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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - Juillet 2011
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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - Juillet 2011

Frères lointains de Clifford D. Simak
Je suis un grand fan de Clifford D. Simak que je considère comme l'un des plus grands auteurs de la SF américaine et qui est aussi l'un des plus injustement oubliés. Fort heureusement, après les efforts d'Omnibus qui réédita en un volume plusieurs de ses grands romans - dont le classique "Demain les chiens" -, Le Bélial a entrepris de publier des recueils de celui qui fut aussi un grand nouvelliste: tout d'abord "Voisins d'ailleurs" puis aujourd'hui "Frères lointains", de bien beaux titres qui reflètent bien l'esprit de Simak. Dans ce dernier recueil, nous retrouvons les facettes multiples du talent de l'auteur: quatre étaient déjà sorties dans notre pays, quatre sont inédites. Le livre s'ouvre avec "le Frère", très représentatif de l'écriture et des thèmes chers à Simak, un vieil homme solitaire et heureux, qui vit retiré dans son petit coin de campagne mais a un lien parapsychologique avec son frère astronaute, qui lui permet ainsi d'avoir exploré la galaxie. Mais est-ce aussi simplement qu'il a pu satisfaire son envie de voyager ? Suit "la Planète des reflets", autre bel exemple d'écriture simakienne: Terriens arrogants et sûrs d'eux, extraterrestres aux motivations quasi incompréhensibles pour nous. "Mondes sans fin" reprend le thème de l'exploration par des moyens parapsychologiques et "Tête de pont", en quelques courtes pages magistrales, celui de l'arrogance terrienne qui ne mène qu'à la catastrophe. Viennent ensuite les nouvelles inédites en commençant avec "l'Ogre", une nouvelle de 1944 qui surprendra plus d'un lecteur: on y découvre en effet un Simak à l'humour féroce et décapant, retournant de manière jubilatoire les personnages de nos vieux contes de fées dans un monde de SF où les végétaux sont intelligents et représentent le sommet de la chaîne alimentaire... Dans "A l'écoute", nous retrouvons une fois de plus un autre traitement du contact et de l'exploration télépathiques, un thème cher à l'auteur. "Nouveau départ" est une variation du thème de l'un des chefs d'oeuvre de Simak, "Au carrefour des étoiles" et a l'intérêt, outre sa belle écriture, d'être antérieur au roman: une belle réflexion, tout à fait d'actualité, sur l'utilité des personnes âgées et sur le rôle du droit et de la justice dans la société. Le livre se termine sur un très beau texte, "Dernier acte", ou comment fonctionne une société où tout le monde a le don de voir le futur à vingt-quatre heures maximum, comme toujours à travers les yeux d'un homme tout à fait moyen, vivant dans une famille représentative de la "middle class" américaine typique.
Comme vous le voyez, voilà un livre fort riche, fort agréable à lire - il faut saluer le travail de Pierre-Paul Durastanti qui a choisi les textes et en a assuré la traduction ou la révision -, avec, en postface, une analyse fort intéressante de Philippe Boulier sur l'oeuvre de Clifford D. Simak. En attendant, du moins je l'espère, que le Bélial et Durastanti nous proposent un troisième tome, voilà un livre de grande SF à lire cet été.
 
 
 
