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Upside Down - Les secrets d'écriture de Richard Canal
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Upside Down - Les secrets d'écriture de Richard Canal

A l'occasion de la parution d'Upside Down, Richard Canal revient sur l'écriture de ce nouveau roman aux éditions Mnémos.

Actusf : Bonjour Richard, après 15 ans d’attente, vous revenez chez Mnémos avec un nouveau roman le 9 octobre prochain : Upside Down. Une des thématiques présentes dans le roman est la présence des GAFAM et autres NATU dans un monde de castes obnubilé par la médiatisation. Cette société de l’hyper-spectacle est-elle une des raisons de votre retour ?

Richard Canal : C’est l’une des raisons, en effet. L’influence des médias sur nos vies et sur les sociétés s’est faite si importante ces dernières années que la vérité est devenue un concept encore plus malléable – ne l’était-il pas déjà avant ? – au point que nous vivons dans un monde d’illusions soigneusement orchestré par des entités dont le but n’est pas seulement de dégager des bénéfices toujours plus importants mais de nous faire oublier que le monde autour de nous se dégrade à une vitesse impressionnante. En profitant de notre orgueil naturel, on nous fait croire que nous sommes des stars avec des cohortes de suiveurs, alors que nous ne sommes que de simples outils au service d’une minorité aux vues à court terme, plus soucieuse de s’enrichir que d’assurer un avenir serein à notre planète. Il est temps que nous prenions conscience que nous sommes manipulés et que nous reprenions le contrôle de nos vies, de notre Terre. C’est ce sursaut que raconte
UPSIDE DOWN en nous projetant dans un monde pas très éloigné du nôtre où des masses abruties par les médias, obnubilées par le travail comme seul moyen d’expression, travaillent comme des fourmis pour quelques familles de privilégiés vivant dans une bulle hors le temps.

D’autres raisons m’ont incité à prendre la plume. Ainsi, les failles qui se creusent entre le peuple et ses dirigeants sont aujourd’hui si profondes qu’une crise sociale d’une ampleur inégalée est prévisible. Nous n’avons plus confiance dans les hommes politiques qui dessinent notre avenir, et encore moins dans les empires (GAFAM, NATU et autres) qui les manipulent ou qui les entravent. Les mouvements de protestation s’amplifient d’un bout à l’autre de la planète. Contrairement à la fameuse phrase de Warren Buffett qui estimait que la lutte des classes était terminée et que les riches l’avaient gagnée, il m’a paru important de ressusciter la notion de classe dans l’entendement de Bourdieu, c’est-à-dire l’ensemble des personnes partageant une même position par rapport à la distribution des ressources économiques et culturelles. UPSIDE DOWN m’a donné l’occasion de poser un cadre qui permet de distinguer, d’une manière tranchée, la caste de privilégiés esthètes à la poursuite de l’immortalité qui dirige le monde et la masse populaire qui s’échine en sourdine pour qu’elle perdure et atteigne ses buts. Et dans cet environnement, je me suis mis à observer la révolution inéluctable qui couvait. Car l’insurrection est un des thèmes majeurs qui parcourt tous mes livres.

Enfin, je ne pouvais pas rester indifférent aux désastres écologiques qui menacent l’équilibre de la vie sur notre planète. Dans UPSIDE DOWN, à force d’exploiter de manière incontrôlée ses ressources, de fracturer ses basses couches, de laisser la pollution s’installer, la Terre est devenue très difficile à vivre et le point de non-retour est près d’être atteint. L’horloge de l’Apocalypse frôle minuit, saurons-nous l’arrêter à temps ?

Actusf : Le roman est également pour vous le moyen d’explorer pour nous la sublimation du monde par l’Art. Est-ce, selon vous, une des portes de sortie vers une utopie que vous appelez de vos voeux ?

"L’Art en tant que porte de sortie vers une utopie, je n’y crois pas vraiment. Par définition, l’utopie n’est qu’un concept, donc inatteignable."

Richard Canal : Si on est assez clairvoyant, l’Art dans sa pureté, c’est-à-dire dégagé des pièges du commerce, nous donne à voir le monde derrière le monde. Que l’Art soit politique ne prête plus à controverse, le fait est acquis. L’Art a son mot à dire dans l’évolution des sociétés. C’est un révélateur, un catalyseur. Mais pas seulement, à mon avis. C’est aussi une arme, a soft weapon. Et il se doit de l’être, car il est trop souvent récupéré par la société qu’il prétend critiquer. Deux exemples me viennent à l’esprit : Banksy et Shepard Fairey, dit Obey. Si le message qu’ils véhiculent est à la base éminemment critique par rapport aux dérives d’un monde capitaliste à outrance, la société s’est empressée de le dénaturer en le diffusant à outrance dans les circuits de distribution comme un objet commercial aussi anodin qu’un paquet de lessive. La récupération est manifeste. Et si Banksy, conscient de la menace, se permet de lacérer en direct une de ses œuvres en salle des ventes, le système réagit aussitôt en conférant au tableau une valeur supérieure de manière à faire croire qu’il s’agit de la volonté du créateur. Il est difficile d’échapper au système.

