- le  
Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - Septembre 2011
Commenter

Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - Septembre 2011

Ceux des Eaux mortes de Brice Tarvel
 
Jusqu'à maintenant je connaissais et appréciais le Brice Tarvel auteur de romans d'aventures sous le pseudonyme de François Sarkel et auteur émérite de nouvelles aventures d'Harry Dickson. Avec les deux tomes de "Ceux des Eaux mortes" (tome 1: "L'Or et la Toise"; tome 2: "Au Large des Vivants") (Mnémos), j'ai découvert une nouvelle facette de ses talents d'écrivain: celle d'auteur de conte drôlatique et paillard, à la manière de ces contes quelque peu licencieux du Moyen Age et, un peu plus tard, de Rabelais. Il nous plonge dans un univers de fantasy complètement loufoque où le vil magicien Vorpil, pour se venger de l'assassinat du roi de Fagne qui lui a fait perdre son gagne-pain, a jeté un sort de grandissement permanent sur la Fagne du Nord et un sort inverse de rapetissement permanent sur la Fagne du Sud. Cela nous donne des descriptions délirantes sur les gens, animaux et objets grandissant ou rapetissant et leur manière de traiter les problèmes en résultant, y compris dans leur chasse à l'élixir permettant de combattre le sort ou dans la vie à cheval sur la frontière entre les deux parties de ces immenses marécages pollués par d'anciens alchimistes qui composent la Fagne. Au milieu de tout ce désordre nous faisons la connaissance de deux traîne-vase, Jodok le beau garçon et Clincorgne le géant qui louche, qui vont décider, pour sortir de la misère, de voler le trésor du baron Tillot, seigneur de la partie qui rétrécit. Ils vont s'adjoindre les services de Renelle, femme énorme, d'une saleté repoussante, et sorcière ivrogne pour arranger le tout ! Le premier tome va nous faire découvrir les mésaventures des trois compères dans leur tentative de vol du trésor, rencontrant personnages tous plus loufoques, bizarres et pathétiques les uns que les autres ; ce sera aussi la rencontre avec l'amour fou et exclusif pour Jodok, en la personne de Candorine, fille du baron. Ce volume se termine sur les mauvais sorts qui ont frappé Renelle et Candorine d'où un second tome nous narrant les aventures de nos compagnons dans le royaume d'Obscurie, à la recherche de Vorpil, afin qu'il lève les sorts de Candorine et de la Fagne. Et recommence une errance à travers des territoires ravagés par la Mâchoire qui, comme son nom l'indique, est une mâchoire de fer gigantesque qui engloutit montagnes et terres du royaume au hasard, territoires habités aussi par des hordes de vampires et de sans-yeux sauvages, créatures humanoïdes sans yeux et qui n'apprécient que la musique ! Une fois de plus Brice Tarvel va nous faire rencontrer une ribambelle de personnages hauts en couleurs et nous amener à une chute de fin tout à fait excellente.
 
Ce qui fait la force de ce roman ce sont l'imagination débridée de Brice Tarvel quand il nous décrit territoires, animaux et personnages - la liste de ses personnages secondaires, trop longue à énumérer, représente tout ce que l'on peut trouver de plus excentrique et délirant - mais toujours avec une logique impeccable dans les interactions et les conséquences et un vocabulaire emprunté au vieux français, des termes totalement désuets aujourd'hui mais qui donnent une authenticité à ce monde qui, comme celui de la France du XVe ou XVIe siècles, appelle les choses par leur nom, sans les périphrases ou les euphémismes de notre époque, a une ouverture à la sexualité et aux besoins de le vie sans commune mesure avec l'hypocrisie de nos sociétés actuelles, bref une liberté beaucoup plus grande. Avec une érudition sans failles sur les réalités de la vie de cette période, il nous conte une quête de miséreux pas très brillants, cherchant une vie meilleure: c'est Don Quichotte au pays de la fantasy, et cela fonctionne bien. J'ai peut-être trouvé le premier tome parfois un peu long mais le second est un vrai régal, l'action y rebondit sans cesse et les personnages y sont, à mon avis, beaucoup plus intéressants que ceux du premier. Voilà une belle histoire à découvrir, de la fantasy originale.
 