Les Revenants de Whitechapel de George Mann
 
Depuis quelques années, le "steampunk" revient en force et certains romans du genre sont excellents car ne se contentant pas d'un moteur à vapeur et de quelques boulons rutilants. Le livre de George Mann, "Les Revenants de Whitechapel" (Eclipse) appartient à cette catégorie: dans un Londres comme on l'aime - brouillards inquiétants, ruelles sordides de Whitechapel et maisons georgiennes somptueuses -, survolé par des dirigeables transportant passagers et marchandises aux quatre coins de l'Empire, sillonné par des trains terrestres fonçant à toute vitesse et à toute vapeur et par des cabs à moteur, Sir Maurice Newbury, enquêteur accrédité par la Couronne et archéologue aussi chevronné qu'il est occultiste, mène l'enquête sur la demande spéciale de la reine, Victoria, qui mène les affaires impériales d'une main de fer depuis son fauteuil roulant avec respirateur intégré ! Assisté de miss Hobbes, ravissante et intrépide, dotée d'un esprit déductif acéré, il va découvrir, et nous avec lui, pourquoi le dirigeable qui s'est écrasé en plein Londres n'avait pas de pilote ? A quoi la fièvre effroyable qui transforme les gens en zombies sert-elle de paravent ? Quel est le mystère de la fabrication de ces automates qui commencent à se répandre et à remplacer domestiques et ouvriers ? Outre son intrigue bien menée au rythme des innombrables tasses d'Earl Grey absorbées au cours de ces 340 pages, son ambiance très british / holmésienne - Mann est un Anglais pur jus, grand connaisseur de Holmes et de Sexton Blake -, l'auteur a su intégrer aux éléments purement SF une composante occultiste qui rend bien compte de cette atmosphère particulière de la fin du siècle victorien: une science triomphante et rationaliste coexistant avec un occultisme respectable fonctionnant au sein de cercles de la haute société éduquée.Cela nous donne un roman tout à fait intéressant, où l'on trouve savant fou et génial - Français bien entendu ! - et médium charlatan, mystères de l'Inde profonde et avancées scientifiques révolutionnaires, la tension d'une période de changement social et technologique entraînant des modifications de fonds de la société et générant tout autant les peurs de l'avenir que les espoirs d'un futur meilleur (symbolisé par le "conservatisme" de miss Hobbes face à la fascination de Sir Newbury pour le "progrès").
Voilà un roman fort sympathique, qui nous plonge dans une atmosphère totalement dépaysante, avec des personnages qui m'ont conquis. Un auteur à découvrir donc, d'autant plus que d'autres enquêtes de Newbury et Hobbes existent déjà en anglais et n'attendent que d'être traduites... Un dernier mot pour ajouter que, justement, la traduction de Pierre-Paul Durastanti rend avec bonheur l'atmosphère très particulière du livre.
 
Pacte de Sang, Rebecca Kean 2 de Cassandra O'Donnell
 
J'avais découvert et apprécié Cassandra O'Donnell, premier auteur de bit-lit français, avec "Traquée", début de la série "Rebecca Kean" (J'ai lu / Darklight) que j'avais signalé dans un coup de coeur (mai 2011). J'y disais attendre avec impatience la suite des aventures de notre héroïne et cette attente ne fut guère longue puisqu'un second tome vient de sortir: "Pacte de sang". Disons-le tout de suite: Miss O'Donnell confirme son talent pour écrire de la bit-lit à la française. Elle développe l'histoire de Rebecca Kean, sorcière de guerre aux pouvoirs redoutables, et de sa fille, Leonora, demie-vampire dont les facultés hors normes commencent à apparaître. Nous comprenons mieux les origines de Rebecca, sa vie antérieure en France; nous assistons aux complications qu'entraînent pour celle-ci le mélange de sa vie professionnelle occulte en tant qu'Assayim (sorte de shériff tout puissant - "license to kill" - faisant respecter les lois par toutes les différentes communautés de créatures surnaturelles du Vermont, et Dieu sait qu'elles sont nombreuses: vampires, démons, loups-garous, sorcières, muteurs etc...), de sa vie professionnelle officielle (professeur de littérature française à l'université de Burlington) et de sa vie amoureuse (on commence à découvrir dans ce volume les raisons de l'attirance irrésistible qu'exerce Rebecca sur les mâles de toutes espèces !). L'auteur y rajoute une enquête policière sur des crimes horribles dont sont victimes des louves-garous, des intrigues politiques entre les différentes factions surnaturelles et à l'intérieur de celles-ci plus la rivalité pleine de testostérone entre les deux vampires amoureux de Rebecca, les origines mystérieuses du sympathique loup-garou des steppes exilé Bruce, les amours cachées et contrariées entre Beth la louve-garou et Khor le lion-muteur, plus une poignée de nouveaux personnages dont un puma-garou et un médecin légiste ragondin (!) et vous comprenez que l'on se régale. En effet, à une histoire bien ficelée et bien écrite selon les codes américains du genre, Cassandra O'Donnell apporte cette touche de légéreté et d'esprit qualifiés de "français" par les anglo-saxons et qu'ils nous envient ce qui apporte un petit décalage et donc un plaisir de lecture supplémentaire. Le résultat est parfaitement réussi, l'essai transformé. Vivement le troisième volume !
 
