Un auteur important
Mélanie Fazi a été remarquée pour ses recueils de nouvelles (Serpentine, Notre dame des écailles) et aussi pour ses romans (Arlis des forains notamment) où elle a réussi à marier avec habileté mélancolie et fantastique en s’inspirant de thèmes récurrents tels que l’enfance (souvent maltraitée), la maternité, la mort, l’aliénation. La musique joue également un rôle important dans son inspiration, jusqu’à devenir un sujet d’histoire (dans Serpentine, « Matilda » fut une de ses réussites les plus évidentes dans le genre ; elle revient là-dessus dans « Trois renards »). Le Jardin des silences compile ici des nouvelles parues dans des recueils, voire sur le web. Mélanie Fazi, autant dire qu’on attend beaucoup d’elle (ses réussites sont éclatantes) tout en ayant en mémoire que la plupart de ses histoires sont souvent dans une honnête moyenne (on verra d’ailleurs que c’est consubstantiel à son art). Qu’en est-il ici ?
Un recueil inégal
Il y a de tout dans Le Jardin des silences. On commence par « Swan le bien nommé » : deux enfants sont au fur et à mesure exclus du foyer paternel par une belle-mère plus ou moins sorcière qui leur jette des malédictions (le garçon est métamorphosé de jour en cygne, d’où le l’utilisation du mot anglais swan). Le recueil évolue lentement (Fazi évite les effets faciles et les chutes fracassantes) et connaît son premier gros écueil : « L’autre route ». Ici, notre auteur nous conte l’histoire d’un père divorcé et de sa fille. Un soir, ils rentrent et prennent une bifurcation qui les emmène dans un monde parallèle. Au prix d’une prise de conscience, le père sauvera sa fille de spectres tentateurs assez vaporeux… Mélanie Fazi sombre dans le mièvre, au détriment de l’atmosphère fantastique qu’elle a distillée. Or ce ne sera pas la première fois : une histoire plus réussie comme « Dragon caché » (dont le sujet est, entre autres, l’éveil à la sexualité) souffre également de ce sentimentalisme. Quel est donc ce grain qui perturbe la mécanique Fazi ?
Les défauts de ses qualités
L’art de l'auteur est souvent comparé à une petite musique, délicate et entêtante. Il est vrai qu’elle excelle dans l’évocation de ces moments d’innocence propre à l’enfance (Arlis des forains en est parsemé). Or, elle adore aussi adopter un ton mélancolique où la nostalgie affleure, transportant avec elle des émotions qui peuvent mener à une certaine mièvrerie, surtout lorsque lors des adultes sont impliqués : c’est le cas de « L’autre route » où l’auteur a à cœur d’arriver à une fin « heureuse », où père et fille se réconcilient. Ce type d’approche peut se révéler payant en littérature jeunesse mais nuit auprès d’un lectorat plus âgé. Bizarrement, une nouvelle comme « Le jardin des silences », où une femme raconte son amour passé pour un jeune homme plutôt canaille, ne souffre d’aucun de ces défauts. Et une nouvelle comme « Née du givre » démontre également sa capacité à faire naître le fantastique d’un détail du quotidien.
En fait, la réussite d’une nouvelle de Mélanie Fazi découle d’un équilibre subtil, fragile au point que le moindre grain de sable peut tout faire capoter ! En cela, on peut la comparer au metteur en scène franco-américain Jacques Tourneur dont la réussite des films était basée sur un équilibre aussi fragile. Au final, de toute façon, le critique (comme le lecteur) ne retient que les réussites.