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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - Février 2014
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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - Février 2014

Cinquième tombe au bout du tunnel de Darynda Jones
 
Il y a un peu plus d'un an (octobre 2012), je vous avais parlé des deux premiers tomes d'une série de "paranormal romance" (ce genre qui semble en train de prendre la place de la bit-lit) que je trouvais fort réussie : il s'agissait de la série "Charley Davidson" de Darynda Jones, qui sort chez Milady. Nous en sommes maintenant à cinq parus, le dernier étant "Cinquième tombe au bout du tunnel", et la série est toujours aussi bonne. Charley, cette jeune femme moderne qui est à la fois détective privé à Albuquerque (Nouveau Mexique) et "Faucheuse" (elle voit les défunts et leur parle, morts qu'elle peut faire passer de l'Autre Côté, quelle que soit la nature de celui-ci), continue d'avoir une relation difficile et compliquée avec Reyes, le fils de Satan, un type superbe bien que parfois un peu violent, surtout lorsqu'il s'agit de la protéger ou lorsqu'on le contrarie (mais pas foncièrement mauvais puisque amateur de science-fiction et de fantasy ; il lit entre autres, comme sans doute Darynda Jones, Isaac Asimov, Jack Williamson, Ursula K. Le Guin et George R.R. Martin cf. p. 77). Après avoir établi l'innocence de Reyes dans le meurtre d'Earl Walker, son beau-père terrestre, un monstre au sens propre du terme, et résolu le mystère du pyromane d'Albuquerque dans le volume précédent ("Quatrième tombe au fond"), nous retrouvons Charley, ses problèmes d'argent, ses problèmes relationnels et ses problèmes de cœur, dans son appartement envahi par des fantômes silencieux de femmes et de jeunes filles (plus d'une vingtaine !) alors que Reyes n'a rien trouvé de mieux que de s'installer dans l'appartement voisin et qu'Amber, la fille de sa meilleure amie et assistante, Cookie, commence à ressentir les premiers émois de l'adolescence avec Quentin, le jeune et beau sourd-muet que Charley avait sauvé dans un volume précédent. Il va donc lui falloir gérer tous ces problèmes, sans compter le béguin de son oncle Bob, lieutenant de police, pour Cookie, l'afflux de femmes hystériques dans le bar-restaurant de son père (et ce n'est pas uniquement à cause de la qualité de la cuisine...) et, accessoirement, découvrir l'identité du tueur en série inconnu de toutes ces femmes et aider la soeur de Reyes. Un programme chargé donc que Charley va résoudre non sans mal - le nombre de ses blessures et de ses contusions par roman est aussi impressionnant que le volume de café et de burritos qu'elle absorbe -, avec l'aide de Cookie, Reyes, l'oncle Bob, Ange, la petite frappe morte de treize ans qui sert d'assistant à Charley et que ses hormones continue de travailler, Artémis, la chienne Rottweiler fantôme qui la protège des démons, Garrett Swopes, le détective qui est mort, allé en Enfer et revenu grâce à Reyes, et un nouveau venu, Duff, sympathique fantôme bègue ainsi qu'une voyante qui voit vraiment le futur. Le ton est toujours résolument léger, le texte plein d'humour et l'intrigue se complexifie de plus en plus, se dramatise même dirais-je, ce qui ajoute un intérêt supplémentaire à ce cinquième volume. Une série à lire donc pour se distraire sans complexe et qui remplit parfaitement son office mais que je conseillerai de lire dans l'ordre de parution afin de pouvoir apprécier l'évolution des personnages.
 
 
 
La petite déesse de Ian McDonald
 
Ian McDonald est sans conteste l'un des grands écrivains de la SF anglo-saxonne contemporaine. "Le Fleuve des dieux" (Lunes d'encre) était un roman magnifique, couronné en France par le GPI en 2011. En 2013 l'auteur recevait à nouveau le GPI, en catégorie "nouvelles" cette fois, pour "La petite déesse" qui nous ramenait dans cette Inde fragmentée d'un futur relativement proche, où technologies les plus avancées - y compris des IA qui ont atteint le stade de la conscience - et croyances les plus obscurantistes se côtoient et se mêlent. Le volume "La petite déesse" (Lunes d'encre) reprend cette superbe nouvelle et une demie-douzaine d'autres, ce qui permet à McDonald de nous exposer d'autres facettes de cette Inde fascinante et de développer les raisons qui ont conduit à cette partition, dont la guerre de l'eau. J'ai particulièrement apprécié la deuxième nouvelle du recueil, "Kyle fait la connaissance du fleuve", qui montre avec talent comment préjugés et racisme, même chez des personnes qui ont les meilleures intentions - ici des Occidentaux qui viennent aider au développement de l'Inde et apporter des solutions -, refont instantément surface, surtout lorsque la peur et la violence, ainsi que l'ignorance, sont prévalentes. Si vous avez aimé l'exotisme - au sens noble du mot - et l'originalité exubérante du roman, vous adorerez, comme moi, ces nouvelles toutes très réussies.
 
