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Les secrets d'écriture d'Edouard Blaes, la pépite de l'imaginaire ActuSF 2023
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Les secrets d'écriture d'Edouard Blaes, la pépite de l'imaginaire ActuSF 2023

Publié dans le recueil Féroce(cité) aux éditions projet Sillex, Edouard Blaes vient de sortir son premier roman, Le Silence des Carillons aux éditions ActuSF. Découvrez ses secrets d'écriture et la naissance d'Ermeline, son personnage fort et plein de caractère :

ActuSF - Tout d’abord, pouvez-vous nous présenter en quelques mots votre roman Le Silence des Carillons, et peut-être répondre à cette question qui résonne tout au long du récit : qui est Ermeline Mainterre ?

Edouard H. Blaes - Bonjour ! Et bonjour tout le monde. Qui est Ermeline Mainterre ? Ce que je peux vous dire, c’est que ça n’est pas par hasard que ce sont les mots qui ouvrent le récit. « Qui est Ermeline Mainterre ? » c’est la question qui m’a poussé à écrire ce livre. L’univers, je l’ai inventé pour une autre histoire, que j’espère vous faire lire dans un futur plus ou moins proche, mais pendant que je réfléchissais à cette autre histoire, il m’est apparu qu’il fallait que je développe le personnage d’Ermeline.

Alors, tout simplement, Le Silence des Carillons, c’est l’histoire d’Ermeline Mainterre et de son rapport à Tinkleham et à son protecteur : le Beffroi. J’aime particulièrement les huis-clos et Tinkleham, c’est ça, une ville renfermée sur elle-même, assiégée par des Spectres et protégée par les cloches que des magiciens font sonner en-haut du Beffroi.

Ces magiciens, ce sont ceux qu’Ermeline veut rejoindre. Depuis tout petite, elle sait que c’est sa voie. Son destin, on pourrait dire, celui qu’elle a choisi : elle veut devenir la plus grande de toutes les magiciennes. Et cette histoire, c’est celle de toutes les embûches qui vont se dresser sur son chemin, de la plus légère aux plus sombres et affreuses.

 

ActuSF - La survie de Tinkleham dépend avant tout du pouvoir de certains « élus » qui entrent au Beffroi pour être formés : pouvez-vous nous expliquer le système de magie que vous avez créé ? Par quoi a-t-il été inspiré ?

Edouard H. Blaes - Déjà, je déteste l’idée même des élus providentiels. Et je pense que ça doit se sentir un peu, dans ce livre. Pourtant, j’ai décidé que la magie ne serait pas accessible à tous, dans Tinkleham tout simplement parce que c’était plus intéressant pour moi, d’un point de vue scénaristique. L’idée qu’à l’adolescence, le corps change et se transforme pour les uns, que la magie apparaisse chez certains, pas chez d’autres, à différents niveaux… je trouve tout ça affreux ; c’était donc intéressant à traiter.

Olala, j’ai l’impression d’être beaucoup trop sérieux. Donc ! La magie. Pourquoi de la magie ? Déjà, parce que je trouve ça cool. J’ai toujours adoré la magie et je n’imaginais pas une seconde un univers sans. Le chant est devenu une composante absolument indispensable du récit, mais il n’était pas là le premier, à vrai dire. Au tout début de Tinkleham, j’imaginais les cloches sonner pour repousser les Spectres. Je n’avais pas encore l’idée de magiciennes chantant pour les faire sonner. Ou plutôt, si, je l’avais, mais pas pour ce roman ! J’avais en tête cette idée d’école de magie basée sur la musique. (Comme des collèges de bardes, je vous entends les rôlistes !) En vrai, elle m’est venue en regardant « Your Lie in April ». Qui n’a rien à voir avec de la magie, à part dans sa capacité à me faire pleurer toutes les larmes de mon corps.

Ensuite, j’ai repensé à cette idée et à mon Beffroi et ses cloches. Chanter pour les faire sonner, ça me semblait une super idée. Alors j’ai commencé à y réfléchir et puis le principe de choristes m’a semblé couler de source. J’en ai parlé avec une amie qui m’expliquait les différences de chanter solo et de chanter dans un chœur ; ça m’a paru super intéressant et bim, c’était parti !

