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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - août 2016
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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - août 2016

L'été est l'occasion de rattraper quelques retards de lecture et il faut bien dire que nous avons été gâtés au niveau de la qualité des parutions depuis le début de l'année.
 
La Nuit des égrégores, une enquête de Georges Hercule Bélisaire Beauregard d'Hervé Jubert, FolioSF
 
Pascal Godbillon a eu l'excellente idée de reprendre dans sa collection FolioSF les deux excellents romans d'Hervé Jubert sur les enquêtes de Georges Hercule Bélisaire de Beauregard, "Magies secrètes" dont je vous avais parlé dans un coup de coeur de novembre 2012 (et qui s'est vu décerner le GPI en jeunesse en 2013) et "Le Tournoi des ombres" (coup de coeur d'octobre 2013), sortis tous deux dans la collection à la malheureusement courte vie "Pandore" et difficilement trouvables depuis... Pour notre plus grand bonheur de lecteur, cette réédition est accompagnée d'un troisième tome inédit, "La Nuit des égrégores" ! J'ai relu les deux premiers et lu le troisième : c'est un vrai plaisir que de découvrir cette "urban fantasy" historique et steampunk tout à la fois, qui se déroule dans un Second Empire d'une France où la féerie coexiste depuis toujours ouvertement avec l'humanité et qui a donc évolué légèrement différemment de la nôtre sur certains points (les hommes portent des chapeaux mécaniques !). La tranquillité de la capitale, Sequana (du nom de la déesse gauloise du fleuve qui traverse la ville), est perturbée d'une part par les grands travaux menés par le préfet Hoffmann sur les ordres de l'empereur Obéron III pour moderniser la ville, travaux qui s'acharnent curieusement sur tous les lieux de pouvoir féériques, et d'autre part par des attentats. Le séduisant et cultivé ingénieur-mage Georges Beauregard, du Ministère des Affaires étranges (qui coordonne les relations avec les créatures féeriques) va mener l'enquête et résoudre le problème ("Magies secrètes"), aidé en cela par Albert, le célèbre mage, et par Isis, la déesse, qui habitent tous deux l'hôtel de Beauregard qui sert de refuge aux créatures traquées, ainsi que par Jeanne, une jeune fille (?) trouvée près du Grand Puits (une ouverture vers ?). Georges va résoudre cette première énigme mais cela va l'entraîner sur une voie dangereuse : en effet, pourquoi l'empereur a-t-il décidé de pourchasser et d'éradiquer la féérie ? Quel rôle joue vraiment son épouse souvent trompée, Titania ? Qui est véritablement Jeanne ? Et quelles sont les origines de Georges, ce garçon trouvé ? Cette enquête le mènera à travers le monde, tout d'abord à New London, capitale des Royaumes-Unis, où vont se rendre Obéron III et Titania pour l'inauguration du tunnel sous-marin reliant les deux royaumes. Georges Beauregard devra y collaborer avec John Dee (l'agent secret de la reine n° 007), le célébrissime psychomancien, afin d'assurer la sécurité des souverains, dans une ville où se sont réfugiés beaucoup d'exilés féeriques fuyant la persécution du continent et où ils sont accueillis à bras ouverts et intégrés dans la société depuis que la reine Elisabeth leur a offert des postes. Résultat : nous découvrons une capitale d'une puissance et d'un orgueil insolents (douze millions d'humains, huit millions de Feys) où règne la vapeur grâce à l'aide technologique des Feys ! "Le Tournoi des ombres" lui permettra, ainsi qu'à nous, d'en apprendre plus sur cette Europe décalée et sur les motivations d'Obéron... Son aventure se terminera dans les sables de l'Egypte, après une étape extraordinaire à Byzance, où l'inauguration d'un canal à Suez déclenche des phénomènes étranges, en particulier une dune impénétrable dont l'avance ne peut être stoppée. Il découvrira aussi que le Nouveau Monde joue un rôle important, entre ce que fait le président Lincoln à Washington avec son service secret et ce qui se déroule dans  une ville universitaire du nom d'Arkham (Massachusetts), où oeuvrent des personnages inattendus comme Gustave Doré et Henry Jekyll. Tout va enfin s'expliquer, dans une apothéose en forme de bain de sang et de magie.
 