 
 
Chronique des ombres de Pierre Bordage
 
On ne présente plus Pierre Bordage, l'un de nos meilleurs auteurs dans les domaines que nous aimons. Avec "Chronique des Ombres" (Au Diable vauvert), il revient à la SF post-apocalyptique qu'il avait déjà abordé dans son cycle intitulé "Les Derniers hommes" (aussi Au Diable vauvert), mais ici c'est l'apocalypse nucléaire et la montée des eaux qui ont remodelé notre Terre : d'un côté survivent dans des cités protégées sous globe quelques millions de privilégiés dont les ancêtres, très égoïstement, ont laissé à l'extérieur - le pays horcite - se débrouiller dans des conditions épouvantables le reste de la population, victime des radiations, des mutations, de la famine et de la barbarie. Mais au sein de la cité unifiée de NyLoPa, les trois villes reliées entre elles par de gigantesques tubes sous-marins, l'ennui et la révolte grondent : c'est le rôle des fouineurs, ces détectives équipés de super-puces implantées dans leur cerveau, que de traquer tous les fauteurs de troubles, dont ceux qui sont à l'origine de ces vagues de meurtres inexpliqués qui prennent de l'ampleur jour après jour. Ganesh, jeune fouineur à la biopuce expérimentale, et son tuteur Théodore, vieux flic désabusé, vont mener l'enquête sur ces Ombres tueuses. Parallèlement, nous suivrons Naja, une jeune horcite, qui échappe de justesse à l'attaque des Cavaliers de l'Apocalypse, ces guerriers de métal invulnérables, aux traits masqués, qui massacrent systématiquement les bourgades et les populations horcites. A travers l'enquête de Ganesh et de sa remplaçante Ava et de la fuite de Naja qui rencontrera le jeune guérisseur Deux Lunes et le trappeur bourru Colb, nous apprendrons petit à petit ce qui se cache derrière, le dessein d'ensemble, qui les mènera tous dans une traversée épique de cette France détruite, jusque sur les bords de la Méditerranée. L'auteur nous peint ainsi une série de tableaux désespérants dans leur réalisme : villes pourrissantes, retour à la sauvagerie et à la superstition, mutations désordonnées, loi du plus fort... C'est aussi, pour Pierre Bordage, l'opportunité de tracer des portraits sans concession des êtres humains, bons et mauvais, de leurs forces et de leurs faiblesses, à travers une galerie de personnages, braves gens comme le maître guérisseur Dents de Rats ou la gentille Gwenil, arrogants comme le guérisseur renégat Ezok, pathétiques comme le petit mutant doué d'un don de voyance à court terme Josp, assoiffés de pouvoir comme le maire de New York Jeffrey Dobbs ou celui de Paris Alaric Bronier, sans parler de l'énigmatique Caton qui semble tirer beaucoup de ficelles dans un anonymat qui lui convient. C'est surtout pour lui l'occasion de faire passer à nouveau son message de dénonciation de l'égoïsme et de l'individualisme forcenés qui gangrènent notre société et de la nécéssité de l'union qui fait la force par l'acceptation et l'alliance des différences qui se complètent les unes les autres, condition impérative de la survie de notre espèce face à la possibilité d'une extinction totale. Sa foi en l'humain tel qu'il est sert de ligne directrice à ce gros et beau roman et ce message d'espoir est plutôt réconfortant en cette période de doute que traverse notre société. De plus, le livre se lit très agréablement car Pierre Bordage a renoué initialement avec la tradition des grands auteurs populaires du XIXe et du début du XXe siècles : il a commencé par livrer son roman en feuilleton (d'où la taille), en respectant soigneusement la tradition du suspense à la fin de chaque livraison (36 chapitres au total) ce qui nous donne 750 pages qu'il est difficile d'abandonner... Voilà de la bien belle SF, celle qui divertit tout en faisant réfléchir.
 
