- le  
Les coups de cœur de Jean-Luc Rivera : décembre 2018
Commenter

Les coups de cœur de Jean-Luc Rivera : décembre 2018

Jean-Luc Rivera est un passionné et un érudit de tous les genres de l'Imaginaire. Organisateur du Festival de Sèvres, conférencier et membre du jury du Grand Prix de l'Imaginaire et du prix ACtuSF de l'uchronie, il nous fait partager régulièrement ses coups de cœur sur Actusf.

Une fois de plus Noël se rapproche et il y a encore eu beaucoup d’excellents livres écrits et publiés. Je vous mets donc, un peu en désordre, et parfois de manière très succincte car je n’ai pas eu le temps de vous développer mes arguments, les livres que j’ai adoré lire ces derniers mois et dont je suis certain qu’ils enchanteront vos longues soirées d’hiver. Bonnes fêtes de fin d’année à tous.

Commençons par une excellente trilogie, « Roslend » (Didier Jeunesse), de Nathalie Somers qui nous emmène avec son premier volume,« Roslend », à Londres pendant le blitz, puis le deuxième nous plonge dans l’enfer de « Trisanglad » (Stalingrad), enfin le dernier nous emmène dans ce qui fut le gai « Spria » (Paris et débarquement de Normandie) puisque l’action se déroule à la fois sur notre Terre et dans un univers parallèle. Notre Terre est l’Ego Monde, l’Alter Monde étant le double du nôtre avec situation politique identique : la guerre en cours entre la G-B/Roslend et l’Allemagne/Nelbri.

Lucan est un jeune orphelin élevé par son horloger de grand-père ; lorsque celui-ci est tué lors d’un bombardement, il découvre une horloge qui permet le passage entre les mondes en ayant le corps dédoublé ! Nathalie Somers, à travers une histoire où chaque événement dans un monde influe sur le cours de l’autre, nous déroule une belle histoire alternative de la Deuxième Guerre mondiale dans laquelle Lucan et son amie Catriona (elle est Irlandaise, donc dotée d’un sacré caractère), le Brac Marquel (le dictateur fou nelbrien) et nombre de personnages de l’Alter Monde jouent un rôle considérable, aux côtés de nos personnages historiques (Churchill, Staline, avec des détails exacts comme pour la vie des enfants de Staline ; il y a d’ailleurs un petit dossier fort bien fait en fin de chaque volume intitulé « Qu’y a-t-il de vrai dans tout ça ? »). L’auteur fait aussi un intéressant parallèle entre la dite « question juive » dans l’Allemagne nazie et la question des Albins au Nelbri (ce sont des albinos, répandus un peu partout, conseillers influents des Arkhaz/rois de Roslend dont le signe de royauté est les yeux vairons, et ils sont persécutés pour leurs dons et talents…).

Écrite de manière alerte et plaisante, voilà une très bonne manière à la fois de distraire et de faire découvrir un chapitre de notre histoire contemporaine à des jeunes dont il se dit qu’ils ne la connaissent plus.

