Après son cycle de fantasy Récits du Demi-Loup et sa série Loin des îles mauves, Chloé Chevalier a signé la novella Les Essaims qui vient de recevoir le Grand Prix de l'imaginaire.
"Définir tout ce qui contribue à faire un bon roman d’imaginaire (au sens large) remplirait une thèse entière, donc je vais me contenter des premières idées qui me viennent à l’esprit !
En premier lieu, la qualité des personnages, la véracité de leur psychologie, la richesse de leur évolution tout comme de leurs relations entre eux. Si, en refermant le livre, on a la sensation d’avoir fait une voire plusieurs vraies rencontres, à mon sens le plus compliqué et le plus important est atteint. Les littératures de l’imaginaire permettent, plus que tous les autres genres je crois, de toucher à l’altérité. Des moeurs, des cultures, des façons de penser, toutes les altérités, même et surtout celles qu’on ne soupçonnait pas, justement… C’est l’occasion d’explorer l’Autre dans sa vie autre, mais l’exploration ne tient debout que si cet Autre est dense, complexe et cohérent.
« Mieux vaut partir d’un cliché que d’y arriver » (la phrase est de Hitchcock). C’est particulièrement vrai en fantasy, je trouve. Ce n’est pas notre monde, donc aucune raison que le monde imaginaire qu’on crée ressemble au nôtre par simple automatisme. Quand on reprend quelque chose tel quel, ne jamais le faire au hasard, mais pour une bonne raison ! Sinon, retourner les clichés, aussi mais débusquer les impensés, pour les analyser, les repenser, les déconstruire, et enfin reconstruire autre chose derrière. Parce que pourquoi se l’interdire (ou négliger de le faire ? par paresse ?) quand la mission qu’on se donne c’est précisément de bâtir un monde à partir de zéro, brique par brique. C’est l’occasion d’inspecter chacune de « nos » briques, pour les dépoussiérer, avant de les remettre à leur place… ou ailleurs. Voilà des façons d’aborder l’écriture qui, à mon sens, contribuent à créer un bonne histoire d’imaginaire.
La richesse de la langue, enfin (et ce n’est pas qu’une question de vocabulaire !), qui découle plus ou moins des deux premiers points - mais pas uniquement. A mon sens on ne peut pas bâtir un récit riche, des personnages riches, sans une langue un minimum riche et «pensée». Encore une fois, on décrit des mondes Autres, ou des mondes qui dérivent, découlent du nôtre (dans le cas de la SF et du fantastique), donc l’occasion est trop bonne : la langue en place peut elle aussi être la marque, ou le moyen, de ces déviations, de cette altérité."
Le Mois de l'imaginaire