 
 
Les aventures de Maître Li et de Bœuf Numéro Dix de Barry Hughart
 
Pour une raison qui m'échappe, je n'avais absolument pas remarqué les livres de Barry Hughart lorsqu'ils étaient parus pour la première fois en France il y a une douzaine d'années. Fort heureusement, Pascal Godbillon vient d'avoir la bonne idée de les rééditer chez Folio SF et j'ai pu ainsi enfin découvrir "La magnificence des oiseaux", "La légende de la Pierre" et "Huit honorables magiciens" qui composent "Les aventures de Maître Li et de Bœuf Numéro Dix". Disons-le tout de suite : c'est excellent ! Barry Hughart nous emmène avec le premier volume, "La magnificence des oiseaux", dans la Chine du VIIe siècle après JC, en l'Année du Tigre 3337, où vit, dans le petit village de Kou-Fou, Bœuf Numéro Dix, jeune paysan robuste. Tous les enfants de son village étant tombés dans une sorte de coma, sa tante Houa va l'envoyer à Pékin demander l'aide d'un sage, avec pour paiement toute leur fortune soit cinq mille pièces de cuivre. Arrivé en ville, seul maître Li Kao, vieux lettré sans âge (il a obtenu la première place à l'examen impérial du tchin-chih soixante-dix-huit ans plus tôt...) et qui a "un léger défaut de personnalité" (il est entre autre un amateur invétéré de vin), va accepter de les aider. A partir de là, nous suivrons nos deux intrépides enquêteurs dans leurs pérégrinations à travers une Chine phantasmée et fantasmagorique, où abondent dieux, esprits, mages et devins, et personnages tous plus loufoques et bizarres les uns que les autres, à commencer par le grand maître Li lui-même, d'une érudition sans faille, d'une probité douteuse avec les riches mais toujours bon et généreux avec les pauvres, libertin qui regrette "ses quatre-vingt-dix ans"... Et Bœuf Numéro Dix, qui deviendra son "honorable ancien client et actuel assistant" dans la suite de leurs enquêtes, se révèle être un jeune homme aux muscles puissants - il porte maître Li sur son dos - et à la tête bien faite, mais au cœur d'artichaut... Leurs premières enquêtes, après avoir résolu le mystère des enfants, les emmèneront jusqu'aux confins de la Chine et leur feront rencontrer des personnages comme Chen le ladre, Ho le brimé, le Vieux de la Montagne ou encore l'ignoble et infâme duc de Ch'in, utiliser des engins extraordinaires comme la Libellule de Bambou et aider une belle histoire d'amour entre un dieu, le Berger des Etoiles, et la belle Perle de Jade, les amenant à interférer avec l'Auguste de Jade lui-même, l'Empereur Céleste !
Le deuxième volume, aussi réussi que le premier, "La légende de la Pierre", les entraînera dans la Vallée des Chagrins où le démoniaque Prince qui Rit, l'homme qui cherchait l'Elixir de Longue Vie, semble être revenu avec ses Moines de la Liesse pour torturer et tuer à nouveau nombre d'innocents paysans. Ils seront accompagnés de Tourment de l'Aube, la fille de joie au cœur trop tendre, qui seule peut contrôler Fils de Lune, le plus grand maître des sons de Chine, et ils devront aller ensemble à la cour de Chi Ho, le roi barbare de Tchao, collectionneur de raretés de toutes sortes. Seuls la compréhension de l'énigme posée par l'histoire de Loup et Fille de Feu, grâce à la sagacité de maître Li, et un voyage aux Enfers, leur permettront de résoudre une autre affaire impliquant des dieux de la Cour Céleste et de pouvoir retourner vaquer à leurs affaires dans la maison de vins de Wong le Borgne et de sa femme Fou la Dodue, sise ruelle des Mouches à Pékin et ayant la réputation d'être la pire de toute la Chine.
Le troisième et, hélas, dernier volume de la série, "Huit honorables magiciens", commence à Pékin lorsque le bourreau Main du Diable va essayer de battre le record de décollations réussies et échouer lamentablement à cause d'une goule vampire qui va semer la panique dans la foule au moment de l'exécution de Tou l'Hôtelier de Sixième Rang, qui fut arrêté par nos deux héros après d'effroyables aventures... Ils vont donc être mandés à la Cité Interdite, chez Tchang Tao-ling, le Maître Céleste, universellement considéré comme un saint vivant et ancien professeur de maître Li (vous imaginez son âge et il avoue commencer à être gâteux) ! Ils devront enquêter parmi les mandarins et les eunuques qui sont à la tête de l'Empire, enquête qui les mènera sur les traces d'un trafic de thé frelaté particulièrement lucratif et dangereux ainsi qu'à la découverte de la civilisation qui a précédé la chinoise et laissé des vestiges de ses croyances et de ses dieux qui s'expriment à travers les chamans. D'où la nécessité de se joindre à la troupe du plus grand marionnettiste qui soit, le très secret et talentueux Yen Chi, dont la fille, la belle Yu Lan, est une puissante chamanka. Et ils devront mettre en œuvre tous leurs talents - physiques pour Bœuf et nautiques pour maître Li - lors de la course entre les deux Bâteaux-dragons qui décidera du sort de la Chine. Tout cela alors qu'un barbare lettré, Quintus Flaccus IV, se permet depuis les Monts Sabins de critiquer par courrier le style des mémoires de Bœuf qu'il a lu !
Vous l'avez compris, ces trois volumes sont un plaisir de lecture, d'un humour et d'une drôlerie sans égal, grâce à ces descriptions d'une Chine ancienne telle que des Occidentaux d'aujourd'hui peuvent se l'imaginer et se la rêver : noms chinois très colorés - Lu Lourdes Babines ou Tchong le Pot de Chambre -, coutumes détaillées et hilarantes - "la cérémonie des funérailles...[aux]...trois mille trois cents règles de l'étiquette tchou" ou les banquets et l'étiquette dans les différentes cours -, lieux décrits - telle "la Porte du Panorama Splendide, le quartier général des services secrets, qui était entouré de mannequins de paille emballés dans les peaux écorchées de dignitaires corrompus" - et la rivalité incessante entre taoïstes (dont maître Li) et confucéens (honnis par celui-ci), tout en dégageant une poésie sans égal. Je me dois d'ajouter que Patrick Marcel a réalisé un travail de traduction remarquable, rendant avec talent la finesse et l'humour de Barry Hughart. 
Trois tomes inclassables, si ce n'est dans la grande littérature ! Ne commettez pas la même erreur que moi, n'attendez pas, lisez-les de suite !
 
