Un solide enracinement dans la culture classique européenne peut très bien constituer une rampe de lancement efficace pour un voyage aux confins de l'espace et du temps, comme le prouve Carolyn Cherryh depuis plus de trente ans. Avec une bonne cinquantaine de romans publiés, aussi bien dans le domaine de la science-fiction que dans celui de la fantasy, cet ancien professeur de latin et d'histoire antique figure sans conteste parmi les auteurs qui ne sacrifient pas la qualité sur l'autel de la quantité. Parmi ses œuvres les plus appréciées, citons Forteresse des étoiles (prix Hugo) ; Cyteen (Hugo et Locus) ; la série Chanur... Le principal apport de la science-fiction à la littérature, selon C. J. Cherryh, serait « un élargissement des points de vue par la création de symboles appropriés à l'âge de l'espace ». Bon nombre de ses livres œuvrent en ce sens, jusqu'à jouer parfois avec la forme (jeu avec les signes typographiques, dans Le voyageur de la nuit). La notion d'humanité face aux évolutions technologiques et à son expansion dans l'univers constitue ainsi la matière première de la plupart de ses récits dans lesquels les protagonistes humains nous semblent souvent aussi étranges que les extra-terrestres qu'elle décrit et qui occupent très fréquemment une place centrale.
Cachez ce citoyen que je ne saurais voir...
Sur Liberté, une planète située à l'écart des routes spatiales et principalement fréquentée par quelques pirates, seul le continent Sartre a été colonisé. Herrin Loi, originaire de la vallée de Camus, est invité par le despote Waden Jenk à réaliser une sculpture à son image en plein centre de Kierkegaard, la capitale. Sur Liberté, cependant, la réalité est vécue de manière subjective. L'œuvre géniale de Herrin Loi pourrait bien mettre en péril les projets du tyran et révolutionner toute la société. En effet, les Ahnits, descendants des extra-terrestres autochtones, vivent encore et bien que les conventions sociales locales interdisent aux citoyens de leur accorder la moindre réalité, cette caste d'invisibles commence à envahir celle de Maître Loi. Lorsqu'un vaisseau étranger atterrira au spatioport de Kierkegaard, sera-t-il encore possible d'ignorer ses passagers et la nouvelle réalité qu'ils portent ?
« L'homme est la mesure de toute chose »
Dès la première page, la fameuse maxime de Protagoras donne la couleur de l'ouvrage. Dans la lignée de James Morrow ou de Philip K. Dick, Les Flots sans rivage constitue un bon exemple de cette science-fiction qui aime à jouer avec les sciences sociales et les concepts philosophiques, ce qui constitue souvent un terreau tout aussi fructueux que la physique, la biologie ou d'autres sciences dites dures pour produire, entre autres, de réjouissants planet operas.
Le dialogue philosophique est un domaine que connait certainement bien Carolyn Cherryh, spécialiste de l'antiquité européenne, mais c'est du côté de la philosophie Zen que l'on pourrait se tourner pour trouver un équivalent aux courts échanges entre maître et disciple qui se trouvent en exergue de chaque chapitre, proches des koans dans lesquels le silence peut constituer une réponse satisfaisante à un problème posé. Les différents niveaux auxquels la réalité peut être appréhendée en constituent généralement le thème. En effet, le livre dans son ensemble examine et développe la question des rapports entre les habitants de Liberté et un « réel qui refuse de disparaître quand on cesse d'y croire », selon la formule de Philip K. Dick. Sur Liberté, la dialectique est une discipline enseignée afin de circonscrire les esprits aux aspects de la réalité imposée par des créateurs spécialisés, artistes, politiques... L'existence de deux sociétés parallèles sur la planète, à la fois étrangères l'une à l'autre et pourtant inextricablement imbriquées, est également une des idées marquantes de l'ouvrage, avec des implications économiques originales. On pourrait cependant regretter le manque de données sur les Ahnits, mais ne sont-ils pas invisibles ?
