ActuSF : Pour commencer, pouvez-vous vous présenter en quelques mots et présenter Coven pour vos nouveaux. elles lecteurs et lectrices ?
Taous Merakchi : C’est l’histoire de quatre adolescentes qui décident de recourir à la sorcellerie pour sauver un orme centenaire de l’abattage, mais qui invoquent accidentellement un démon du chaos par la même occasion, qui vient semer la zizanie dans leur quotidien et leurs relations.
ASF : Qu’est-ce qui vous a inspiré cette histoire et cette ambiance très cinématographique ? D’où est venue cette idée d’en faire une BD ?
TM : J’ai été contactée par mon éditeur, Eloi Morterol chez Dupuis, parce qu’il voulait quelqu’un pour écrire une histoire de sorcières et qu’il a tout de suite pensé à moi pour le faire. Je suis donc partie de là en allant chercher ensuite dans mes inspirations et mes références culturelles personnelles, pour écrire une histoire du genre de celles que je lisais et regardais quand j’étais ado. C’est 100 % inspiré de tous les teen movies des années 90-début 2000 qui ont façonné ma personnalité.
ASF : Vos quatre héroïnes ont toutes une personnalité bien à elle, dans laquelle vous retrouvez-vous le plus ?
TM : Elles sont en réalité la personnification de quatre de mes personnalités à moi, mais je suis surtout un mélange entre Lily et Ève.
ASF : Les sorts, la mort, les esprits, les plantes… Ce sont des thèmes qui sont au centre de vos écrits et de votre vie. Vous être-vous inspirée de votre expérience personnelle avec la sorcellerie moderne pour imaginée l’entrée de vos héroïnes dans ce monde ?
TM : Le but c’était vraiment de prendre toutes mes inspirations et de les insuffler dans un monde où tout ça existe pour de vrai, de la façon dont on se le figure quand on évoque les mots sorcellerie, rituel, magie, etc. Je ne voulais pas faire quelque chose de réaliste, je voulais que ce soit fantastique et que ça reflète tous les fantasmes qu’on peut nourrir à l’adolescence, quand tout semble nous échapper et qu’on se dit que seule la magie pourrait nous permettre de retrouver un semblant de contrôle sur notre vie. Tout serait si facile si on pouvait juste mélanger trois ingrédients et réciter une incantation pour résoudre nos problèmes ! Sauf qu’en fait… ben, pas vraiment.
ASF : Coven est avant tout tourné vers un public jeune adulte de par l’âge de ses personnages, mais aussi dans son ton. Pourquoi avoir décidé de parler à ce public en particulier, pensez-vous qu’il soit le plus à mêmes de comprendre les enjeux que vous développez ?
TM : Je suis obsédée par l’adolescence depuis toujours, principalement parce que j’estime que la mienne a été trop décevante et qu’on m’a volé des années qui auraient dû être un peu plus fun et légères que ce qu’elles ont été. Du coup, je passe ma vie à courir après mon adolescence, et c’est pour ça que j’aime mettre en scène des ados et leur offrir des aventures que j’aurais aimé vivre, avec des amitiés solides et des parents qui tiennent à peu près la route, mais aussi avec tout ce qu’il y a de sombre et d’intense et de terrifiant dans ces années là. C’est une période tellement importante, il s’y passe tellement de choses et ça détermine beaucoup d’aspects de notre personnalité, donc si je peux faire passer quelques messages et donner quelques exemples cool à travers de la fiction, ce sera toujours ça de gagné. Nous on avait pas des masses de personnages féminins intéressants à l’époque, donc c’est chouette de pouvoir rectifier le tir maintenant.
ASF : Sans vouloir spoiler la fin de Coven, l’histoire s’ouvre sur de multiples possibilités de suite. D’autres tomes sont-ils prévus depuis le début ou naviguerez-vous à vu en fonction des retours sur ce premier volet ?
TM : Pour l’instant je n’ai pas du tout prévu d’écrire une suite, mais impossible de savoir ce que l’avenir me réserve, donc nous verrons bien !
ASF : À propos de vous, vous avez longtemps travaillé sur internet et écrit sous pseudonyme, qu’est-ce qui vous a motivé à passer à votre vrai nom ? Cela a-t-il une incidence sur l’art le contenu que vous créez aujourd’hui ?
TM : J’ai travaillé sous pseudonyme parce que je ne voulais pas qu’on me juge en fonction de mon genre ou de mes origines — parce que c’était ce que j’avais moi-même tendance à faire, plus ou moins inconsciemment. Instinctivement, on a tendance à ne pas s’intéresser au contenu créé par des gens qui semblent trop différents de nous, ou de la norme, parce qu’on se dit — généralement à tort — « ça sert à rien, ça va pas me parler, je vais pas m’y retrouver ». J’avais peur que les gens se disent ça en voyant mon nom, donc pour augmenter mes chances, et aussi parce que c’était encore le début des années 2000, j’ai gardé mon pseudo. Aujourd’hui je suis dans une démarche complètement différente, je suis fière d’être là où je suis en étant qui je suis, et je veux pouvoir montrer à ceux qui pourraient se retrouver dans mon identité que oui, on peut faire ce que je fais en étant qui je suis. J’ai travaillé dur pour en arriver là, et cette victoire est la mienne, pas celle de mon pseudo.
ASF : Votre bibliographie est riche de beaucoup d’ouvrages aux styles et aux thèmes différents. C’est la première fois cependant que vous travaillez sur une fiction graphique. Avez-vous eu une approche différente en sachant que l’histoire ne dépendait pas que de vous mais aussi de Da Coffee Time qui illustre l’ouvrage ?
TM : L’avantage que j’ai eu dans cette collaboration, c’est que j’écrivais mes épisodes au fur et à mesure (puisqu’à l’origine c’était un Webtoon) et que DaCoffeeTime les illustrait ensuite. Je n’ai pas eu de contrainte autre que tenter de faire des choses qui ne soient pas impossibles à dessiner, mais j’ai écrit ça sous forme de script, donc c’était plus facile. Par contre ça m’a confirmé que oui, écrire de la fiction c’est un tout autre boulot d’écriture, et que c’est vraiment pas ce qu’il y a de plus simple. Mais sans cette opportunité, j’aurais jamais osé m’y mettre par moi-même, donc je suis contente qu’on m’ait mis le pied à l’étrier dans des conditions aussi cool.
ASF : Aujourd’hui, vous parlez beaucoup d’horreur sur vos différentes plateformes, c’est un sujet qui vous passionne. Coven en prend déjà les codes mais pensez-vous que les potentielles suites seront de plus en plus sombres ?
TM : Alors comme je l’ai dit plus haut je n’ai pas prévu de suite, mais par contre l’horreur est mon premier amour, et j’ai bien l’intention de continuer à en créer. Je ne sais pas encore sous quelle forme, mais c’est un objectif constant, et oui, j’aimerais faire bien plus sombre que ça encore !
ASF : Malheureusement, malgré certaines apparences, il reste beaucoup à faire pour développer le féminisme et la sororité, et Coven y participe avec brio. Travaillez-vous sur d’autres formes de textes ou d’expression, ou en général, sur d’autres projets, pour continuer de diffuser votre message ?
