N'en déplaise à Pascal Metge, dont ce fût l'une des contributions au présent roman, Le Regard qui tue, ce n'est tout de même pas le titre du siècle. Certes ça claque plus que Le Gendarme et les extra-terrestres, mais, disons-le tout net, ça vous a bien moins de gueule que Les Misérables. Il est vrai aussi que le duo d'auteurs n'affiche aucune prétention hugolienne, et en l'espèce ça nous ira très bien.
Tout commence par un meurtre flou : celui d'un vieux cruciverbiste myope poussé sur les rails du métro.
Alors même qu'il vient d'aller reconnaître son corps à la morgue, Argus Bréhier, son orthoptiste de neveu, est contacté par un nébuleux S.P.T (Service de Protection du Territoire), où on lui apprend que son oncle était un de leurs agents. Ses anciens confrères cherchent maintenant à en savoir plus sur les circonstances tragiques qui ont conduit à son élimination. Car pour eux, ça crève les yeux, il s'agit bien d'un meurtre.
Retrouvé sur le cadavre du vieux cruciverbiste, une photo figurant une femme, belle bien sûr, portant des lunettes noires et traversant une rue. Au dos, cette simple définition de mots croisés : Le regard qui tue.
Bien décidé à collaborer avec les très iconoclastes, mais occulairement déficients super-agents de la République, Argus Bréhier est prêt à examiner à la loupe la vie de cet oncle qu'il croyait si bien connaître. Aussi quelle n'est pas sa surprise lorsqu'il découvre, l'attendant sagement dans la salle d'attente de son cabinet, la mystérieuse femme aux lunettes noires. Elle est venue le consulter pour cette hypersensibilité à la lumière qui l'oblige à s'abriter constamment les yeux, et on lui a recommandé le jeune orthoptiste. C'est un journaliste venu quelque jours plus tôt l'interviewer qui a ainsi cru bon de lui parler de l'exceptionnelle clairvoyance professionnelle de… son neveu.
Il est désormais temps pour le jeune Argus, de regarder la réalité en face : il nage en plein mystère !
Un titre série Z pour un court récit écrit à quatre mains, et qui, du propre aveu de François Darnaudet, lorgne du côté de Chapeau melon et Bottes de cuir, mais est surtout une histoire de copains. Darnaudet, bien sûr, on connaît (sinon c'est une lacune qu'il vous faut combler). Pascal Metge est en revanche un quasi inconnu sur le front des littératures de l'Imaginaire. Normal ! Son truc à lui c'est le cinéma. Ingénieur du son, puis producteur. Et c'est une envie de ciné qui présida à l'écriture du Regard qui tue. Pascal Metge voulait s'offrir un film "pop". A l'origine, on trouve donc un scénario écrit très vite entre vieux potes de lycée. Mais puisque, malgré les efforts de Pascal Metge, il ne trouvera pas preneur, c'est François Darnaudet qui, pour finalement lui donner vie, se novellisera lui-même. Gardant intacte la structure de l'histoire, le prologue au cordeau de Pascal Metge et recyclant dans leur intégralité les dialogues, il laisse son style vif et précis combler les blancs. Jonglant entre narration à la troisième personne et point de vue interne dès lors qu'il s'agit d'Argus, il s'amuse. Il truffe sa prose de jeux de mots foireux, d'allusions plus ou moins cryptées et exploite jusqu'à l'épuisement total tout le réseau sémantique induit par la déficience visuelle, ce qui était le point de départ du synopsis de Pascal Metge.
Si l'histoire ne fait pas de gras, elle ne nous laisse pas non plus le temps de nous ennuyer. C'est vrai qu'on pense à un épisode de Chapeau melon et Bottes de cuir mâtiné de Lautner période Les Barbouzes. Une similitude renforcée encore par le découpage très cinématographique de l'histoire. Ça trépide, ça cascade dans l'improbable, dans le hors norme, mais on ne demande qu'à se laisser entraîner. On se fait plaisir, et comme de toute façon on n'a pas le temps de musarder que déjà c'est fini, que nous reste-t-il en fin de compte, sinon quelques heures à se marrer ?
Il est à noter que quatre autres curiosités accompagnent ce nouveau raid express de Rivière Blanche. Tout d'abord, la seule et unique nouvelle de Pascal Metge solo. Ensuite une Autobiographie fantastique de François Darnaudet, assez singulière, voire déroutante et qui se situe entre docu-fiction et démarche surréaliste. Le même Darnaudet qui signe aussi une courte et excellente nouvelle de pure science fiction. Mais surtout, et là l'équipe de Rivière Blanche est assez contente de son coup, une couverture signée Juan-Miguel Aguilera, que Philippe Ward m'a commentée d'un laconique "Comme je n'ai pas les moyens de publier ses romans, je suis quand même fier d'être le premier en France à publier une de ses illustrations!".