Après une certaine attente – qui en valait la peine, disons-le tout de suite – voici donc le tome 3, « Les Gardiens célestes », de Romain d’Huissier (Critic), qui conclut la trilogie dont je vous ai déjà parlé des « Chroniques de l’Étrange » (« Les 81 Frères », coup de cœur du 19 octobre 2015, et « La Résurrection du Dragon », coup de cœur du 22 novembre 2016). Nous retrouvons donc à Hong-Kong Johnny Kwan et ses amis survivants, se remettant après la bataille épique qu’ils menèrent contre le milliardaire Anthony Chau et sa volonté de faire revivre le Premier Empereur. Mais le calme ne va pas durer longtemps car Chau s’est échappé, en conservant à sa disposition d’immenses ressources, sans parler des Cinq Venins (vous devez lire le tome 2 si vous ne voyez pas de quoi je parle…) : très vite, Johnny va découvrir des activités suspicieuses dans le monde souterrain des Triades, au moment même où des dieux ne répondent plus aux prières. Il va découvrir le plan encore plus insensé (mais l’est-il tant que cela ?) d’Anthony Chau et son but ultime, mettant en péril l’équilibre de l’univers, et découvrir par la même quel est son rôle et celui de ses amis les plus proches. Il va se réaliser pleinement (l’auteur met en scène avec humour et finesse deux personnages du panthéon chinois, en jouant sur des contradictions hilarantes, y compris de les avoir rendus végétariens…), au prix de pertes terribles et de déchirements, et enfin comprendre son passé. Dans ce Hong-Kong où le modernisme le plus délirant n’est jamais que l’apparence masquant mal une tradition millénaire (un bel exemple en est le Taonet, ou comment mettre le net au service de la Tradition, vous admirerez aussi ce que réalise l’alchimiste Helena Shiu, la Reine du Cinabre) et où l’on oublie facilement qu’à côté des gratte-ciels magnifiques existent une multitude de quartiers et de villages pauvres pour ne pas dire miséreux, Triades, créatures surnaturelles de toutes sortes et exorcistes vont choisir leur camp et s’affronter dans un combat rendu encore plus titanesque par l’intervention de certaines divinités (nous rêverons tous de nous rendre dans une certaine bibliothèque et d’y rencontrer Mme Siu), vu le péril. Romain d’Huissier termine cette superbe trilogie en une apothéose de mise en scène érudite (tous les détails sont justes) du combat désespéré pour la préservation de l’équilibre du Yin et du Yang, où Johnny devra se rendre dans le lieu le plus redouté de tous les hommes afin d’affronter son destin avant que le sang et la violence aveugle ne mettent en danger la ville elle-même. Le roman est spectaculaire, sa fin extraordinaire et il y a une fois de plus quelques repas sympathiques (y compris avec des plats végétariens mais c’est normal puisque Ann Lung est une nonne bouddhiste).

En bref, c’est sans doute aucun le meilleur roman d’urban fantasy que j’ai lu depuis des années, à lire de suite mais impérativement après les deux autres (si vous ne les avez pas encore, vous savez ce qui vous reste à faire, d’autant que les ouvrages sont beaux, avec de splendides couvertures de Xavier Collette) afin d’avoir le plaisir de la progression de l’action et de celle de l’attachant Johnny Kwan, « fat si » extraordinaire de Hong Kong.

En 2016 Paul Martin Gal faisait une entrée remarquée avec le très beau « La Cité des Lamentations » (Nestiqvenen) dont je vous parlais avec enthousiasme dans un coup de cœur du 29 septembre 2016, avant qu’il n’obtienne le GPI cette même année. Paul Martin Gal et Irvin Murray reviennent avec « Que Cesse la Nuit et autres aventures d’Irvin Murray » (toujours chez Nestiqvenen) : voici 7 nouvelles aventures toujours aussi exaltantes de notre aventurier irlandais favori dans cet Afghanistan truffé de djinns, de monstres divers (qu’ils soient humains ou surnaturels), de cités perdues etc… Et une histoire, « Le Rejeton », se déroulant dans les Pennines, aux racines de la mythologie celte pour changer des traditions orientales, qui est un bel hommage à Arthur Machen. A nouveau « enfoncez-vous dans votre fauteuil club Chesterfield devant la cheminée, allumez un cigare ou une pipe, un bon verre de whisky posé à côté de vous, et laissez-vous emporter dans le temps et l'espace pour revenir quatre-vingts ans en arrière chevaucher aux côtés de Murrah Shah » afin « Que cesse la nuit ».

Jim C. Hines nous donne le dernier tome de sa trilogie « Magie ex libris » (j’avais partagé mon enthousiasme pour le premier volume, « Le Bibliomancien » dans un coup de cœur du 6 septembre 2016) ; intitulé « Sur épreuves » (L’Atalante), nous y retrouvons Isaac Vainio qui se morfond, privé de sa magie par Gutenberg. Il ne va pas rester longtemps inactif par la force des choses et va être partie prenante (pour ne pas dire déterminante) de l’affrontement ultime entre les sorciers guidés par la redoutable Méridiana (dont on apprendra qui elle est, intervention surprenante de Gerbert d’Aurillac, le pape de l’an mil, décidément très à la mode) et les bibliomanciens : outre la lecture plaisante avec une action prenante, la force de Jim C. Hines est aussi de passer, sans avoir l’ait d’y toucher, des messages sur la tolérance (ménage à trois avec Lena, sa sylphide, et Nidhi, sa psychothérapeute), sur l’union qui fait la force (alliance avec les disciples de Bi Sheng que Gutenberg avait d’abord persécuté), plus une lecture politique sur la liberté car on ne peut empêcher éternellement une idée de se répandre (ici l’existence de la magie) afin d’éviter tout changement.

