Le dernier volet attendu de la trilogie Méto, promue en fanfare dès son premier album par l'éditeur Syros, promet d'être un gros succès de librairie jeunesse 2010. Le premier tome La Maison, et son atmosphère carcérale, avait déjà reçu huit prix littéraires (dont le prix Tam-Tam 2008 du livre de jeunesse des 11-15 ans). Le deuxième tome L'Ile était un livre de transition : il décrivait un univers périphérique de la Maison, guère plus reluisant que le centre d'éducation autoritaire que Méto et ses compagnons venaient de fuir. Le lecteur restait sur sa faim, car il apprenait peu de choses des maîtres de la Maison, de son rôle, des guerres de clan, de l'isolement de l'île et du lien entre le monde clos de Méto et le nôtre. Pour corser le tout, le héros était repris par la Maison, résigné à expier sa tentative de fuite et son rôle de meneur dans la rébellion.
Il était donc entendu que le dernier tome serait celui de la révélation des origines: celle de la Maison et celle de Méto. Il restait à savoir comment le jeune rebelle allait fuir à nouveau pour découvrir le monde.
A l'assaut du Monde
De retour à la Maison, Méto n'est pas très bien accueilli. Les cerbères de service, les César, le passent à tabac pour retracer son parcours extérieur dans les moindres détails. Ils ont coupé tout contact avec ses compagnons d'évasion et le font passer pour un traître vis-à-vis des enfants de la Maison et des clans rebelles. Misant sur son énergie et sur son intelligence, ils l'intègrent en lui confiant des missions de plus en plus difficiles. Sur l'île, d'abord, puis sur le continent. Méto apprend désormais beaucoup de choses sur le monde extérieur. La division post-cataclysmique de la Terre en quelques zones plus ou moins polluées. Les familles qui abandonnent leurs enfants. Des bandes d'adolescents errants qui sèment la terreur dans les villes. Le triumvirat qui gouverne le monde. Marc-Aurèle, l'un des triumvirs, qui pourrait être de sa propre famille. Les espoirs placés dans l'Espérène pour dépolluer les sols.
Méto est plus surveillé que jamais, mais, en gagnant la confiance des plus méfiants, il va s'appuyer sur ses visites du continent pour échafauder un plan de libération des pensionnaires de toutes les Maisons. Ça ne va pas être simple.
Méto ou l'élite déchue au service des masses
Le premier tome abordait la question de la liberté dans un système éducatif totalitaire : comment résister au conditionnement abêtissant de soi-même et des autres ? Comment organiser une révolte de l'intérieur alors que tout est contrôlé et que le châtiment psychologique et corporel est érigé en mode d'apprentissage ? Une réflexion qui sonne comme l'écho angoissé de l'évolution actuelle des organisations où le retour de l'autorité conduit à des détresses individuelles et collectives. Le succès du premier roman était lié à ce confinement abstrait, extrême, symbolique d'une dérive fantasmatique anti-démocratique du pouvoir. Une sorte de totalitarisme moderne, fondée sur la malléabilité psychique absolue de l'enfant. Méto en est le grain de sable, qui témoigne de l'esprit de l'aversion humaine, quasi-génétique, à l'oppression totale. L'humain, comme négation du robot docile, ne mourra jamais.
Le deuxième tome avait un peu perdu la trame. Méto avait basculé dans un système plus proche d'une jungle libérale, dominée par des clans en guerre permanente contre l'ordre de la Maison. Issus d'un monde totalitaire, ces phalanstères reconstituaient peu ou prou la discipline de fer de la Maison mère, avec son système de caste qui avilit les moins compétents. Au grand air, Méto, habile et manipulateur, ne s'en sortait pas trop mal et, fort d'un petit réseau de soutiens fidèles, affirmait son désir de quitter l'île. Au passage, il en apprenait plus sur l'arrière-cour et les bas-fonds de la Maison. Dans un monde plus ouvert, le cycle perdait un peu de sa force.
Dans le tome final, Yves Grévet mêle les registres. Il retrouve le confinement initial, mais cette fois-ci, à l'instar d'un roman d'espionnage, Méto fait maintenant face à la Stasi ou au KGB (Jove et les César). C'est un agent qui sert la Maison en se rendant sur le Continent. Un rôle ambigu entre le service rendu et la mission suicide. Son ultime mission est celle de tous les dangers. Ramener un dangereux chef de bande à la Maison. Heureusement, Méto joue les agents doubles avouant tout à tous, ce qui lui permet de parvenir à ses fins, sans s'emmêler dans les mensonges. Gagnant la confiance de tous ceux qui sont autour de lui, il leur fait miroiter un monde meilleur et fait croire à ses ennemis que cette illusion n'est qu'un appât.
À chacune de ses missions, Méto tente d'en savoir plus sur ses interrogations (qu'il partage avec le lecteur) : qui sont ses parents ? où vivent-ils ? pourquoi les enfants ont-ils été éloignés de leurs parents ? qui dirige la Maison ? comment renverser ceux qui y détiennent le pouvoir ? comment démocratiser la Maison et la réconcilier avec les clans qui vivent à la marge ? comment libérer d'autres Maisons dont il apprend l'existence ? Méto se comporte en véritable agent secret, n'hésitant pas à tuer s'il le faut. Le monde est cruel et Méto est à son image. La fin justifie les moyens.
À vrai dire, la leçon est un peu ambiguë. Il s'avère que Méto est le fils d'un des grands leaders du régime.Puisqu'il a quitté sa famille à trois ans, son intelligence, son charisme, son énergie et son sens politique sont manifestement héréditaires. Il se voit d'ailleurs offrir, en fin de roman, un héritage substantiel, qui lui permettra de réaliser ses rêves d'émancipation humaine. Si l'avenir du monde est entre les mains d'êtres exceptionnels issus d'une caste supérieure, pour faire ou pour défaire des utopies totalitaires, il ne tiendra qu'à l'humeur de Méto ou de ses semblables, d'en faire un monde moins manipulatoire.
Un pari sur l'avenir bien hasardeux.
Une curiosité de la série proposée par Syros : une bande-annonce réalisée avec les dessins de l'auteur.
La chronique de 16h16 !