A l'occasion de la sortie du Chant des Glaces, Jean Krug revient sur l'écriture de ce premier roman à paraître le 22 avril aux éditions Critic.
Actusf : Le Chant des Glaces est votre premier roman. Comment est-il né ? Qu’est ce qui vous a poussé à prendre la plume ? Votre métier ?
Jean Krug : Le Chant des Glaces est né un soir de deuxième année de doctorat, dans un trente mètres carrés pas très lumineux du quartier Saint Bruno, à Grenoble. Je crois que j’étais un peu épuisé par ma journée, j’avais envie de m’évader, je n’avais aucune soirée jeu de rôle prévue, mais un paquet d’idées de role-play. Alors j’ai commencé à imaginer, sur fond de page blanche, l’aventure de deux amis perchés au front d’un glacier émissaire gigantesque, en pleine tempête.
A l’époque, j’étais thésard en glaciologie, ça doit jouer… C’était il y a – frisson d’angoisse – huit ans. Depuis, j’ai poursuivi en recherche, j’ai fait de la modélisation du trafic routier et j’ai commencé à accompagner des croisières en milieux polaire, histoire de continuer à partager cette passion pour la glaciologie… sans jamais cesser d’écrire !
Actusf : Le Chant des Glaces est un roman qui parle de liberté mais également d’emprisonnement. Comment cette dualité peut-elle exister ? Que représente-elle pour vous ? Qu’aviez-vous envie d’aborder dans ce roman ? (Une mise en garde? Un appel à l’aide au vu du réchauffement climatique).
Jean Krug : Pendant ma thèse, mes parents m’ont offert Indignez-vous !, ce petit livre de Stéphane Hessel. Je pense qu’il a résonné quelque part, au fond de moi, et que cette indignation n’a jamais vraiment cessé d’être présente au cours de l’écriture de ce roman. C’est même elle, je crois, qui structure cette histoire.
Alors, plus que la question de la liberté, ce que traduit ce livre, c’est davantage le combat nécessaire pour l’atteindre. Parce qu’on a beau nous la vendre comme article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme, elle n’est jamais donnée. Elle est à acquérir. Et cette lutte, on la retrouve dans plein d’aspects de notre société : lutte contre les inégalités sociales, contre le traitement des sans-papiers, contre le réchauffement climatique, contre l’auto-enfermement généré par notre société de contrôle. C’est du boulot de se révolter !
Actusf : Vous avez fait des expéditions en Antarctique, en Alaska et au Groenland, et vous y retournez régulièrement. Pourquoi les contrées glacées vous attirent-elles autant ?
Jean Krug : Parce que comme Bill dans OSS117, j’ai du mal avec la chaleur !
Plus sérieusement, comme je le mentionne rapidement dans Le Chant des Glaces, Jean-Batiste Charcot parlait du « virus des pôles ». Je crois qu’il avait raison. C’est assez inexplicable. C’est une sorte de sérénité absolue qui vous prend quand vous êtes là-bas, un moment propre à l’admiration. Un endroit sans autre maître que la glace et le temps. Cela est d’autant plus vrai avec l’Antarctique, où les revendications territoriales ont été gelées par le Traité de l’Antarctique de 1959. Cela en fait presque une terra nullius. Une terre sans maître. Le rêve de tout explorateur, non ?
Actusf : Un glacier en particulier vous a-t-il inspiré cette histoire ?
Jean Krug : Plusieurs. Le Glacier Kennicott, en Alaska, car il est l’un des premiers où j’ai pu pénétrer dans une galerie sous-glaciaire. Les glaciers d’Argentière et la Mer de Glace, dans le massif du Mont Blanc. Et, bien entendu, tous ceux que j’ai pu apercevoir, ne serait-ce que par des photos !
Glaciers Kennicott et Gates
Actusf : Qui sont vos personnages Bliss et Fey ? Comment les avez-vous construits et imaginés ?
Jean Krug : Bliss et Fey sont deux forçats de la planète glaciaire Delas. Bliss, elle, a été débarquée sur Delas à l’âge de dix ans, condamnée avec ses parents. Fey, à l’inverse, a juste eu la malchance de naître sur Delas. Ce duo fonctionne bien, même si cela tient davantage à la souplesse et aux qualités d’adaptation de Fey qu’à l’impulsivité de Bliss. Je l’admire, ce Fey. Je ne crois pas que j’aurais la même patience que lui !