Nous retrouvons le personnage clé de Juan Ponce de Léon, toujours aussi secret ; et un nouveau personnage que j’ai beaucoup apprécié fait son apparition, Mahefa Issoufaly (un Ramanga, l’un de ces serviteurs malgaches chargés d’ingérer le sang versé des nobles afin d’éviter que l’on ne puisse utiliser la magie noire sur eux), sorcier du sang redoutable et complètement pourri, dont l’intervention va conduire à une scène extraordinaire, celle du cambriolage par Isaac d’une banque du sang orbitale appartenant aux vampires !

Malgré une certaine gravité tenant à l’évolution de la lutte entre nos deux factions et les enjeux en cours, l’auteur fait toujours preuve d’autant d’humour et de délire, que ce soit dans ses personnages ou dans l’action, et nous fournit toujours, pour notre plus grand bonheur, autant de références littéraires de geeks invétérés. Une belle conclusion pour une trilogie surprenante et inventive, à lire absolument dans l’ordre de parution si vous ne l’avez déjà fait, bien servie par la belle traduction de Lionel Davoust.

Comment ne pas faire part du bonheur de lecture raffiné que constituent les tomes 4 et 5 des « Mémoires, par lady Trent » : « Le Labyrinthe des Gardiens » et « Le Sanctuaire ailé » (L’Atalante) alors que j’avais déjà partagé avec vous mon plaisir à lire les trois premiers (« Une Histoire naturelle des dragons », coup de cœur du 29 février 2016, « Le Tropique des dragons », 26 octobre 2016, et « Le Voyage du Basilic », 3 septembre 2017). Le volume 4, toujours aussi excellent, nous permet de suivre les travaux de lady Trent, avec son fidèle assistant-partenaire Tom Wilker, en Akhie (un pays désertique ressemblant beaucoup à l’Arabie) pour y superviser l’élevage des dragons afin de pouvoir résister aux menées du perfide et agressif pays du Yélang. Elle va créer un nouveau scandale chez les bien-pensants par son second mariage (avec un non seulement non Scirlandais mais aussi, disons-le carrément, un non Blanc, même s’il est de très haute noblesse dans son pays et un allié du Scirland). Nous retrouvons donc, dans un rôle central, Suhail, l’archéologue akhien dont les travaux sur les Draconiens (cette civilisation disparue, quasi inconnue si ce n’est pour ses vestiges disséminés sur l’ensemble de la planète) font autorité et dont l’étude, grâce à lady Trent, du magnifique ensemble du Labyrinthe des Gardiens va révolutionner l’histoire connue.

Enfin le volume 5, « Le Sanctuaire ailé », qui clôt les mémoires d’Isabelle, nous expose LA découverte qui lui a assuré sa renommée mondiale. Nous partons, à la suite des informations fournies par un révolutionnaire du Yélang (ce pays ennemi du Scirland et de lady Trent), Thu Phil Lat, sur une dépouille de dragon totalement inconnue d’Isabelle et donc de la science. Comment résister à l’appel de la découverte et ne pas partir dans les sauvages et glaciales montagnes du Mrtyahaima ? D’autant plus que ces terres lointaines constituent un enjeu dans la lutte entre Scirland et Yélang. Résultat : une fois de plus, à son corps défendant, lady Trent va faire (une fois de plus) aussi brillamment de la politique qu’elle ne fait de la science et, surtout, nous allons enfin apprendre la raison pour laquelle lady Trent est devenue aussi connue et importante, si ce n’est plus, que son amie la reine du Scirland.

Toujours beaucoup d’humour et de mise à mal des préjugés (cf lire la condition actuelle des femmes et le racisme) dans ces deux derniers volumes, comme dans les précédents, et toujours la très bonne traduction de Sylvie Denis qui ajoute au plaisir de lire cette pentalogie remarquable, sans doute la plus brillante et la plus extravagante dans son imagination des séries de fantasy (mais en est-ce vraiment ?) récentes, un futur classique de ce qu’est la grande littérature d’imaginaire.

