Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - Novembre 2010

Les gentlemen de l'étrange d'Estelle Valls de Gomis

Je viens de découvrir avec retard le sympathique recueil de nouvelles arrangées en roman d'Estelle Valls de Gomis, "Les gentlemen de l'étrange", que Black Book Editions (www.black-book-editions.fr)  vient d'avoir la bonne idée de rééditer. Située, comme il se doit, à la fin de l'époque victorienne, l'action met en scène deux amis, l'un psychiatre et directeur d'un asile d'aliénés, Manfred Gladstone, l'autre gentleman vivant de ses rentes et quelque peu étrange, Wolfgang Bloodpint, qui mènent des enquêtes sur les créatures improbables qui hantent Londres mais aussi la vieille Europe et le Nouveau Monde.

Ecrites sur un ton léger et badin, dans une société victorienne qui pousse au paroxysme l'excentricité britannique bien connue puisque personne ne s'étonne véritablement qu'Ernest, une souris blanche de 50 cm de haut, à l'érudition sans faille, n'accompagne nos deux héros dans leurs enquêtes pour le compte d'un Scotland Yard très tolérant envers le paranormal ou que la gouvernante de Wolfgang ne pratique la magie amoureuse sur lui, cette suite de nouvelles, où vampire et wendigo côtoient Aleister Crowley ou un fantôme, est d'une lecture fort agréable. Avec humour, Estelle Valls de Gomis a créé deux détectives de l'étrange attachants et curieux dont j'espère qu'elle nous fera découvrir d'autres aventures.

Vampires ! Une Histoire sanglante par Elisabeth Campos et Richard D. Nolane et Bit-Lit ! L'Amour des Vampires de Sophie Dabat

Joli doublé vampirique aux Moutons électriques qui réjouira tous les amateurs comme moi de bit-lit !
 
En effet, vient de sortir dans l'excellente collection "Bibliothèque des Miroirs" une belle étude sur les vampires: "Vampires ! Une Histoire sanglante" par Elisabeth Campos et Richard D. Nolane. Certains se souviendront d'une première mouture sortie il y a une vingtaine d'années: les auteurs ont considérablement enrichi et actualisé les chapitres. Les études consacrées au "folklore vampirique moderne" ou au "vampire superstar" (quasiment la moitié de l'ouvrage) sont particulièrement intéressantes, l'on y découvre même certaines productions japonaises, que ce soit BD ou films. La bit-lit n'est pas oubliée, de même que le vampirisme animal ! Avec une très belle iconographie, un très bon livre pour tous les amateurs de vampires et une excellente présentation concise pour ceux qui veulent parfaire leur culture générale sans lire toute la littérature du genre.

Sophie Dabat vient de sortir, dans cette même collection de la "Bibliothèque des Miroirs", une étude passionnante intitulée: "Bit-Lit ! L'Amour des Vampires". Elle démontre que cette littérature, souvent injustement méprisée - cela ne rappelle-t-il pas une certaine attitude vis-à-vis de la SF ? -, est en prise directe avec les problèmes de nos sociétés contemporaines et le reflet de nos interrogations. De manière intéressante, il s'agit en général d'héroïnes à la fois surdouées et vulnérables, face à des hommes souvent créatures de le nuit. Contrairement à ce que l'on pense, la bit-lit ne comporte pas que des vampires mais aussi des loups-garous, des zombies, des fées et autres créatures de toutes sortes. Abordant toutes les évolutions du genre, considérant aussi les aspects BD, films et séries télé, l'auteur, avec des contributions d'Elisabeth Campos, Isabelle Ballester et Coralie David, présente un panorama très complet, avec des considérations très intéressantes sur notre pays et son absence d'écrivains du genre.
Une étude à lire par tous les amateurs pour compléter leurs connaissances et par les autres pour découvrir ce qu'ils manquent !

Drone de Neal Asher

Vient de sortir au Fleuve Noir un 3ème roman de l'excellent auteur britannique Neal Asher, "Drone" sous-titré "Une aventure de Ian Cormac, agent du Polity". Si ses deux premiers romans traduits en français, "L'Ecorcheur" et le magnifique "Voyageurs", étaient d'une approche parfois un peu sophistiquée, avec "Drone" nous retournons à une SF très classique et fort agréable, du fort bon space opera. Nous découvrons le Polity, la grande communauté humaine interstellaire dirigée par des IA, à la fin de la guerre contre les Pradors, d'ignobles crabes géants anthropophages et esclavagistes à la technologie très développée, et ce par les yeux de Ian Cormac, agent du gouvernement, chargé d'éclaircir un complot de Séparatistes, ces humains qui ne veulent pas ou plus faire partie du Polity.

A travers une intrigue double, Cormac enfant et Cormac jeune adulte commençant sa carrière, Neal Asher nous peint un univers très dur, où une guerre féroce et impitoyable justifie - ? - tous les moyens pour être gagnée, où les individus essayent de survivre en s'ajustant au mieux physiquement et mentalement dans toutes les situations. Et une question nous poursuit à travers tout ce roman rempli d'action: qui est le drone Amistad et pourquoi traque-t-il Ian Cormac depuis son enfance ?

En conclusion, "Drone" est une excellente introduction à l'univers passionnant du Polity développé par Asher, il ne reste qu'à attendre les nouvelles aventures de Ian Cormac.