La magie, je vois ça comme un ressort scénaristique, encore une fois. C’est-à-dire que si elle est là, elle doit apporter quelque chose au récit. Là, en l’occurrence, elle est présente pour pouvoir repousser les Spectres, mais pas seulement. Pour moi, les bulles d’univers que sont en mesure de se construire les magiciennes et les magiciens de Tinkleham sont centrales dans l’histoire. Elles sont apparues en cours d’écriture comme une évidence. La magie, c’est aussi ça. C’est une évidence.

Et elle doit toujours avoir un coût. On ne touche pas à l’équilibre du monde sans en payer le prix ou sans prendre des risques, au moins. C’est pour ça que dans l’univers de Tinkleham, existe le ressac. Il est dangereux de s’éloigner trop de la rive et de s’enfoncer dans la magie.

Je ne sais pas du tout si je réponds à la question.

Pour ce qui est des inspirations, du côté du ressac, il a tout simplement été inspiré de vacances passées avec mes parents et mes frères en Bretagne. Mon père et moi avons été incroyablement stupides et sommes allés nager dans un coin de la plage qui n’était pas surveillé. Et ce jour là, j’ai découvert le ressac et la difficulté à revenir vers la terre ferme, quand on s’est amusé à nager trop loin dans les vagues. (Tout s’est bien passé au final. Mais ne faites pas ça, c’est très bête.)

 

ActuSF - On ne souhaite pas spoiler le récit, mais ce qui se trouve au-delà de Tinkleham, dans la Brume, reste intentionnellement très flou (sans mauvais jeu de mot !). Savez-vous vous-même ce qu’on y trouverait ?

Edouard H. Blaes - Je pourrais juste répondre oui. Mais ça serait pas suffisant, hein ? Il y a plein de réponses à cette question ! Oui, je sais ce qu’il y a derrière la Brume, parce qu’évidemment, je me suis posé la même question. Qu’est-ce qui se cache là-dehors, après la bordure ?

J’ai deux réponses.

D’abord, il y a ce qu’imaginent les habitants de Tinkleham. Et qui est très important ! Parce que ça raconte beaucoup sur les personnages, je trouve.

Ensuite, il y a la réalité que j’imagine. Et ça, je ne souhaite pas en dire beaucoup plus pour l’instant, mais… oui, je sais ce qui se cache de l’autre côté. Peut-être même que vous le découvrirez un de ces jours !

 

ActuSF - Ermeline est un personnage plein de colère. Cette émotion est finalement assez peu représentée, car souvent mal vue. Est-ce un sentiment qui vous paraît important personnellement ?

Edouard H. Blaes - Alors, moi je venais ici innocemment, pour répondre à des questions sur mon roman et bim, la thérapie. C’est une intervention, c’est ça ?

Plus sérieusement, c’est super intéressant comme question. Alors je vais essayer de faire court : c’est effectivement une émotion qu’on voit assez peu, mais j’ai l’impression qu’elle commence à être dépeinte davantage. Je ne sais pas pourquoi, je pense à Eleven dans Stranger Things.

La colère n’est pas une mauvaise émotion. Je ne pense pas qu’il y ait vraiment de mauvaises émotions. C’est une réaction à quelque chose. Et il faut comprendre ce quelque chose pour pouvoir le résoudre. C’est un message et je pense qu’il faut apprendre à l’écouter.

En revanche, il est vrai que c’est un caractère que l’on a tendance à ne voir positif que lorsqu’il se manifeste chez un personnage masculin ; quand c’est le cas avec un personnage féminin, on verra souvent des réactions de type « elle est hystérique ». Et ça, bah ça me fait cordialement chier. Donc oui, Ermeline est en colère. Elle est ambitieuse aussi. Elle prend des décisions, pas obligatoirement que les bonnes, mais elle les prend.

Maintenant, pour moi… Oui, je suis souvent en colère. Ca se voit pas trop, je crois. Comme dit Bruce Banner « That’s my secret, cap. I’m always angry. » C’est mon secret, je suis toujours en colère. Alors qu’est-ce qu’on en fait, de cette colère ? On l’utilise pour écrire des bouquins.