 
Les Epées de verre tomes 1 et 2 de Corgiat & Zuccheri
 
Avec le foisonnement des parutions en matière de BD dans les domaines que nous aimons, il m'arrive de mettre de côté pour les lire plus tard des albums qui me paraissent intéressants. C'est ainsi que je viens seulement de découvrir la série des "Epées de verre" de Sylviane Corgiat (scénario) et Laura Zuccheri (dessin & couleur), deux tomes (1: Yama, 2009; 2: Ilango, 2011) sortis aux Humanoïdes Associés. Et quelle bonne surprise que cette belle BD de fantasy ! Le scénario de Sylviane Corgiat est une intrigue tout à fait classique et solide, se déroulant fort agréablement : dans le tome 1, nous découvrons un monde surprenant par sa faune et sa flore, qui commence à être dévasté par des catastrophes diverses car son soleil, selon certaines prophéties, serait sur le point de s'éteindre. Et dans un petit village tyrannisé par le méchant seigneur Orland, tombe du ciel sur la roche sacrée une épée de verre. Seule la petite Yama est capable de la toucher sans être transformée en statue de verre ! Orland veut naturellement l'épée, ainsi que la mère de Yama, qu'il prendra de force. Yama s'enfuit dans la forêt et y rencontre Miklos, un ancien soldat qui y vit retiré dans une grotte, avec un animal de compagnie fort étrange d'aspect et deux gnomes. Il accepte de former Yama à condition que celle-ci lui remette l'épée de verre après avoir accompli sa vengeance, afin d'essayer de sauver le soleil car il faudra réunir 4 de ces épées. Les années passent, Yama est prête et tous deux ainsi que leurs compagnons partent pour la grande cité de Karelane après avoir récupéré l'épée.
 
Le tome 2, sorti en début d'année, nous fait découvrir leurs mésaventures dans Karelane, menacée par les flots et protégée par un gigantesque barrage qui n'en finit pas d'être reconstruit et rehaussé par des myriades de semi-esclaves, où s'est installé Orland, devenu chef de la garde, avec la mère de Yama dont il a eu un fils, Ilango. S'ensuivent maintes péripéties et rebondissements qui les feront tous se rencontrer. Tout cela se lit fort agréablement et se termine sur un "cliff hanger" qui nous fait attendre avec impatience le tome 3. Mais ce qui fait la force et le charme de cette BD sont les magnifiques dessins de Laura Zuccheri : les décors sont somptueux - certains plans de Karelane sont à couper le souffle avec ces architectures monumentales -, les costumes des soldats sont superbes - à la fois hiératiques et théâtraux, avec des influences japonaises et aztèques sans parler de celles de Moebius -, les scènes de foule avec tous les animaux étranges - montures humanoïdes géantes, animaux de bât et de trait bizarres, animaux de compagnie aussi mignons que curieux - offrent une vision d'un monde à la fois proche et fort différent du nôtre. Ici pas de dessin un peu flou mais une ligne claire tout à fait séduisante ! Et de vraies couleurs, pas ces bruns, gris et noirs qui couvrent trop de BD actuelles, les rendant souvent, du moins à mon goût, glauques et tristes. Un vrai plaisir esthétique donc, à découvrir sans plus attendre !
 
 
Icons. L'univers DC Comics et Wildstorm de Jim Lee
 
Est sorti au début de l'été "Icons. L'univers DC Comics et Wildstorm de Jim Lee" chez Akileos (www.akileos.com). Un seul qualificatif lui convient : somptueux ! D'une richesse iconographique incroyable, d'une qualité rare, avec des légendes très complètes, ce gros album cartonné permet de découvrir l'immense talent de Jim Lee : on y voit les crayonnés d'origine, le dessin fini mis en couleurs, parfois les figurines en résultant. Il y a naturellement tous les super héros de DC (en particulier Batman et Superman mais aussi tous les autres) et ceux créés dans les différents univers de Wildstorm que j'ai ainsi découvert. Voilà une histoire très complète de l'oeuvre de Jim Lee se terminant, cerise sur le gâteau, par une courte histoire inédite de la Légion des Super-héros mettant en scène celui-ci.
300 pages de pur bonheur esthétique pour un prix plus que raisonnable !
 