On ne présente plus Estelle Faye, cette auteure talentueuse, qui, avec « Les Nuages de Magellan » (Scrinéo), se lance dans un domaine nouveau pour elle, le space opera : essai brillamment réussi ! Dans un futur où les grandes compagnies exploitent sans vergogne planètes et populations, les derniers hommes libres furent les pirates qui, à leur tour, furent exterminés. Et, sur un planétoïde minable, la jeune Dan, serveuse dans un bistrot tout aussi minable, trime en ayant des rêves impossibles d’évasion : l’écrasement sanglant en direct de la révolte des pilotes spatiaux des compagnies sur l’astroport d’Ankou, à l’autre bout de la galaxie, et la chanson que Dan va improviser et interpréter en hommage aux pilotes, va pousser une de ses clientes, Liliam, à raconter ses souvenirs de la Grande Piraterie et de sa plus grande capitaine, Sol Saint-Clair, une cyborg commandant le « Carthagène ». Et, de fil en aiguille, suite à une intervention musclée des forces des compagnies, elle va se retrouver en fuite avec Liliam, découvrant l’univers mais pas comme elle l’avait imaginé, celle-ci se révélant être une femme ayant occupé une position cruciale chez les pirates et détenant des informations tout aussi cruciales pour les compagnies comme pour les derniers pirates survivants. A partir de là poursuites spatiales, combats, trahisons, coups de théâtre et révélations vont se succéder à un rythme impressionnant, en un roman devenu impossible à lâcher. C’est en même temps l’opportunité pour Estelle Faye de passer un certain nombre de messages forts et positifs sur des questions d’actualité comme le transhumanisme – quant cesse-t-on d’être humain, cesse-t-on même de l’être, qu’est-ce qui fait que l’on est humain – ou la sexualité et l’amour, sans parler de l’exploitation des hommes et femmes et de ce qu’est la liberté et comment la défendre – un thème qui résonne particulièrement dans nos consciences ces jours-ci -, toujours de manière sensible, avec cette belle écriture élégante qui la caractérise. Un beau roman d’initiation à la vie et une quête dont le dénouement vous surprendra et vous ravira autant que moi.

Ben H. Winters, que l’on avait découvert avec sa remarquable trilogie du « Dernier meurtre avant la fin du monde », nous revient avec une uchronie tout aussi remarquable, « Underground Airlines » (Actusf) : suite à l’assassinat du Président Lincoln au moment où allaient commencer les hostilités la Guerre de Sécession n’a pas eu lieu, ce choc ayant entraîné un compromis entre les Etats et des amendements à la Constitution dont un interdisant au Congrès de légiférer sur ou d’abolir l’esclavage dans les Etats où celui-ci est légal. De nos jours il reste donc quatre Etats, les « Hard Four », à l’économie florissante où l’esclavage a toujours cours alors que les autres Etats l’ont progressivement abandonné. Et il existe toujours une filière clandestine, qui de l’ancien « Underground Railroad » est devenu – littéralement – l’« Underground Airlines », pour aider les esclaves en fuite à rejoindre le Canada car les autres Etats de l’Union ont l’obligation de renvoyer les esclaves arrêtés chez eux. Pour ce faire existe un corps de U.S. Marshals spécialisés auquel appartient Victor, ancien esclave échappé lui-même, qui a dû accepter pour préserver sa liberté, réalisant ainsi qu’il a échangé une forme de servitude contre une autre, peut-être encore plus terrible (et pas seulement à cause de la puce implanté dans sa nuque). Sa nouvelle mission, confiée par son officier traitant, le très mystérieux Mr Bridge, retrouver un certain Jackdaw, travailleur enfui d’une plantation textile d’Alabama, va le conduire, car c’est un enquêteur avisé, à mettre le doigt sur de minuscules incohérences dans le dossier et petit à petit à se retrouver sur la piste d’un secret extrêmement dérangeant pour nombre de gens au Sud comme au Nord. La nature de ce secret est, bien entendu, l’un des atouts de ce roman mais pas le seul : avec beaucoup de finesse, Winters dépeint une société schizophrène, partagée entre avidité capitaliste et respectabilité bourgeoise, où l’on habille de bonnes raisons les pires compromissions. Surtout, la psychologie du personnage de Victor est absolument fascinante : bourré de contradictions et de culpabilité, il fait un travail qu’il ressent comme abject mais qui en même temps le protège et lui assure un train de vie confortable ; de plus, s’il excelle dans son travail c’est parce qu’il peut endosser toutes les identités possibles à la perfection, autrement dit lorsqu’on a été élevé comme étant un meuble, n’étant personne on peut être tout le monde et le roman est aussi la construction de Victor en tant qu’individu. Très bien écrit, avec beaucoup de détails historiques montrant les conséquences de chaque décision pour en arriver à la situation présente, une uchronie fort bien pensée donc, « Underground Airlines » fait partie de cette SF qui vous fait réfléchir. Merci M. Winters !

