A l'occasion de la sortie du Drakkar éternel aux éditions Scrineo, un roman jeunesse mêlant mythologie nordique et aventures dans le temps, Estelle Faye revient sur ses secrets d'écriture !
ActuSF : Le drakkar éternel est un récit d’aventures, plein d’histoires fabuleuses du temps des Vikings. D’où vient cette idée ?
Estelle Faye : J'ai toujours été passionnée par les mythologies, les océans et la nature sauvage, donc forcément la mythologie nordique devait tout ou tard se retrouver dans mes sources d'inspiration.
Tout s'est catalysé lors d'une discussion avec une libraire de Mollat (très grande et très belle librairie bordelaise, et un antre de tentations quand on est accro aux livres comme moi). Elle m'a dit qu'elle avait beaucoup de mal à trouver des romans fantastiques jeunesse à base de mythologie nordique, et pourtant les lecteurs en demandaient. Cette conversation m'est restée en tête, et toute l'histoire s'est déroulée dans mon cerveau (sans que je le demande) dans le TGV qui me ramenait de Bordeaux à Paris.
ActuSF : Pouvez-vous dire quelques mots sur l’intrigue ?
Estelle Faye : Astrid et Maël sont deux collégiens qui n'ont pas une existence aisée dans un petit village de Normandie. Astrid vit en famille d'accueil, et est assez marginalisée par ses camarades. Maël est constamment harcelé, parce qu'il a des lunettes, parce qu'il a les cheveux bouclés, parce qu'il est toujours plongé dans un livre... Quand Astrid prend sa défense, c'est souvent elle qui se fait punir... Leur espace de liberté, c'est l'océan, quand ils vont voguer ensemble sur un petit Optimist. Un jour, en mer, un brouillard soudain les enveloppe, il n'y a plus un souffle de vent, leur téléphone ne fonctionne plus, ni leur boussole... Ils sont prêts à désespérer quand ils aperçoivent une lumière au loin : un bateau. Simplement, ce bateau, c'est un navire viking, avec à son bord un équipage condamné à errer depuis des siècles dans un archipel qui n'existe pas vraiment... Bien malgré eux, Astrid et Maël vont être entraînés dans une grande aventure où ils vont croiser les dieux et les créatures de la mythologie nordique. Ils vont devoir lever la malédiction qui pèse sur le navire, pour espérer rentrer chez eux...
ActuSF : On y retrouve donc deux jeunes adolescents qui n’ont pas une vie facile. Quels sont les thèmes que vous avez voulu aborder avec ce récit ?
Estelle Faye : Ce récit parle évidemment de mythologie nordique (s'il peut faire rêver des lecteurs qui la connaissent déjà, et la faire découvrir à d'autres, c'est tant mieux). Il parle d'océan et de liberté, d'amitié, des épreuves que l'on surmonte. Les héros vont évoluer, se soutenir, se confronter à leurs peurs et trouver qui ils sont. Ce livre enfin parle de harcèlement et du pouvoir des mots, d'oser prendre la parole...
ActuSF : Avez-vous utilisé des sources en particulier pour écrire ce texte, surtout en ce qui concerne les vikings et leur panthéon ?
Estelle Faye : J'aime la documentation en général, et l'écriture d'un roman est souvent l'occasion de me plonger plus avant dans la découverte d'un sujet. J'ai complété la bibliographie que j'avais déjà dans mon bureau par un gros craquage au rayon documentation de Mollat (qui est sublime au passage !). J'ai bien sûr utilisé des livres de mythologie, mais aussi des livres d'Histoire. Je tenais à créer l'équipage Viking le plus réaliste possible, et à ne surtout pas tomber dans les clichés et les idées reçues qui courent encore sur cette période. Par exemple, les Vikings eux-mêmes ne vont pas appeler le navire Drakkar mais langskip, bateau long. Ou encore, la Déesse Hel, qui règne sur le monde des morts, n'est pas en soi une entité mauvaise. Elle a son rôle à jouer dans la marche du monde.