Attendez, je reviens, j’entends les cris de ma thérapeute, dans le couloir…

 

ActuSF - Elle est en même temps convaincue d’être faite pour être connue et reconnue. Vous soulevez également le sujet du destin tracé grâce aux prophéties dans le roman. D’un point de vue philosophique, pensez-vous que nous soyons maîtres de notre destinée ? Quel est le message que vous souhaitiez faire passer à travers l’histoire d’Ermeline ?

Edouard H. Blaes - Vous m’imaginez en train de transpirer, en passant de psychologie à philosophie ? Bon. Allez.

C’est l’une des grandes questions du roman. Et de l’univers de Tinkleham, pour être exact. C’est l’une des grandes questions de notre monde, aussi, au final. Qu’est-ce qui est prédestiné et qu’est-ce qui ne l’est pas ? L’une des manières de réfléchir à ce sujet, ça a souvent été de se projeter dans le futur ; de s’imaginer que l’on puisse prédire l’avenir. Qu’est-ce qui vient demain, si je sais ce qui vient demain ? Est-ce que je peux le changer, le demain ?

Et c’est là, qu’on a envie de répondre « ça dépend ». Mais je déteste cette réponse, parce qu’elle marche toujours. Donc c’est pas une réponse. C’est une mise en suspens de la question. Pourtant, ça n’est pas une question à laquelle on est en mesure de répondre autrement qu’en supposition et en conviction. Parce que la réponse a peu d’intérêt. C’est ce qu’elle nous pousse à faire qui l’est.

Très personnellement, je ne crois pas au fatum. Je déteste même un peu cette idée. Tout comme je ne crois pas en un ou des dieux ou encore en une quelconque intelligence supérieure qui aurait donné naissance à l’univers. Est-ce que ça veut dire que l’on est pas prédestiné ? J’en sais rien. Mais ce que ça va changer pour moi, c’est ça qui compte. Ça me pousse à choisir mon chemin. À avancer en allant chercher le prochain embranchement. À avancer dans ma vie.

D’autres auront besoin de décider que tout est prévu. Dans un grand schéma qui n’aurait de sens que lorsque tout sera terminé. Et je ne trouve pas ce point de vue moins valable. Tant qu’il permet d’avancer et qu’il n’est pas utilisé comme un moyen de tout justifier.

Si tout est prévu, tout est justifié. Et cette idée là, je la trouve affreuse.

S’il y a un message à retenir d’Ermeline, c’est sûrement que prédestinée ou pas, foncez. On s’en fout, on saura de toute façon pas, alors… ouais, foncez.

 

ActuSF - Le son a évidemment une importance toute particulière dans votre récit. Pourtant c’est un sens difficile à faire passer sur papier. Comment avez-vous procédé pour créer une atmosphère auditive qui immerge complètement les lecteur.ices dans ce monde rythmé par le son des cloches ?

Edouard H. Blaes - J’ai fait de la musique. Vous ne m’entendrez jamais dire que je suis musicien pour autant, parce que ça serait une insulte à tous les musiciens. J’ai fait pas loin de dix ans de piano et je suis incapable de jouer au clair de la lune. Pourtant, cette étude de la musique, elle m’a marqué et j’ai la sensation qu’on retrouve les mêmes composantes dans les mots. Dans les rythmes et dans l’enchaînement des phrases. Dans les crescendo, les decrescendo, les instants allegro ou au contraire adagio.

Je pense qu’il n’y a pas grand-chose pour faire ressentir la musique dans les mots, parce qu’elle y est déjà.

Olala, c’est d’un pédant, comme phrase. Alors pour répondre de manière plus terre à terre, j’ai fait des recherches sympatoches sur les cloches et leur chant. Et c’était super intéressant, alors j’ai essayé d’utiliser le vocabulaire qui allait bien, d’intégrer tout ça dans le texte de manière subtilo-subtile. Et puis… dans mon esprit, quand j’écris sur Tinkleham, je les entends les cloches. Elles sont là, en permanence ; alors je pense que de toute façon, elles ne pouvaient que se retrouver dans le roman.

À Tinkleham, tout est de brume et d’airain.

 

ActuSF - Une école pour révéler notre vraie nature… Cela raisonne-t-il avec votre propre vécu quand on sait que vous avez, par exemple, remporté le prix de l’école d’écriture de Cécile Duquenne, ou suivi des cours de théâtre ?