D'autres thèmes fascinants sont effleurés et ralentissent le lecteur en l'entraînant dans de longues réflexions sur les liens qu'entretiennent l'art et le pouvoir, sur la manipulation des consciences, la liberté de pensée, le conformisme, la mégalomanie, l'exclusion, la solitude... Ce qui pourrait ressembler à un défaut constitue paradoxalement une des principales qualités des Flots sans rivage car il donne autant matière à lire qu'à penser et le lecteur porté aux digressions se surprendra fréquemment à étendre les concepts utilisés par l'auteur jusqu'aux divers évènements qui émaillent sa propre existence. La réalité littéraire créée par Carolyn Cherryh peut même finir, dans les formes les plus aigües de divagation romanesque, par envahir la propre réalité du lecteur et en constituer une grille de lecture tout à fait valide...
Cachez ce citoyen que je ne saurais voir...
Sur Liberté, une planète située à l'écart des routes spatiales et principalement fréquentée par quelques pirates, seul le continent Sartre a été colonisé. Herrin Loi, originaire de la vallée de Camus, est invité par le despote Waden Jenk à réaliser une sculpture à son image en plein centre de Kierkegaard, la capitale. Sur Liberté, cependant, la réalité est vécue de manière subjective. L'œuvre géniale de Herrin Loi pourrait bien mettre en péril les projets du tyran et révolutionner toute la société. En effet, les Ahnits, descendants des extra-terrestres autochtones, vivent encore et bien que les conventions sociales locales interdisent aux citoyens de leur accorder la moindre réalité, cette caste d'invisibles commence à envahir celle de Maître Loi. Lorsqu'un vaisseau étranger atterrira au spatioport de Kierkegaard, sera-t-il encore possible d'ignorer ses passagers et la nouvelle réalité qu'ils portent ?
« L'homme est la mesure de toute chose »
Dès la première page, la fameuse maxime de Protagoras donne la couleur de l'ouvrage. Dans la lignée de James Morrow ou de Philip K. Dick, Les Flots sans rivage constitue un bon exemple de cette science-fiction qui aime à jouer avec les sciences sociales et les concepts philosophiques, ce qui constitue souvent un terreau tout aussi fructueux que la physique, la biologie ou d'autres sciences dites dures pour produire, entre autres, de réjouissants planet operas.
Le dialogue philosophique est un domaine que connait certainement bien Carolyn Cherryh, spécialiste de l'antiquité européenne, mais c'est du côté de la philosophie Zen que l'on pourrait se tourner pour trouver un équivalent aux courts échanges entre maître et disciple qui se trouvent en exergue de chaque chapitre, proches des koans dans lesquels le silence peut constituer une réponse satisfaisante à un problème posé. Les différents niveaux auxquels la réalité peut être appréhendée en constituent généralement le thème. En effet, le livre dans son ensemble examine et développe la question des rapports entre les habitants de Liberté et un « réel qui refuse de disparaître quand on cesse d'y croire », selon la formule de Philip K. Dick. Sur Liberté, la dialectique est une discipline enseignée afin de circonscrire les esprits aux aspects de la réalité imposée par des créateurs spécialisés, artistes, politiques... L'existence de deux sociétés parallèles sur la planète, à la fois étrangères l'une à l'autre et pourtant inextricablement imbriquées, est également une des idées marquantes de l'ouvrage, avec des implications économiques originales. On pourrait cependant regretter le manque de données sur les Ahnits, mais ne sont-ils pas invisibles ?
D'autres thèmes fascinants sont effleurés et ralentissent le lecteur en l'entraînant dans de longues réflexions sur les liens qu'entretiennent l'art et le pouvoir, sur la manipulation des consciences, la liberté de pensée, le conformisme, la mégalomanie, l'exclusion, la solitude... Ce qui pourrait ressembler à un défaut constitue paradoxalement une des principales qualités des Flots sans rivage car il donne autant matière à lire qu'à penser et le lecteur porté aux digressions se surprendra fréquemment à étendre les concepts utilisés par l'auteur jusqu'aux divers évènements qui émaillent sa propre existence. La réalité littéraire créée par Carolyn Cherryh peut même finir, dans les formes les plus aigües de divagation romanesque, par envahir la propre réalité du lecteur et en constituer une grille de lecture tout à fait valide...