Dans UPSIDE DOWN, un des héros, l’artiste Ferris Sojstroëm, devient si célèbre que les maîtres du monde veulent l’avoir à leur botte et dénaturer ses messages. Heureusement, c’est un révolutionnaire dans l’âme, et il va s’employer à retourner l’arme contre eux d’une manière magistrale. De la même manière, l’actrice et star Maggie C Cheung va se révolter contre un cinéma qui l’exploite et utiliser le pouvoir qu’elle a sur le peuple en se transformant en pasionaria capable d’amplifier le mouvement de révolte qui naît sur la planète.

L’Art en tant que porte de sortie vers une utopie, je n’y crois pas vraiment. Par définition, l’utopie n’est qu’un concept, donc inatteignable. Et la seule révolution digne de ce nom est la révolution éternelle. En revanche, dans UPSIDE DOWN, je présente l’Art comme un levier capable d’appuyer un soulèvement, d’ébranler un système. Hélas, une fois celui-ci démantelé, rien ne laisse à penser que nous nous dirigions vers une utopie. La seule chose que nous pouvons espérer, c’est que le nouveau monde soit meilleur et que l’humanité ne répète pas ses erreurs. Pour peu que nous soyons lucides, nous devons accepter que l’histoire fonctionne par cycles. Une civilisation naît, s’effondre et meurt. Une autre lui succède, condamnée à suivre la même trajectoire. Le collapse est inévitable.

Actusf : Pour autant, UPSIDE DOWN est un roman d’aventures où nous croisons le destin de trois personnages (et d’un chien intelligent) : un veut échapper à son destin, l’autre veut le trouver quant au troisième, il est le point médian de ce thriller d’anticipation. Vous paraissait-il important de donner les différents points de vue de ce monde entre richesses pour les uns dans leurs stations en basse altitude et, au sol, une terre décrépite pour ceux qui n’ont pas la chance de bien « naître » ?

Richard Canal : UPSIDE DOWN décrit la lutte entre des dirigeants exilés en orbite basse, UP ABOVE, et un peuple exploité qui survit sur une terre étouffée par la pollution, DOWN BELOW. Il s’avère qu’un conflit ne peut être observé impartialement que si on l’étudie de part et d’autre du front. Ayant eu la chance d’épouser une Vietnamienne, j’ai pu mesurer combien la guerre du Vietnam était différente, dans sa réalité, de celle que les médias étrangers avaient rapportée en Europe. L’Histoire, si elle se veut impartiale et honnête, ne peut s’écrire qu’en équilibrant les points de vue antagonistes.

En choisissant le point de vue du pouvoir, j’avais la possibilité de considérer la manière dont celui-ci percevait le monde, s’il était conscient des exactions qui s’effectuaient en son nom, si les décideurs n’étaient pas trop éloignés de la réalité du terrain et ne se faisaient pas une idée fausse de la situation. En effet, il est souvent trop facile de poser le mal d’un côté, et le bien de l’autre. Rien n’est jamais aussi simple. Même au paradis, il y a des frustrés, des mécontents, des sacrifiés. Par ailleurs, il me fallait décrire les conditions de vie du peuple pour que le lecteur appréhende le tragique de la situation et comprenne qu’on approchait du point de rupture au-delà duquel un système n’est plus viable.