Avec cette superbe trilogie, Hervé Jubert nous livre un petit chef d'oeuvre : avec un humour qui ne se dément jamais (les notes de bas de page ou les clins d'oeil au lecteur, même dans les situations les plus tragiques) et une érudition sans faille qui lui permet de mélanger allègrement une pléïade de personnages historiques (connus comme Richard Burton ou moins comme Kelly) et fictifs (comme Spring Heeled Jack ou le roi des gueux) dans des "crossovers" savoureux, et de nous dépeindre un monde alternatif passionnant dont l'histoire a évolué différemment, tout en restant suffisamment proche de la nôtre pour que l'on puisse apprécier la créativité et le culture de l'auteur. L'intrigue progresse au cours des trois volumes avec des rebondissements qui soutiennent sans faille l'intérêt du lecteur. A découvrir et redécouvrir pour bien commencer la rentrée ! 
 
Les coeurs enchaînés de Nicolas le Bretonaux Moutons électriques
 
Je vous avais parlé avec enthousiasme l'année dernière des "Ames envolées" (Les Moutons électriques, chronique "Au pied du sapin" décembre 2014) de Nicolas Le Breton. Il revient avec la conclusion de ce dyptique de la "Pax germanica" : "Les coeurs enchaînés" (toujours aux Moutons électriques) se déroulent quelques années après les évènements du premier volume. L'Empire du Kaiser a triomphé, le monde réduit en cendres ou en glace ou plongé dans une soumission abjecte sous la botte (et les überzeppelins) du Teuton arrogant. Seules quelques poches de résistance (dont une bolchevique en Mongolie, après l'échec de la Révolution) existent encore, mais pour combien de temps vu la supériorité écrasante des Allemands et de leurs "alliés", autocrates et dictateurs divers. C'est dans cet univers ravagé et terrorisé que les deux héroïnes du premier tome, la baronne Léontine de Laroche et Adélaïde de Cointet , embarquées à bord du didigeable "Fin'Amor" essayent de survivre, aux côtés du capitaine de Bricqueville et du professeur Auguste Piccard qu'ils ont recueilli, et de résister vaille que vaille. Traquées par les Allemands aux ordres d'un officier enragé, un certain Himmler, qui veulent mettre la main sur les secrets de Piccard, et aidées par le célèbre capitaine Lawrence, elles vont parcourir les déserts de Lybie et d'Arabie, se retrouver au Caire, en Mongolie et, finalement, dans l'orgueilleuse capitale de l'Empire, UberBerlin où tous les fils de l'intrigue se dénoueront. Impossible de résumer, sans dévoiler les ressorts de l'histoire, plus avant le roman mais sachez que nous comprendrons ce qui s'est passé, pourquoi Napoléon III s'était montré visionnaire en recevant M. Giffard et pourquoi le monde est tel qu'il est. Nous retrouvons avec plaisir Louis Lépine, le sympathique (!) Crowley, les Anglais sont toujours d'une hypocrisie répugnante (palme à Winston Churchill et aux Windsor), les bolcheviques sont d'une traîtrise et d'un arrivisme sanglants. Et nous nous demandons quelles sont ces chutes de météorites qui ravagent une planète qui n'en avait pas besoin, quelles sont les recherches que mènent Einstein à Canton et pourquoi les sages de Shangri-La n'interviennent pas. Toutes les réponses à ces questions et à bien d'autres, vous les aurez en lisant ce roman à l'action débridée, où l'auteur fait preuve d'une culture encyclopédique pour mettre ses personnages dans des situations décalées par rapport à notre histoire mais plausibles, avec une connaissance de l'ésotérisme et des sociétés secrètes qui aurait réjoui le regretté Jacques Bergier. Cerise sur le gâteau: une magnifique couverture de Melchior Ascaride, aussi réussie que celle du premier volume ! Une très belle lecture - merci M. Le Breton pour une nuit blanche, impossible de reposer le roman une fois entamé ! -, je recommande toute fois de lire les deux romans dans leur ordre de parution afin de pouvoir en apprécier toute la finesse. 
 