Dans deux coups de cœur précédents (17 mars 2014 et 20 mai 2015), je vous avais fait part de mon admiration pour les deux premiers tomes de la tétralogie « Le Bâtard de Kosigan », de Fabien Cerutti, à savoir « L’Ombre du pouvoir » et « Le Fou prend le Roi », suivi par « Le Marteau des sorcières » en 2017. Est sorti il y a quelques mois le dernier volume, « Le Testament d’involution » (les quatre volumes chez Mnémos), conclusion de cette extraordinaire saga, écrite de main de maître par un agrégé d’histoire, ce qui la rend totalement crédible car l’auteur a le sens du détail.

J’écrivais à propos du premier tome : « Le Bâtard de Kosigan , c'est le chevalier Pierre Cordwain de Kosigan qui, comme son sobriquet l'indique, est issu de la liaison de son père, grand noble bourguignon, avec une humble roturière, mais qui a été reconnu par celui-ci, élevé noblement et a dû s'enfuir à la mort de son père, dépouillé de son héritage et haï par son oncle. Il est devenu le chef d'une bande de mercenaires parmi les plus réputées, à la fois soldats de fortune, assassins et voleurs offrant leurs services aux plus offrants dans cette France féodale de 1339, divisée entre royaume de France en train de se constituer, duché de Bourgogne et comté de Champagne, sans oublier les possessions anglaises et le Saint-Empire. Et sans oublier les anciennes races, impitoyablement pourchassées par l'Eglise catholique lors des Croisades noires, et dont l'un des rares derniers refuges est justement ce riche comté de Champagne, la comtesse étant elle-même une elfe de haut lignage et un esprit politique redoutable. Mais elle est veuve et affaiblie et se trouve prise en étau entre France et Bourgogne : lors d'un grand tournoi, elle devra donner la main de sa fille et ainsi s'allier avec l'un des deux prétendants, perdant ainsi son indépendance et fragilisant encore plus la position des vieilles races. Et c'est là que va intervenir notre Bâtard, un homme cultivé, intelligent, calculateur et tacticien, tricheur mais aussi homme d'honneur à sa manière, excellent jouteur et bretteur, séducteur invétéré, bref un héros comme on les aime, qui va brouiller les cartes en s'inscrivant au tournoi, tout en soulevant nombre de questions : qui est-il vraiment, avec ses pouvoirs de guérison hors norme, son ouïe développée du côté gauche et sa capacité à ressentir la magie ? Pour qui travaille-t-il véritablement ? Et quels sont ses buts ? Nous les découvrirons en lisant ce roman à l'intrigue particulièrement dense, d'autant plus qu'en parallèle, nous lisons la correspondance écrite en 1899 de Michaël Konnigan, professeur d'archéologie médiévale, dernier descendant des Kosigan, un homme qui lui-même semble avoir un passé assez trouble et une conception de l'archéologie plus proche de celle d'Indiana Jones que de l'abbé Breuil, qui vient de recevoir un legs de son ancêtre, un coffre inviolable resté pendant plus de cinq cents ans dans la même étude notariale. Ce que Konnigan va découvrir petit à petit sur cet ancêtre mythique va contribuer à nous accrocher encore plus car le monde de Kosigan et le sien, normalement le même, semblent présenter des divergences : que s'est-il passé ? ».

Toutes les réponses à ces questions sont apportées dans les volumes suivants qui nous mènent de France dans le Saint-Empire romain germanique et en Allemagne bien des siècles plus tard lors de l’enquête de 1899 : je ne vous en dirai pas plus – le final est magnifique - car ce serait gâcher tout le plaisir de la découverte mais cette tétralogie est un chef d’œuvre d’histoire secrète fantastique, un thriller de fantasy comme on en lit rarement, qui doit se déguster impérativement dans l’ordre de parution afin d’apprécier la progression de l’intrigue, l’évolution des personnages et toute la subtilité de l’auteur.