Edouard H. Blaes - J’ai vraiment ri en lisant la question ! Parce que je n’ai jamais été un très bon élève. Je fais partie de ceux qui se sont retrouvé au début de la primaire avec des facilités et qui n’ont jamais réussi à se plier au système éducationnel que l’on a en France. Très vite, je me suis retrouvé complètement à la traine. J’ai toujours été tête en l’air et j’ai même eu une prof qui m’a présenté comme « le cancre » de la classe.

J’ai appris à écrire sans trop de fautes à partir de la seconde, donc à 15/16 ans. (Je sais plus exactement, je l’ai redoublée.) On a toujours considéré que je n’étais pas fait pour les lettres, pas fait pour l’écriture… Alors j’ai suivi des cursus techniques.

Pour ce qui est de l’école d’écriture, je n’ai regardé qu’une seule masterclass dans ma vie, et je n’ai pas réussi à la terminer parce que j’oublie chaque fois d’écouter en plein milieu. Ca fait des mois que je me dis qu’il faudra que je la termine, d’ailleurs ! Je vais me noter ça, encore une fois.

Et le Cours Florent, je n’ai fait que la première année, pour l’instant. (je fais une petite pause pour me concentrer sur l’écriture, parce que j’ai bien dû me faire à l’idée que je ne suis pas capable de me couper en trois. En deux, ça va.)

Alors l’école, est-ce que c’est vraiment un moyen de révéler une vraie nature ? Je ne pense pas que ce soit son travail. Il y a déjà beaucoup à faire, à l’école, et malheureusement il y a aussi de moins en moins de moyens.

Et qu’on soit bien clair : l’école est nécessaire. L’école, c’est plus que nécessaire. Et ça n’est pas parce que mon parcours à moi a été plutôt chaotique, qu’elle ne sert pas. C’est simplement une preuve de plus qu’il faut plus de moyens pour l’enseignement. Pour que l’on puisse l’adapter à chaque élève. Pour que ceux qui ne sont pas en mesure de fonctionner dans le même système que d’autres ne se retrouvent pas mis de côté.

Ce n’est peut-être pas là que l’on se révèle, mais c’est là qu’on nous donne les armes pour le faire. Mais même à mains nues, on peut se battre. C’est juste plus compliqué.

 

ActuSF - Auparavant, on a pu vous lire dans l’anthologie Féro(ce)cités, où vous avez écrit de la fantasy animalière. Votre approche du texte est-elle différente lorsque vous écrivez une nouvelle ou un récit plus long comme Le Silence des carillons ?

Edouard H. Blaes - Ce sera sûrement ma réponse la plus courte ! Non.

J’écris exactement de la même manière. J’écris un plan chaotique sur papier, puis je le développe et je le chapitre sur l’ordi. Et ensuite j’écris.

 

ActuSF - Vient enfin la question fatidique que l’on pose forcément pour un premier roman, surtout lorsqu’il fait partie des Pépites de l’imaginaire : sur quoi travaillez-vous maintenant ? Quels sont les sujets que vous avez envie d’explorer ?

Edouard H. Blaes - Alors ! Plein de trucs.

Je viens tout juste de poser le point final au premier jet d’un roman jeunesse et j’ai un autre manuscrit qui se passe dans l’univers de Tinkleham qui traîne dans les tiroirs. Je travaille également sur Nightintown, un roman qui sortira l’an prochain et là, tout de suite, je vais me mettre au travail sur un projet de SF dont vous devriez entendre parler assez rapidement !

J’ai un paquet d’histoires à raconter. J’ai un paquet de choses à partager et j’ai vraiment envie de me lancer également dans le roman jeunesse/YA, parce que c’est ce qui m’a poussé à aimer la littérature. Ce sont les livres que je dévorais, quand j’étais petit (et que je ne travaillais pas à l’école, si vous avez bien suivi.), alors j’ai envie de renvoyer l’ascenseur !

J’ai une série d’un roman « isekai » que j’appelle les Contes de Malestroit, que j’espère aussi voir éditée.

Je continue d’écrire de la poésie, aussi. Alors un jour, peut-être que je rassemblerai tout ça pour en faire un recueil ! Ca serait fun.

Bref, plein de choses. Plein de choses sur plein de sujets. Mais j’ai très hâte de vous partager tout ça.

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