 
Nekropolis de Tim Waggoner 
 
Depuis quelques années, les zombies sont revenus en force dans les romans et j'avoue ne pas être un grand fan car je les trouve le plus souvent ennuyeux. mais il arrive parfois une très bonne surprise : "Nekropolis", sous-titré "Matthew Richter, détective privé zombie", de Tim Waggoner (Eclipse) en est une, et de taille ! En effet, voilà un roman à la fois original, bien écrit, avec une intrigue prenante, et, en plus, fort drôle car complètement délirant, au bon sens du terme. Qu'on en juge : il y a trois cents ans de cela, les Seigneurs noirs de la Terre, sous la conduite du Père Dis,convaincus que les humains devenaient de plus en plus envahissants et dangereux, ont émigré en masse dans une autre dimension où ils ont créé la ville de Nekropolis, éclairée par le soleil noir d'Umbriel (à recharger une fois par an !!!), qui constitue ainsi un havre pour toutes les créatures démoniaques. Partagé en cinq royaumes, chacun sous la houlette plus ou moins malveillante d'un Seigneur, ceux-ci se font une guerre larvée, selon des règles édictées par Dis afin d'éviter tout débordement mettant en péril l'existence de Nekropolis. Mais tous les liens avec la Terre n'ont pas été coupés et des échanges continuent. Le résultat est que Matthew Richter, policier de Cleveland, lors d'une enquête sur un tueur en série, s'est retrouvé projeté dans Nekropolis avec son équipier et, lors d'une tentative d'arrestation mouvementé du magicien noir tueur, est mort et "ressuscité" sous la forme d'un zombie, mais un zombie unique en son genre : il n'essaye pas de se nourrir de cerveaux en permanence, est toujours totalement conscient, n'a pas de maître et, pour entretenir, grâce à des sorts de conservation fort chers, son corps en état de marche, il est devenu détective privé. La demande d'aide de Devona, une superbe demie-vampire, va l'entraîner dans une enquête mouvementée et dangereuse dans les bas-fonds et les palais de Nekropolis, afin de retrouver la pierre de l'Aube, un talisman très puissant, dont l'utilisation peut remettre en cause l'existence même de ce monde. S'y mêlent le trafic d'une nouvelle drogue ravageuse - la poussière d'anges déchus...-, un certain nombre de vendettas et de comptes à régler avec Matthew de la part de truands et seigneurs divers, et cela nous donne un roman à rebondissements, impossible à lâcher. D'autant plus que Tim Waggoner fait preuve d'une créativité totalement débridée qu lui permet de décrire les différentes parties de Nekropolis avec un souci du détail à rendre jaloux Dante ; de plus, nous sommes dans un univers où certains démons trouvent la technologie humaine plus pratique que la magie et sont donc en train d'intégrer allègrement les derniers développements en matière d'informatique ou de télévision - ce qui crée des tensions avec les éléments les plus conservateurs - et des descriptions savoureuses comme l'ordinateur biologique à cajoler pour qu'il soit performant ou le téléphone portable dont il faut éviter que sa bouche ne vous morde... Quant aux créatures qui peuplent ce monde, on a l'impression qu'elles se sont échappées d'un tableau de Hieronymus Bosch sous acide ! On n'oubliera pas de sitôt Laszlo, le chauffeur de taxi démoniaque et son véhicule fou, les pensionnaires de la Maison des Obscures Voluptés et sa/son tenancière/tenancier ou les membres vampires-cyborgs du gang du Brisant Rouge.
 
Tout cela nous donne un excellent roman, plein d'humour et de détails bien trouvés, écrit à la manière des polars des années 40/50, ce qui lui donne un ton décalé qui constitue un atout supplémentaire. Curieusement, il s'agit de la première traduction en français d'un roman de cet auteur prolifique : la série de "Nekropolis" comprend deux autres enquêtes de Matthew Richter, je suis curieux et impatient de les lire car je suis devenu fan. A découvrir donc pour passer un bon moment !
 
Jean-Luc Rivera

à lire aussi

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?