« Joe Shuster, un rêve américain », sur un scénario de Julian Voloj, dessin & couleur de Thomas Campi (Urban Graphics), est une très émouvante et fort bien racontée biographie de Joe Shuster, le dessinateur original de Superman, et de son complice et ami Jerry Siegel, le scénariste : on y voit sans fard la vie dans l’Amérique des années 30, l’émigration juive, le monde impitoyable de l’édition populaire de comics, une histoire passionnante et touchante d’une grande injustice réparée tardivement, non pas pour des raisons morales mais de business (mauvaise publicité avant le 1er film…)

Mention spéciale au très beau dessin, de deux sortes différentes (le passé et le présent – milieu années 70 jusqu’à 1975) , et à l’excellente idée d’avoir incorporé des personnages de super-héros dans la narration qui remplacent les protagonistes dans certaines cases.

« La Ballade de Halo Jones » d’Alan Moore et Ian Gibson (Delirium) est la belle histoire de la jeune Halo Jones qui vit dans les taudis à l‘air irrespirable qui flottent au-dessus de Manhattan. Nous allons voir comment elle va s’en échapper et atteindre les espaces infinis : monstres divers et décors planétaires magnifiques, scénario d’Alan Moore inutile d’en dire plus, dessin très beau de Ian Gibson avec des accents parfois « druilletistes », un très beau volume de SF.

Si je vous dis Tarzan et Joe Kubert, cela devrait suffire pour vous faire envie ! Delirium a eu l’excellente idée d’éditer en deux beaux volumes l’intégralité des aventures de Tarzan écrites et dessinées par Joe Kubert à partir de celles écrites par Edgar Rice Burroughs, parues initialement dans les années 1970. Si le premier volume décrit des aventures plutôt classiques de Tarzan, le deuxième est nettement plus fantastique, avec entre autres une visite à Opar, des dinosaures et des hommes-lézards. Le bonheur pour tous les amateurs de Tarzan et de belle BD !

Michel Pagel, dans « Pour une poignée de nanars » (Rivière Blanche), nous propose 27 chroniques de la fin des années 1990 (à peine réécrites) sur des nanars dont certains connus (« The brain that wouldn’t die » ou « The beast of Yucca Flats »), d’autres moins (« King Richard and the crusaders » ou le film français de 1942 « Croisières sidérales ») : de quoi bien s’amuser, humour assuré, et d’avoir envie de découvrir certains de ces chefs d’œuvre du cinéma bis.

Jack Vance, « Mon nom est Vance, Jack Vance » (Le Livre de Poche) (« This is me, Jack Vance ! ») ou les souvenirs de cet immense auteur, dans la dernière traduction du remarquable et regretté Patrick Dusoulier (le plus grand des vanciens non seulement français mais mondiaux) : toute sa vie, par le petit bout de la lorgnette, il ne parle qu’incidemment de SF mais nous expose très simplement la vie au quotidien d’un auteur dans l’entre-deux-guerres et l’après-guerre. Passionnant !

Qu’écrire de « RétrofictionS. Encyclopédie de la conjecture romanesque rationnelle francophone », le monumental travail, de Guy Costes et Joseph Altairac (Encrage / Les Belles Lettres), deux volumes énormes (près de 5 kilos avec le coffret, 2 500 pages), qui couvre la période allant de 1532 à 1951 qui n’it pas déjà été dit dans les innombrables louanges qui l’ont couvert ? Une somme colossale qui fait le bonheur de l’amateur d’imaginaire car non seulement les 11 000 entrées apportent des informations sur les auteurs et les romans les plus obscurs ou les plus oubliés mais aussi sur une foultitude d’autres sujets comme la vaisselle, les cartes postales, les jouets ou les BD ; et que dire des trois index dont le thématique promet à tous des soirées bien remplies à rêver sur tout ce que la SF a pu aborder… L’iconographie est abondante (plus de 900 illustrations). Il faut aussi saluer la remarquable couverture de Jeam Tag qui rend bien l’évolution du genre à travers les siècles. Le plus beau des cadeaux de Noël cette année et, non, le prix n’est pas dissuasif si vous considérez qu’en fait, rapporté au prix du mot ou de la page, il est au tiers de ce à quoi revient un roman ordinaire à 22 ou 25 €… Bref, n’hésitez pas !

Jean-Luc Rivera

à lire aussi

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?