Log Horizon de Mamare Touno aux éditions Ofelbe
 
Comme certains d'entre vous le savent, je ne suis guère lecteur de mangas mais, grâce aux Editions Ofelbe, j'ai découvert une littérature que je ne connaissais absolument pas : celle des romans pour la jeunesse japonais qui sont, ensuite, adaptés en mangas. Et là, j'avoue avoir été séduit ! J'ai ainsi lu les deux premiers volumes de "Log Horizon" de Mamare Touno, qui racontent les aventures de plusieurs personnages, des geeks participant au jeu de rôle le plus populaire et le plus addictif du moment, "Elder Tale", qui plonge ses joueurs dans un univers de fantasy dont la géographie est plus ou moins calquée sur celle de notre monde. Or, suite à un événement inexpliqué, tous les joueurs qui étaient en ligne à un moment donné se retrouvent prisonniers du jeu ! Il va falloir qu'ils apprennent à survivre et à s'organiser dans un environnement qui leur était, certes, familier mais qui a subtilement changé : par exemple, les personnages inventés qui servaient de décor sont maintenant des personnes "réelles" et autonomes avec lesquelles il faut compter, d'autant plus qu'ils sont beaucoup plus nombreux que les quelques milliers "d'aventuriers" coincés dans ce Japon pseudo-médiéval et mythologique. Nous suivons les aventures de Shiroe, une légende du jeu car l'un des joueurs les plus avancés et les plus expérimentés, et de quelques-uns de ses amis (dont un homme-chat, c'est du moins son avatar dans le jeu). Ce qui est particulièrement intéressant est la manière dont des jeunes Japonais plutôt inadaptés socialement (ils se révèlent assez gauches) et coupés du monde réel, une fois coincés dans un univers virtuel, vont se mettre à découvrir la "vraie" vie : les rapports inter-personnels (l'attirance sexuelle entre autres) et sociaux, la vie en groupe et en société, l'organisation du travail, et même la cuisine... Avec beaucoup d'humour, l'auteur nous fait découvrir les ressorts d'un monde qui est sans doute étranger à la plupart d'entre nous, celui des adolescents japonais et de leur mode de vie. Les aventures qu'ils vont vivre dans "Elder Tale" sont prenantes car tous les monstres et créatures surnaturelles sont toujours là et il faut faire avec, la quête de Shiroe pour découvrir ce qui s'est passé et les conséquences que cela peut avoir sur eux sont passionnantes. Comme je l'ai déjà dit, l'auteur fait à la fois preuve de beaucoup d'humour - c'est l'un des grands atouts de ces romans - et de finesse dans ses descriptions des réactions de ses personnages. Les livres sont, de plus, ornés de jolies couvertures et de dessins intérieurs dans le style manga ( y compris de belles pages intérieures dépliantes en couleurs) et chaque chapitre présente un personnage avec une fiche descriptive souvent hilarante. J'ajouterai que les lecteurs - comme moi - totalement ignares en matière de jeu de rôle peuvent apprécier sans souci "Log Horizon".
J'en profite pour signaler que sont aussi sortis chez Ofelbe les trois premiers volumes de "Sword Art Online", tout aussi passionnants. 
 