 
Pour l'Eternité, L'Age du Chaos 3 de Mark Chadbourn
 
Lors de sa sortie, j'avais adoré et dit quel plaisir de lecture m'avait procuré "La Nuit sans fin", premier tome de la trilogie de "L'Age du Chaos" de Mark Chadbourn. J'avais ensuite lu le tome 2, "Aux Heures les plus sombres", avec autant de plaisir et je viens de terminer "Pour l'Eternité", le tome qui clôt ce cycle paru chez Orbit. Mark Chadbourn écrit fort bien, décrit avec minutie les paysages les plus traditionnels de la Grande-Bretagne profonde, celle des pierres levées et des ley lines, celle des lieux chargés de puissance comme Glastonbury ou Stonehenge, ce vieux pays d'avant les invasions romaines ou saxonnes dont les mythes les plus puissants perdurent dans l'inconscient collectif. C'est d'ailleurs là toute la base de son histoire et ce qui lui confère une partie de son appel: Chadbourn est un fin connaisseur en matière de celtisme, d'archéologie, de folklore mais aussi de New Age et de phénomènes fortéens. C'est grâce à cela que nous suivons avec passion la quête de Jack Church et des quatre compagnons qui sont groupés autour de lui pour former les Frères et Soeurs du Dragon, ce Dragon qui est la force vitale du pays et se manifeste à travers ces lignes de force matérialisées par les lieux de pouvoir antiques et qui a besoin d'être revitalisé, afin de retrouver les objets mythiques que sont la Lance de Lugh, l'Epée de Nuada, la Pierre de Fal qui crie lorsque le vrai roi la touche et le Chaudron magique de Dagda et, dans ce dernier volume, la Chance du Pays, à savoir la Tête du célèbre héros mythologique Bran. Ils accomplissent ainsi leur destinée, lutter contre les Fomorii qui sont de retour pour faire revenir Balor, leur chef suprême, la créature qui détruira le monde. Et pour cela ils doivent affronter de nombreux ennemis, tous sortis des tréfonds des peurs anciennes, mais aussi l'indifférence et le mépris de leurs alliés naturels, les grands ennemis des Fomorii que sont les Tuatha Dé Danann, ces dieux hautains et féériques, et surtout leurs propres faiblesses et doutes, leurs plus grands ennemis car intérieurs. L'auteur rend très bien compte des réactions des hommes du 21ème rationaliste que nous sommes confrontés à des menaces et des créatures qui ne peuvent pas exister dans notre monde scientifique et technologique, qui a tenté de bannir le rêve et l'irrationnel. C'est ce qui fait l'une des grandes forces de cette trilogie; une autre est cet amour de Mark Chadbourn pour "la mythologie [qui] est l'histoire secrète du pays" (p. 195) et qu'il retranscrit avec passion et talent en la tissant dans une intrigue serrée.
 
Alors que nous avons suivi les personnages à travers toutes leurs aventures, plus dramatiques et émotionnelles les unes que les autres, il réussit en outre l'exploit de terminer le roman en apothéose avec une fin à laquelle je ne m'attendais absolument pas !
 
Une très belle trilogie de "dark fantasy", - on n'oubliera pas de sitôt la description du Londres occupé par les Fomorri ou la description de "Fend-la-Vague", le vaisseau enchanté de Manannan Mac Lir -, bien servie par la traduction de Brigitte Mariot pour les deux premiers volumes et celle, plus facétieuse, de Guillaume Le Pennec pour ce dernier volume (il fait manifestement partie du club des amateurs des "Tontons flingueurs" et réussit à placer un échange culte p. 369, je serai curieux de savoir quel était le dialogue écrit à l'origine par Mark Chadbourn et ainsi traduit...).
 
Le Visage Vert n°18
On l'attendait depuis un certain temps, il est arrivé ! Le "Visage Vert" n° 18 vient de sortir, au contenu passionnant: de nombreuses traductions de nouvelles d'auteurs du XIXème et du début du XXème siècle, dont entre autres celles de Howard Pyle, "Le Loup de Salem", et de Robert Barr, "La Vengeance du mort" ainsi que de l'auteur allemand Alexander Moritz Frey. Outre le fantastique, deux nouvelles sont à la limite de la proto SF: celle de Jean Bréchal sur le thème de la greffe humaine et celle de Georges Price sur un médicament supprimant le besoin de sommeil.
On y trouve aussi un dossier, comme d'habitude érudit et captivant, de Michel Meurger sur "Les Sorcières de Salem et la fiction américaine" et un autre sur "Le gorille voleur de femmes" par François Ducos, très complet sur les origines de ce thème de la littérature populaire de voyages.
Et je trouve que la couverture est redevenue très belle.
 
Une lecture indispensable, à acheter de suite, d'autant plus que l'équipe de la revue vole maintenant de ses propres ailes et qu'il faut l'encourager: on commande sur www.levisagevert.com, 17€ pour près de 190 pages de pur plaisir.

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