 
 
Cœur d'acier de Brandon Sanderson
 
J'appartiens au club des admirateurs de Brandon Sanderson, pour moi l'une des plumes les plus originales de l'imaginaire américain actuel : j'avais apprécié sa magnifique série des "Fils-des-Brumes" (Orbit), de la fantasy très sophistiquée (coup de cœur en août 2012), ainsi que sa très sympathique et amusante série jeunesse "Alcatraz" (où le héros lutte contre les bibliothécaires qui dominent le monde, Livre de Poche, coup de cœur en novembre 2013). Avec "Cœur d'acier" (Orbit), il nous livre un autre roman, de SF cette fois-ci, à nouveau passionnant : dans un avenir très proche est apparue dans le ciel Calamité, une étoile rouge sang. Et des humains ont "muté" et acquis des super-pouvoirs d'une infinie variété mais, les hommes étant les hommes, ils les ont utilisé pour se battre entre eux et écraser les humains normaux. Ces "Epiques", comme ils se font appeler, nous ont donc fait entrer dans l'âge non des super-héros mais des super-vilains. Une dizaine d'années après ce changement fondamental, Sanderson nous emmène à Chicago, devenue Newcago, où règne sans partage l'un des "Grands Epiques" les plus puissants, Coeur d'acier, qui est invulnérable et a le pouvoir de transformer en acier toute matière non vivante. Or le jeune David Charleston a vu, lors d'une attaque de banque, intervenir pour la première fois Coeur d'acier, et celui-ci a saigné d'une blessure par balle qui lui a laissé une cicatrice, la seule... Depuis, il cherche à reconstituer tous les éléments afin de trouver quelle est le talon d'Achille secret du tyran (tous les Epiques ont un point faible qu'ils camouflent le plus soigneusement possible) afin de l'éliminer et venger ainsi son père, admirateur du surhomme et tué par celui-ci dans la banque. Il va enfin croiser le chemin d'une équipe des très rares résistants aux Epiques, qui se nomment eux-mêmes les Redresseurs. A partir de là David va devoir gagner la confiance de ses équipiers, mettre à profit ses connaissances impressionnantes sur les Epiques et trouver comment débarrasser Newcago de Coeur d'acier. Mais il devra se demander si c'est une bonne chose : l'ordre, même imparfait, ne vaut-il pas mieux que l'anarchie comme celle qui règne dans la plupart des territoires américains ? Comment Coeur d'acier sera-t-il remplacé ? Comment montrer la force de la résistance afin de motiver d'autres résistants ? Il devra aussi trouver la réponse à ses questions sur l'intrigant chef des Redresseurs, ce Prof qui dispose d'une technologie trop avancée...
Le roman se lit d'une traite ; Sanderson tisse une intrigue à la trame très serrée où les questions les plus philosophiques sur le pouvoir et sa nature, la corruption par celui-ci de l'humanité des personnes, le bien et le mal n'entravent pas le cours d'une action souvent violente - on ne résiste pas sans faire de dommages collatéraux apprendra ainsi David -, où l'auteur met en scène des analyses comportementales très fines afin de trouver les points faibles des Epiques et/ou retourner leurs pouvoirs contre eux afin de les abattre. Les personnages qui composent les Redresseurs sont sympathiques par leurs faiblesses qui les rendent très humains et qui, en même temps, démontrent que l'homme peut se transcender. Et David lui-même est un garçon remarquable, que nous voyons grandir et mûrir au cours du roman, qui nous attache par son manque d'assurance et ses questionnements. Brandon Sanderson nous livre un très beau roman à partir d'un sujet qui pourrait sembler trivial, à la finesse d'écriture et de sentiments très bien rendue par sa traductrice attitrée, Mélanie Fazi. Après l'avoir lu, vous ne verrez plus du même oeil les super-héros de la BD... et c'est très bien !
 