J’ai mis longtemps à me faire un visuel propre de mes personnages. Je crois même qu’il n’y en a jamais vraiment eu. Pour moi, Bliss et Fey, comme toutes les autres d’ailleurs, sont avant tout des attitudes et des émotions. Des manières d’être, d’agir, de parler, de penser. Le physique est presque secondaire, et je crois que ça se ressent dans leur description.
Actusf : La musique ne semble jamais loin avec la note parfaite pour trouver le cryel ou encore le surnom des prisonniers les plus talentueux, « les chanteurs ». Pourquoi associer la musique à la glace ?
Jean Krug : C’était spontané. Le titre du roman est arrivé très tôt, et il est demeuré comme un discours, comme une note de fond au fil du récit.
Je vis à Lyon, dans une jungle urbaine de bitume et de klaxons. Alors, quand j’arrive dans un endroit dénué d’humains, j’aime bien passer du temps à me poser tranquillement, à ne rien faire d’autre qu’écouter les sons autour de moi. C’est en particulier le cas dans ces environnements glacés. Tout y est très brut, très minéral. C’est du vent, des sifflements, des raclements. Toute une panoplie de sonorités qui parle d’elle-même. C’est un peu ce que j’essaie de traduire à travers mon écriture : le ressenti, les émotions. Et quel meilleur medium pour y parvenir que la musique ?
Et puis, j’ai eu la chance – je dis ça après coup – de faire dix ans de solfège. Ça m’a apporté beaucoup de connaissances sur la musique, même si, comme tous les mômes, ça ne m’a pas laissé indemne !
Actusf : Quelles ont été vos inspirations et vos influences pour écrire ce premier roman et pourquoi avoir choisi la SF comme cadre ?
Jean Krug : Parce que je ne lis presque que de la SF ! Plus sérieusement, je n’ai jamais envisagé, pour l’instant, écrire autre-chose que de la SF. Je crois que c’est la série Animorphs, de K.A. Applegate, qui m’a fait basculer dans cet univers (oui, ça date). Et, par la suite, Fondation, d’Isaac Asimov et Hypérion, de Dan Simmons, m’ont définitivement ancré dans ce genre littéraire. Finalement, c’est grâce à La Horde du Contrevent, d’Alain Damasio, que je me suis mis à écrire.
Pour moi (mais ce point de vue n’a rien d’original), la SF (et l’imaginaire en général) a cette faculté de déplacer les limites déjà dingues de nos sciences et de nos réflexions, de les déformer et de les façonner jusqu’à rendre évident des questionnements qui sont parfois aujourd’hui difficiles d’accès, ou tout simplement, inexistants dans le débat public.
Actusf : Vous êtes aussi un véritable scientifique. Comment est-ce que votre activité s’accorde avec votre écriture ? Est-ce un atout pour imaginer des choses réalisables dans un futur fantasmé de science-fiction, ou est-ce qu'éviter d’être trop complexe est une difficulté ?
Jean Krug : Les deux mon capitaine !
J’ai clairement besoin d’un cadre scientifique pour justifier le droit à passer dans l’imaginaire. Dans le cas de la glace, ce cadre peut être ma connaissance personnelle, ou un processus de documentation poussée, dans d’autres domaines. J’aime quand la transition entre science et imagination devient tellement étroite qu’on a du mal à repérer l’instant où elle s’opère ! En revanche, pour avoir passé dix ans à faire de la recherche, j’ai appris que la capacité à vulgariser est essentielle. Un roman, c’est avant tout une histoire. Il y faut autant d’affect que de discours.
Actusf : Quels sont vos projets pour la suite de votre parcours d’auteur ? Vous travaillez sur autre chose en ce moment ?
Jean Krug : Mon projet ? Réussi à équilibrer ma vie entre mon besoin d’écrire et mes activités scientifiques ! En temps que guide-conférencier, je peux vous affirmer que cette période est particulièrement compliquée. Néanmoins, je continue à écrire. Après une petite transition sur le climat, j’ai repris un nouveau roman sur le froid. Les temps sont durs, mais j’ai toujours des idées en stock et des sachets de thé dans ma cuisine !
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