Parmi les nombreux livres dérivés de la série phare de Terry Pratchett, trois occupent une place un peu à part. Ces volumes prennent le phénoménal succès de la série, et l'utilisent sournoisement pour placer un peu d'éducation scientifique auprès de lecteurs innocents* . La préoccupation ne surprendra pas forcément les fans de Pratchett les plus perspicaces, plus d'un indice dans ses romans laissait à penser que 1/ il se tient au courant d'un certain nombre de choses et 2/ l'ignorance l'agace plus qu'un peu.
Les éditions L'Atalante nous livrent le premier volume, dans une version corrigée (la science a beau avoir la réputation d'être ennuyeuse, voire poussiéreuse, elle court vite) de cette expérience de diffusion des connaissances.
Vous avez dit science ?
Qu'en est il de l'aspect scientifique ?
Ian Stewart est mathématicien à l'Université de Warwick, ainsi qu'auteur de biographies (de mathématiciens) tel le très récent Why Beauty is Truth: A History of Symmetry (2007) et de nombreux livres d'introductions à diverses parties des mathématiques (Does God play Dice: The mathematics of Chaos, 1990, 2002; Concepts of Modern Mathematics, 1995; From here to Infinity, 1996; Flatterland: Like Flatland, only more so, 2002...). Les esprits curieux peuvent se reporter à sa page personnelle. Jack Cohen est biologiste (spécialisé dans la biologie de la reproduction), également à l'Université de Warwick, et en plus de son activité de chercheur et de vulgarisateur il sert également de consultant scientifique pour la télévisions et des auteurs de science-fiction (de Anne MacCaffrey à Larry Niven, Jerry Pournelle, Steven Barnes ou David Gerrold). Leur collaboration les a déjà menés vers des livres de spéculation/vulgarisation tels Figments of Reality: The Evolution of the Curious Mind (1997), The collapse of Chaos, ou What Does a Martian Look Like? The Science of Extraterrestrial Life (2002, 2004), et même jusqu'à deux roman de science-fiction, Wheelers (2000) et Heaven (2004). Tout cela pour dire, à peu de choses près, qu'ils savent en général de quoi ils causent, et ont les galons qui prouvent qu'a priori, ils sont capables de l'expliquer de manière compréhensible...
Bien sûr, on peut chipoter un peu ici et là sur certains passages** ou définitions, en particulier lorsque les auteurs succombent eux même à la tendance à introduire du narrativium (et quelques mensonges-pour-enfants) partout après avoir mis en garde le lecteur de manière répétée contre cette manie humaine et à passer plus de temps avec des hypothèses et des spéculations dans les chapitres concernant plus précisément notre espèce. Mais du coup, le texte passe plutôt bien pour la plupart des chapitres, et il est même agréable à lire. Et il introduit quelques points importants (par exemple le chapitre 34) qui, même s'ils sont la seule chose que le lecteur aura retenu, auront déjà valu le coup de lire le tout...
Par contre, si vous vous y connaissez un peu, ne vous attendez pas trop à découvrir beaucoup de choses nouvelles. L'étendue des sujets abordés fait que chacun n'est que survolé, mais pour quelqu'un qui découvre ou redécouvre, c'est un bon endroit pour commencer, quitte à aller explorer plus loin certains sujets dans d'autres livres plus spécialisés. Il y en a de fantastiques. Vraiment.
Côté Pratchett...
Vous pouvez résister à une aventure des mages de l'Université Invisible, vous ? Moi pas. C'est le genre de milieu où je me sens tout à fait à mon aise, où je comprends le comment et le pourquoi de la dynamique sociale... Abrégeons. Il y a donc un chapitre sur deux dévolu à un nouveau projet de recherche un peu particulier de Cogite Stibbons et de ses collègues qui vont se retrouver entraînés, bien malgré eux et sans aucune considération pour l'heure des repas, dans une aventure sur un monde bien étrange et absolument incompréhensible à l'aide des lois de la magie.
On mélange bien, on touille...
Et c'est là que le bât blesse (un peu). L'alternance de (petites) tranches de récits à l'Université Invisible avec des explications (plus conséquentes) sur notre univers à nous est un peu gênante pour suivre l'histoire du côté Disque-Monde : à part les lecteurs les plus rapides, vous aurez oublié ce qui s'est dit un chapitre et une quinzaine de pages auparavant, surtout si l'on considère la densité d'informations qui a été fournie entretemps. De là à considérer des modes de lectures inédits (du genre on saute un chapitre sur deux, on va jusqu'au bout, puis on revient achever l'autre série de chapitres), il n'y a qu'un pas, que je vous conseille de franchir allègrement si vous avez du mal avec la méthode linéaire.
Un livre intéressant, en particulier pour ceux qui aiment se cultiver un peu avec un minimum d'efforts (pas de honte à ça), et un cadeau potentiel intéressant pour ceux qui veulent offrir plus qu'un roman sans paraître trop sérieux pour autant. Mais pas forcément ce que le lecteur à la recherche d'un Pratchett de plus veut lire...