 
 
Docteur Radar, tueur de savants de Noël Simsolo et Frédéric Bézian
 
Parmi mes faiblesses littéraires, j'apprécie ces vieux fascicules de SF populaire d'avant-guerre, avec savants fous et enquêteurs intrépides. Grâce à l'album de BD "Docteur Radar, tueur de savants" (Glénat), Noël Simsolo et Frédéric Bézian nous font retourner à cette époque bénie de 1920 où des savants visionnaires s'intéressent à la conquête spatiale. Mais pourquoi disparaissent-ils les uns après les autres, victimes de crimes atroces ? Le vaillant détective amateur Ferdinand Straub, ancien as de l'aviation pendant la guerre, va mener son enquête, aidé de Pascin, peintre argentin aussi talentueux qu'alcoolique et grand connaisseur des bas-fonds parisiens. Alors que l'incapable et suffisant commissaire Baignol va se faire mener en bateau sur de fausses pistes, Straub va découvrir que le mystérieux Docteur Radar est à l'origine de ces assassinats. Pourquoi et dans quel but ? Qui est Radar ? Je vous invite à suivre notre détective jusqu'au coup d'éclat final que Simsolo, manifestement bon connaisseur et amateur de ces romans populaires traditionnels, ne résiste pas à mettre en scène dans un décor de cirque. Quant au dessin, mes goûts me portent plus vers la ligne claire, mais j'avoue que je me suis très vite habitué au style rapide et nerveux de Bézian, qui convient parfaitement bien à l'action, et que j'ai été finalement séduit. Humour, action, dessin, que demander de plus ! Une BD à découvrir pour retrouver son sens du merveilleux.
 
 
 
