A l'occasion de la sortie des Chiens de Porcelaine, second volet des Brigades du Steam, Cécile Duquenne et Etienne Barillier reviennent sur l'écriture des nouvelles aventures de Solange Chardon de Tonnerre et Auguste Genovesi, aux éditions Actusf.
Actusf : Nous étions à Aix en Provence dans Les Brigades du Steam, nous voici à Limoges pour Les Chiens de Porcelaine. Qu'est-ce qui vous a donné envie de changer de lieu ?
Cécile Duquenne : Lors de l’écriture du tome 1, nous avions volontairement choisi ma région natale et d’habitation, la Provence, et une ville que je connaissais particulièrement bien… ce n’était donc que justice d’implanter l’intrigue de ce tome 2 à Limoges, région où vit Etienne !
Etienne Barillier : Les Brigades mobiles étaient à Limoges dès leur création, c’était une raison supplémentaire d’en profiter ! Dans le tome 1, je faisais des recherches pour inventer Aix-en-Provence. Cécile a fait de même avec Limoges et ses environs. C’était comme un accélérateur d’imagination ! De plus comme les deux volumes peuvent se lire indépendamment, changer de lieu était la chose à faire.
Actusf : Après un attentat, on part sur la piste des anarchistes qui étaient très présents dans ces années là. Mais vous ne faites pas que les évoquer, vous parler aussi du mouvement et de ses aspirations. Vous aviez envie d'aller un peu plus loin dans l'évocation de l’anarchisme ?
Cécile Duquenne : Personnellement : oui. Adolescente, j’ai lu tout Proudhon, et d’autres penseurs anarchistes, en retenant ce qui me parlait et en excluant ce qui me parlait moins (genre les relents machos de certains). J’en ai retenu la formulation élégante de Proudhon, qui évoque l’anarchisme comme un « Royaume de la conscience », quelque chose qui tient de l’idéal irréalisable à grande échelle, mais tout à fait possible à celle de l’individu. L’anarchisme n’est pas le chaos, même si c’est cette image qui prévaut dans l’imaginaire collectif, malheureusement.
Etienne Barillier : L’anarchisme est abordé dans le roman selon une multitude de points de vue. Nous ne voulions pas tomber dans le schématisme, mais voulions plutôt l’évoquer dans sa complexité… et dans ce qu’il dit sur son époque et la difficulté de la penser. L’action du roman se situe en 1912, l’année du naufrage du Titanic, de la mort de Bonnot, du lent glissement vers la Première Guerre mondiale. Cela constitue une toile de fond très riche pour les aventures de nos héros.
Actusf : Il est aussi question d'hommes et de femmes "modifiées", avec des prothèses, pour parfois pallier à accident mais aussi parfois comme déco, avec un sous-texte sur l'humanité des personnages et le transhumanisme. Qu'est-ce qui vous intéressait dans cette réflexion ?
Cécile Duquenne : En fait, davantage que le transhumanisme, nous voulions explorer les notions de validisme et d’handicap, qui sont complètement absentes du steampunk habituellement, alors que, quand même un personnage avec un membre en moins… souvent, dans le steampunk, le personnage « augmenté » est transhumain et surhumain. OK, mais c’est une vision très validiste de la chose. Le quotidien des personnes handicapées est très, très différent, que ce handicap soit physique ou mental. C’est d’ailleurs un trope très éculé et validiste que de « soigner » un personnage handicapé par la magie/la technologie (trope que j’ai moi-même utilisé sans le savoir dans un précédent roman, et j’en suis revenue depuis).
C’est pour cela que, dès le tome 1, nous avons lentement mais sûrement commencé à détourner ce trope, pour le pousser dans ses retranchements en amenant une réflexion autour de la femme qu’est Solange, avec et sans son bras, telle qu’elle est vraiment, et pas juste une héroïne. C’est aussi une réflexion sur l’abandon des personnes handicapées par les instances politiques, depuis toujours et surtout en ce moment.
Etienne Barillier : Cécile a tout dit. J’ajouterai que cela nous permettait de casser les codes et les représentations. Le steampunk peut facilement servir de seule esthétique, à la fois cool et sexy et c’est un piège que nous souhaitions éviter.
Actusf : On sent une Solange plus complexe, peut être aussi un peu plus humaine, qui doute un peu plus, et un Auguste qui prend du volume, qui est un peu plus assurés. Comment vous voyez l'évolution des deux personnages ?
Cécile Duquenne : A mes yeux, les rôles s’inversent petit à petit entre les deux : Solange s’efface et Auguste s’affirme. Ils visent un équilibre idéal mais, naturellement, cela penche toujours d’un côté ou de l’autre. Et à la fin du tome 2… oups, non, je ne dis rien, héhé.
Etienne Barillier : Solange est le point d’ancrage du récit. Auguste est celui des deux dont le développement est plus visible. La dynamique entre les deux est au cœur même de l’intrigue. Tous les deux sont profondément humains, faillibles et courageux.
Actusf : On ne va pas trop en dire mais il y a des scènes très visuelles, très spectaculaires. On sent que vous avez pris plaisir à les écrire non ?
Cécile Duquenne : Carrément ! J’adore faire exploser des trucs. Sur le tome 1, on nous avait fait compliment de ces scènes explosives, et nous avons tenus à proposer un tome 2 tout aussi jouissif sur ce plan (et les autres, évidemment, mais bon, là, on parle de l’action (rires).
Etienne Barillier : Nous avons poussé tous les curseurs ! Le roman d’aventure steampunk permet d’être très cinématographique tout en osant des actions que le cinéma ne pourrait représenter. Travailler à deux permet de réfléchir dans le détail nos scènes d’action, que ce soit dans leur déroulement que dans leurs conséquences… Et Cécile est très douée pour les écrire !
Actusf : Le roman est paru il y a peu. Comment vous sentez-vous ? Y'a-t-il de l'appréhension au moment de laisser votre histoire aux lecteurs et lectrices ?
Cécile Duquenne : Je ressens personnellement une sérénité intense : nous avons fait de notre mieux, et le reste ne nous appartient pas. Donc non, pas de stress particulier, d’autant que la première chronique reçue est un méga coup de cœur de quelqu’un qui a enchaîné les deux tomes ! Cela fait SUPER PLAISIR.
Etienne Barillier : Oui. Toujours un petit pincement au cœur. Mais je suis très fier du travail que nous avons accompli. J’adore la couverture de Zariel, qui a parfaitement saisi nos intentions.
Actusf : Quels sont vos projets ? Sur quoi travaillez-vous ?
Cécile Duquenne : En ce moment, je travaille sur mon thriller contemporain, 610 Secondes. C’est trèèèès différent des Brigades du Steam, avec un narrateur non fiable, des mensonges partout, un genre de côté « saga familiale cheloue » avec des personnages dont la mémoire est trouée, déformée, rapiécée… et un tueur en série au milieu, parce que, pourquoi pas ? Bref, je m’amuse beaucoup !
Etienne Barillier : Je bosse sur le prochain numéro de la revue numérique Cérès.