Le dieu Hermód va voir Hel, déesse des enfers.
Manuscrit islandais du XVIIIe siècle, Institut Árni Magnússon.
ActuSF : Il s’agit d’un récit qui aborde maintes aventures mais aussi les mythes et légendes nordiques. Y a-t-il un mythe nordique que vous préférez ? Pourquoi ce mythe ?
Estelle Faye : Plus qu'un mythe en particulier, il a beaucoup de choses qui m'intéressent dans la mythologie viking : le rapport à l'océan, à la nature, les transformations, les déguisements et les métamorphoses, une vision non manichéenne du monde, une mythologie certes cruelle mais aussi parfois teintée d'humour. Peut-être que la première figure à m'avoir attirée vers ce monde est celle d'Odin en dieu voyageur, dans sa tenue usée ternie par la poussière des routes, avec les corbeaux qui l'accompagnent, son grand chapeau masquant à demi son visage, et l’œil qu'il a perdu dans le Puits de la Vérité... Une vision non pas flamboyante, mais riche en histoires et en symboles...
ActuSF : La mer est un environnement qui a une place de choix dans Le drakkar éternel. Quel est votre rapport à la mer ?
Estelle Faye : Ce serait trop long de répondre vraiment à cette question ici. L'océan a toujours été présent, dans mes inspirations, dans ma vie. L'océan, c'est la possibilité du voyage, même éprouvant, même difficile, c'est un horizon qui nous permet de nous sentir plus libre, qui nous dépasse et nous rappelle, aussi, que par rapport à lui, chacun de nous n'est pas tellement important. Et ça aussi, c'est libérateur, mine de rien.
ActuSF : Vous écrivez pour les adultes, mais vous écrivez également pour la jeunesse. Quelle différence y a-t-il dans votre manière d’écrire, de penser ces récits ? Que vous permet de faire la littérature de jeunesse ?
Estelle Faye : Quand j'invente une histoire, je sais d'emblée si elle va donner un roman adulte, ou un roman jeunesse, pour quel âge... Quand j'écris un roman jeunesse, aussi, je me souviens de la jeune lectrice que j'étais, à quel point nos lectures d'enfance et d'adolescence peuvent nous faire découvrir le monde... Et je fais encore plus attention, si possible, aux messages dans ces romans. Il y a de vrais dangers, de vrais enjeux, de vraies épreuves dans mes romans jeunesse. Mais à la fin, il y a toujours de l'espoir.
ActuSF : Vous avez été comédienne et avez exercé de nombreux métiers dans le domaine théâtral. Le théâtre a-t-il une influence sur votre manière d’écrire ?
Estelle Faye : Le théâtre m'a appris l'importance des personnages, et souvent je les laisse mener l'histoire. J'écris aussi toujours pour les lecteurs, comme autrefois je jouais pour le public. Et parfois, je joue des petites scènes de mes livres chez moi, pour m'aider à les écrire.
ActuSF : Pour conclure, nous allons avancer dans le temps, au contraire de vos héros qui semblent avoir reculé. Quels sont vos projets à venir ?
Estelle Faye : En janvier, si tout va bien, ce sera la sortie d'Un Reflet de Lune, le deuxième livre dans le Paris post-apocalyptique et baroque de Chet, le héros d'Un Eclat de Givre. J'avais ce roman en projet depuis assez longtemps, j'ai vraiment hâte qu'il parte vers les lecteurs. Et la couverture est superbe !
En mai, la fin des Aventures d'Alduin et Léna, ma série jeunesse chez Nathan, avec le quatrième et dernier tome, Un fleuve et un dragon.
En octobre, un nouveau roman adulte, du fantastique historique assez sombre, Widjigo chez Albin Michel. Il se passe pour l'essentiel à Terre-Neuve au 18e siècle, dans une île où les mythologies se croisent, avec des incursions en Bretagne pendant la Terreur et dans Paris avant la Révolution. C'est un roman qui parle d'horizon et de voyage, d'injustice et de révolte, et aussi, bien sûr, d'océan.