Dead Time et Elvira Time de Mathieu Guibé (Editions du Chat noir)
 
Faisant partie de ceux qui apprécient "Buffy et les vampires", je lis avec avidité tout ce qui touche, de près ou de loin, à la bit-lit. J'ai donc découvert avec plaisir (et retard...) les deux premiers volumes d'une série écrite par Mathieu Guibé, "Dead Time" suivi de "Elvira Time" (Editions du Chat noir). Dans des Etats-Unis où l'existence des vampires n'est plus un secret, soit ceux-ci sont déclarés et suivis (et nourris de sang animal, nettement moins goûteux...) soit ils ne le sont pas et, dans ce cas, ils sont traqués et exterminés moyennant finances. Elvira Time est l'un de ces chasseurs de primes ; elle est excellente dans son travail - elle a bénéficié de la formation de son père, lui-même chasseur réputé avant sa mort - mais comme elle n'a que dix-sept ans, elle doit encore aller au lycée et c'est là que les choses se compliquent, pour notre plus grand amusement. En effet, tuer des vampires infiltrés dans le lycée n'est pas forcément bien considéré, et plutôt sanglant : cela commence très fort, dès les premières pages, lorsqu'Elvira tue le nouveau petit ami de sa meilleure amie, Belinda, car c'est un vampire. Elle se retrouve de plus associée au petit génie du lycée, Ludwig, treize ans, aux relations sociales et à la taille inversement proportionnelles à son QI. Suite à la mort d'un vampire, webmaster d'un site sur une prophétie de vampires, Elvira et sa petite bande, augmentée de Shinta, tueur de vampires ninja, et de Jericho, son ami fantôme, vont se retrouver entraînées dans des aventures aussi rocambolesques que drôles pour résoudre le mystère de son sang et de son attrait pour les "Hemovampiris vampiricus". Quand il lui faut, en plus, rencontrer une psychologue et essayer de se faire payer ses primes alors qu'elle n'a pas l'âge légal, vous comprendrez qu'elle n'a pas le temps de s'ennuyer, et nous non plus. Les choses ne vont guère s'arranger dans le volume suivant où le gouvernement décide de faire preuve d'une tolérance zéro en matière de chasse aux vampires, tout cela parce qu'Elvira a tué un vampire, soldat héros de retour d'Iraq, en direct à la télévision et que les vampires en ont profité pour se dépeindre en victimes du racisme... Bourré de clins d'oeil et de références aux séries télé et au cinéma bis ("Dentiers vs zombies" fait envie, à quand le tournage ?), Mathieu Guibé nous fait passer un bon moment de détente avec ces deux volumes. Vivement le troisième, Elvira le retour ! 
 
La cité de l'indicible peur et Les contes du whisky, tomes 1 et 2 de la Collection Jean Ray en 10 volumes, aux Les Editions Alma
 
Jean Ray fait partie de ces auteurs mythiques qu'on peut lire et relire sans jamais se lasser. Nous connaissons tous ses aventures de Harry Dickson, parfois un peu moins ses romans et ses recueils de contes dont la dernière édition remonte à une trentaine d'années. Les Editions Alma ont réussi à briser la malédiction qui frappait l'oeuvre de Jean Ray et nous propose ce qui sera sans doute l'édition définitive des romans et contes car il s'agit là d'une édition originale et intégrale de ceux-ci, du moins pour la partie francophone, en dix volumes, sous la direction éclairée d'Arnaud Huftier, LE spécialiste de Jean Ray. Les deux premiers volumes sont parus au printemps et sont un régal de lecture ! La collection commence très fort avec "La cité de l'indicible peur" : on ne présente plus la découverte par Sidney Triggs de la petite cité d'Ingersham, au plus profond de l'Angleterre traditionnelle, celle qui réserve le plus de surprises... Un des chefs d'oeuvre de l'auteur ! Quant à l'autre volume, "Les contes du whisky", il comporte seize textes des contes proprement dits, plus onze rassemblés sous le titre "... Et quelques histoires dans le brouillard" et onze autres sous le titre "... Et autres textes". Les deux comportent une bibliographie détaillée et une postface très intéressante de Huftier ; les deux ont des couvertures du grand Philippe Foerster dont le graphisme ne laissera personne indifférent. Voici donc une belle aventure éditoriale qui débute en beauté, l'occasion pour les amateurs de Jean Ray de mettre sur leurs rayonnages une édition parfaite à côté des précédentes et pour les autres de découvrir le plus grand des auteurs fantastiques belges.
 
Jean-Luc Rivera
 
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