UPSIDE DOWN est le point focal où se retrouvent plusieurs groupes qui représentent un ensemble de forces concentrées en un point d’espace-temps, qui vont se mesurer, s’opposer ou s’unir, et déterminer par le résultat de ces rencontres la résolution des problèmes posés par une situation à l’origine conflictuelle. En dehors des personnages secondaires, j’introduis dans UPSIDE DOWN plusieurs approches, plusieurs angles de vue.
Il y a d’abord Ferris Sojstroëm et Maggie C Cheung, les représentants de l’Art, ceux qui déclencheront l’engrenage qui entraînera le collapse.
Ensuite viennent les grandes Familles dont celle de Richard Parnassus Gates, regroupées sur les atolls en orbite basse, cibles de toutes les attaques. Elles symbolisent le pouvoir dans tout ce qu’il a d’abusif et d’aveugle. Christopher Doyle et Bryan Lancaster en sont les artisans. Ils participent à la grande entreprise de propagande qui doit garder le peuple sous influence sédative.
Caetano, le poète martyr, et Anouphone, le colonel dissident, expriment à travers leurs actions la contestation, la colère du peuple exploité, l’insurrection en marche, à la fois du côté artistique et militaire.
Le duo formé par Duke Margoulis et Stany est le plus étrange. Leur rôle dans la tragédie qui se prépare ne semble pas très important. Ils représentent dans leur neutralité bienveillante les spectateurs. Ce sont les désabusés qui mènent tant bien que mal une vie sans trop d’espoir, les indécis, ceux qui sont coincés entre le marteau et l’enclume. Ceux qui ne comprennent pas tout, ceux qui sont dépassés par les enjeux. Ceux qui pensent juste mais n’ont pas le courage d’agir. Sinon de manière indirecte.
Stany est un personnage bien particulier. C’est un keïnochien, un chien trafiqué par les laboratoires japonais, doté de parole et d’intelligence, philosophe, bon vivant et buveur. Il apparaît déjà dans Swap-Swap, le premier roman de ma trilogie africaine qui reparaîtra bientôt chez Mnémos. C’est un personnage qui m’est cher car il est attachant et lucide malgré son côté un peu nihiliste. Il fait partie du plus intime de mon univers. Il va traverser la tempête en continuant à vivre sa petite vie pleine de compromissions jusqu’à ce que les événements l’entraînent vers ce nouveau monde auquel il aspire sans trop y croire.

Actusf : Vous êtes un auteur éclectique, presque inclassable, et pourtant vous traversez sans encombre les différents genres de la littérature, de la SF au Polar en passant par la Générale, comme si chaque genre vous permettait d’explorer les thématiques que vous souhaitez évoquer. Que pensez-vous de cette catégorisation de la littérature ?

"L’unique constante dans l’écriture qui ait une valeur pour moi, c’est l’aventure humaine."

Richard Canal : Toute catégorisation m’est insupportable. En réalité, le concept même n’a aucune valeur. Je pourrais citer tellement d’exemples d’œuvres outrepassant les frontières artificielles établies par la critique qu’il est vain de vouloir enfermer un roman dans une boîte. Le monde de l’édition commence à l’admettre, certes, mais nous sommes encore loin d’échapper à cet enfermement programmé. De fait, il n’existe qu’une seule littérature, la bonne. L’unique constante dans l’écriture qui ait une valeur pour moi, c’est l’aventure humaine. Que j’écrive dans un genre ou dans un autre, je ne fais que suivre des hommes, des femmes le long d’une histoire. Des êtres de chair et de sang, pétris d’émotion, avec une âme, des sentiments : il y aura des forts, des faibles, des courageux, des lâches, des héros, des traîtres, des idiots, des innocents. Après et seulement après, surviennent les thématiques qui, si je veux leur donner la force qu’elles méritent, vont imposer le décor, le moment où se déroule le récit. Et enfin, les mythes, ceux qui flottent, sous-jacents, derrière le récit, qui lui permettent, en filigrane, de s’envoler vers d’autres sphères.

Cette fois dans UPSIDE DOWN, l’anticipation s’est imposée parce qu’elle me permet de dénoncer avec plus de force les dérives de notre monde en les amplifiant, en les caricaturant au point qu’elles doivent apparaître comme inacceptables par le lecteur. Il n’en reste pas moins que le monde que je décris n’est pas si éloigné que ça de la réalité, de manière à ce que chacun entrevoie un des avenirs qui nous attend si nous ne réagissons pas assez vite.
Je me suis essayé au polar, au roman noir, à la littérature générale, au roman d’aventures, au fantastique, à la science-fiction, au scénario de cinéma, selon les exigences des personnages ou des récits qui me traversaient la tête. Mais, que je travaille dans un genre ou dans un autre, je me suis toujours évertué à rester moi-même. À garder un style à la fois direct et poétique, à travailler encore et encore les thèmes qui me sont chers (la révolution, l’art en tant qu’arme), tout en cultivant cet humanisme auquel je tiens par-dessus tout. J’espère qu’UPSIDE DOWN reflétera une fois encore ces préoccupations et ces exigences.

"Cette fois dans UPSIDE DOWN, l’anticipation s’est imposée parce qu’elle me permet de dénoncer avec plus de force les dérives de notre monde en les amplifiant, en les caricaturant au point qu’elles doivent apparaître comme inacceptables par le lecteur."

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