus tard jusqu’à l’âge adulte dans des baignoires remplies de carbone et de calcium.
Mais il serait peut-être mieux pour moi d’ouvrir le brouillon du roman à la place, la deadline se profile.
Actusf : Avez-vous des conseils pour ceux qui souhaitent se mettre à écrire ?
Rich Larson : Mon conseil est que vous deveniez une personne qui écrit, pas un écrivain. N’épinglez pas votre identité à quelque chose de si capricieux. N’espérez pas de champagne.