Les Héritiers de Cindy Van Wilder
 
Depuis de nombreuses années, d'innombrables romans de fantastique et de fantasy, majoritairement anglais mais aussi français, ont puisé leur inspiration dans le folklore traditionnel féerique, celui de la Gentilhommerie qu'il ne faut vexer sous aucun prétexte. Et voici qu'une jeune auteure belge, Cindy Van Wilder, avec "Les Héritiers", premier tome de la trilogie "Les Outrepasseurs" (Gulf Stream), renouvelle les codes et le genre avec un grand talent. En effet, elle nous fait partager l'étonnement de Peter, un jeune garçon amateur de football qui vient de réaliser le rêve de sa vie - intégrer l'équipe -, que sa mère va emmener, suite à une attaque invraisemblable dans leur propre jardin (sa mère s'est-elle vraiment transformée en renard ou est-ce une hallucination ?), à "Lion House", le manoir de M. Noble, celui que l'on doit appeler Monseigneur et qui semble être le maître absolu d'une mystérieuse société secrète. Peter va y faire la connaissance de treize autres garçons et filles de son âge, eux aussi accompagnés par leurs parents sur l'ordre de Noble ; une nuit d'initiation terrifiante va les faire retourner et découvrir ce qui s'est passé en fin décembre puis au début janvier de l'an de grâce 1207 dans la petite villeneuve de Maupertuis, en Ile-de-France. Les habitants s'y sont retrouvés confrontés aux fés, les vrais, ceux qui méprisent et maltraitent les humains, dotés de pouvoirs maléfiques. Un raid est mené par le Chasseur, celui qui dirige la Chasse-galerie ou Mesnie hellequin, Chasseur dont la figure va dominer tout le roman : incarnation du prédateur, ce seront ses appétits qui vont entraîner son goupe de fés à rester plus longtemps que prévu dans notre monde et à rencontrer de manière peu agréable, avec de lourdes conséquences aussi bien pour la Tisseuse, une fée de sa bande, que pour eux, quelques-uns des manants de Maupertuis. Je ne vous en dirais pas plus afin de ne pas spoiler le roman mais l'auteure, avec une finesse d'écriture remarquable, nous fait ressentir, à travers les écrits de frère François, la peur et la révolte des manants de 1207 et l'enchaînement qui va inéluctablement mener à la "malédiction" qui va frapper sept d'entre eux dans leur chair - un hommage et une utilisation du "Roman de Renart" magnifiques. Elle montre le même talent pour nous faire partager l'incompréhension et le refus initial d'adolescents bien intégrés dans notre société du 21e siècle face à la découverte de la réalité de ce qui a été relégué dans le domaine des superstitions pour paysans incultes. Et surtout, elle transcrit de manière remarquable cette excitation du Chasseur pour lequel le plaisir suprême est celui de la traque du gibier et de sa capture, quel que soit le gibier et la nature du plaisir que l'on va en tirer : la cruauté et la perversité, ainsi que la sexualité - souvent oubliée - des fés sont rendues par l'auteure avec une grande finesse. Le résultat est, honneur et paiement des dettes contractées obligent, que quelques humains se retrouvent être des Outrepasseurs. Je vous laisse le soin de découvrir ce que cela veut dire, en près de 350 pages denses, à l'écriture parfaitement maîtrisée, qui se lisent d'une traite. Merci Cindy Van Wilder, pour une nuit blanche ! Et, afin que nous en sachions plus sur l'interaction fés-Outrepasseurs en 2013, vivement le tome 2 annoncé pour l'automne.
 
 
 
Les intégrales de Stefan Wul
 
Pour tous ceux d'entre nous qui apprirent à lire la SF grâce à la collection "Anticipation" du Fleuve Noir, Stefan Wul fut une grande découverte : je me souviens encore de mon éblouissement en lisant pour la première fois "Niourk" et en suivant les aventures de l'enfant noir dans la fosse de Cuba, avec les poulpes mutants radioactifs... Les Editions Bragelonne, sous la direction éclairée de Laurent Genefort (le spécialiste de Wul), nous propose dans leur excellente collection "Les Trésors de la Science-Fiction" une "Intégrale Stefan Wul" qui, outre les romans, offre l'intérêt de rassembler les nouvelles, beaucoup moins connues, de celui-ci. Nous en trouvons neuf dans le tome 1, parues dans des revues comme "Fiction" ou "Satellite" ainsi qu'en complément dans certaines éditions de romans. Ce tome 1 reprend aussi l'un des chefs-d'œuvre de Wul - je veux parler bien sûr de "Niourk" -, "La mort vivante" (un curieux roman) et "La peur géante" (une histoire d'attaque par une civilisation sous-marine qui n'est pas sans faire penser au célèbre roman de John Wyndham). Dans le tome 2 se trouvent le célébrissime "Oms en série" (belle histoire de reconnaissance de l'autre par une culture supérieure, qui évoque des échos aujourd'hui encore, et qui donna naissance à un superbe dessin animé), le très beau "Temple du passé" (précurseur dans son thème de certaines théories ufologiques sur la création de l'humanité), "Retour à '0'" et "Terminus 1", deux romans toujours agréables à lire. En attendant le troisième volume qui devrait contenir un autre de mes romans favoris, "Rayons pour Sidar", n'hésitez pas à découvrir pour les plus jeunes ou à céder à la nostalgie pour ceux plus âgés en lisant ce grand auteur de SF classique que fut Stefan Wul.
 
Jean-Luc Rivera

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