La Guerre des mondes n'aura pas lieu ! de Johan Heliot

Vient de sortir chez Mango un roman que jeunes et moins jeunes peuvent lire avec énormément de plaisir, à savoir "La Guerre des mondes n'aura pas lieu !" de Johan Héliot. Il s'agit là d'une uchronie puisque le jeune Herbert George Wells, suite au refus de sa nouvelle "Les Argonautes à la conquête du temps", décide qu'il n'est pas fait pour le métier d'écrivain et décide d'émigrer en Amérique avec sa cousine. Et à partir de là, tout dérape... Johan Héliot se lâche de manière jubilatoire : il fait découvrir à Wells le secret de l'invasion à venir martienne grâce à un voyageur temporel ; Roswell - ! - est le lieu où le gouvernement américain a monté, grâce à Edison, un projet de style Stargate pour envahir Mars. Sous le commandement d'un certain colonel John Carter, qui connaît bien cette planète, un régiment spécialement entraîné et les Wells vont arriver sur Mars, que ses derniers occupants appellent curieusement Barsoom... L'auteur réussit le tour de force de mélanger allégrement, et de manière convaincante, les Mars wellsienne et burroughsienne, se payant même le luxe, par un artifice en forme de clin d'oeil, de faire participer Edgar Rice Burroughs à l'aventure. Et je ne parle de l'hommage final à Gustave Le Rouge. Vous l'avez compris, je me suis fort amusé pendant toute ma lecture, rien ne manque au plaisir de l'amateur de SF.

 

 

Catalogue de l'exposition Gernsback au Luxembourg
J'avais signalé il y a trois semaines que se tiendrait, du 27 octobre 2010 au 18 mars 2011, une exposition consacrée à " Hugo Gernsback An Amazing Story" au Centre national de littérature, 2 rue Emmanuel Servais L-7565 Mersch, Luxembourg  (http://www.cnl.public.lu) ). Je viens de recevoir le catalogue qui est absolument magnifique: iconographie somptueuse avec beaucoup de photos et de documents que je ne connaissais pas, texte érudit en 2 langues (anglais, français) couvrant toute la vie de Gernsback depuis ses débuts, une bonne bibliographie, 227 pages passionnantes, le tout pour 25 € et donnant des regrets de ne pouvoir aller voir immédiatement l'exposition ! Le catalogue se commande sur le site du CNL.

 

La Lance du Désert de Peter V. Brett

J'avais lu l'année dernière et trouvé très original le premier volume du "Cycle des Démons", 'L'Homme-Rune", de Peter V. Brett, en Milady grand format. La suite, "La Lance du Désert", vient de sortir et je l'ai apprécié tout autant que le tome précédent. Sur un monde qui est peut-être le nôtre dans un lointain futur, les humains coexistent avec les démons, et ce littéralement: à chaque coucher de soleil, des démons de feu, de l'air, de bois ou de pierre se matérialisent à partir du Coeur de la Terre et se mettent à pourchasser les humains. Ceux-ci ne peuvent survivre qu'abrités par des runes de protection, gravées ou peintes sur les murs, les sols, les barrières, et dont les démons, nuit après nuit, testent en permanence les défaillances éventuelles. C'est ce qui est arrivé à Rojer dans sa toute petite enfance, les runes étaient mal tracées et une faiblesse a ainsi permis aux démons de massacrer toute sa famille; il a été adopté par un Jongleur et en deviendra lui-même un, violoniste de talent.

La mère d'Arlen Bales, le héros du premier volume, a, elle aussi, été massacrée par des démons et son fils, face à la lâcheté et à l'inertie de son père, quitte la ferme familiale: il trouvera, tout en essayant de faire face à ses problèmes psychologiques, le moyen de lutter en devenant Protecteur - ceux qui connaissent les runes et les tracent - et Messager - ceux qui voyagent entre les divers duchés et villages humains. Il découvrira ainsi des ruines fort anciennes où se trouvent des armes "protégées" par des runes  et de nouvelles runes. Il deviendra ainsi, afin de survivre, "l'homme-rune", couvert des pieds à la tête de runes tatouées le rendant invincible face aux démons. Est-il le Libérateur, celui qui délivrera les hommes des démons, comme le proclament certains ? C'est ce que nous allons découvrir dans le second volume, qui reprend et développe les personnages: Jardir, un homme du désert où les guerriers chassent les démons chaque nuit après avoir suivi un entraînement très dur, devient le chef suprême - suite à une trahison -, se proclame le Libérateur et lance la guerre sacrée contre les démons, guerre qui passe par la conquête et l'unification de tous les infidèles. Et ceux-ci ne sont pas forcément d'accord, en particulier Leesha, qui guérit les blessures et sait particulièrement bien utiliser les runes.

Voilà toute la force de cette série: un monde très original et bien décrit, des personnages qui sont très humains dans leurs forces et leurs faiblesses - en particulier qu'est-ce que l'honneur et quelle élasticité présente cette notion -, avec des descriptions très fouillées des fanatismes de tout genre et des excès auxquels ils peuvent amener, une richesse de personnages secondaires attachants, une intrigue bien menée et de belles scènes de combat - en particulier l'alagai sharak, la chasse nocturne des guerriers du désert -, le tout bien écrit et bien rendu par le traducteur, Laurent Queyssi.

Rue Farfadet de Raphaël Albert