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Macha ou le IVe Reich - Les secrets d'écriture de Jaroslav Melnik
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Macha ou le IVe Reich - Les secrets d'écriture de Jaroslav Melnik

À l'occasion de la parution de Macha ou le IVe Reich aux éditions Actes Sud, Jaroslav Melnik revient sur l'écriture de ce nouveau roman.

Actusf : Macha ou le IVe Reich est paru cette année aux éditions Actes Sud. Comment est né ce roman ? (paru à l’origine en 2013)

Jaroslav Melnik : Ce roman a été écrit après mon roman dystopique Espace lointain, sorti d'abord en Lituanie en 2008, où il est devenu finaliste de « Livre de l'année », puis en Ukraine, où il a remporté le prix de « BBC livre de l'année 2016 » et d'autres prix prestigieux. Depuis 2019, il est entré au programme scolaire des lycées ukrainiens. Nous parlons du monde des aveugles, qui vivent enfermés dans une métropole (cela ne nous rappelle-t-il pas notre situation actuelle ?) Et ils n'ont aucune idée de « l'espace lointain », de la réalité associée à la lumière, à la couleur et à la liberté. Du coup, un jeune homme commence à voir la réalité, commence à en parler, et il est considéré comme fou ...
En 2017, Espace lointain a été publié en France chez Agullo édition et a été réédité chez le Livre de poche en 2018. En France, il a reçu les prix Libr’à nous 2018 dans la catégorie Imaginaire, le Prix Bouchon de cultures 2018, est devenu finaliste du prix des Utopiales 2018 et du prix Jean Monnet des Jeunes Européens de Cognac.
Il est clair que le succès de ce roman m'a poussé à continuer à écrire dans ce genre. De plus, avant les dystopies, j'ai écrit (et j'écris maintenant) de la prose surréaliste, et elle parle toujours de la réalité parallèle. Les mondes parallèles m'attirent depuis longtemps, car pour moi la liberté, c'est vivre dans une réalité parallèle, ne pas trop croire à cette réalité, souvent absurde et terrible, qui nous entoure.
C'est justement cette réalité soi-disant « seconde » qui est présentée dans le roman Macha ou IV Reich.

Actusf : De quoi celui-ci parle-t-il ?

Jaroslav Melnik : Le roman est sur la logique des nazis, qui ont divisé les gens en «supérieurs» et «inférieurs». Nous sommes tous scandalisés par l'inhumanité dont les nazis ont fait preuve à l'égard des habitants d'Auschwitz. Déjà , là-bas, au 20ème siècle, seul un corps, «un animal» était vu dans l’homme. Par conséquence, l'animal peut être tué, torturé sans un remord. Pourquoi alors ne pas l’empoisonner au gaz et le brûler dans des fours?
Dans ce roman, j'ai essayé de poursuivre la logique des nazis jusqu’au-bout. Avec une telle attitude envers la «race inférieure», à quoi ressemblerait l'avenir lointain de la planète si le nazisme (les idées nazies) avait gagné ? Les représentants de la «race inférieure» ne se seraient-ils pas transformés, pendant des dizaines de générations, en vrai animaux pour les « post-nazis »?
Mais ce roman ne concerne pas seulement les nazis. C'est un roman sur nous tous, sur le fait que nous sommes tous nazis par rapport à notre prochain, que nous regardons comme quelque chose d'inférieur à nous (il est plus pauvre, il est d'une couleur de peau différente, d'une religion différente, d'un sexe différent, d'une nationalité différente, etc.). Sans parler du fait que nous sommes absolument nazis par rapport aux animaux que nous mangeons sans le moindre remords.
Dans mon roman, les "stors", les animaux, sont exploités et mangés, bien qu'ils ne soient pas physiquement différents des "gens". Cependant, ils vivent dans des étables et sont séparés de la culture. Mais sont-ils vraiment des animaux ?
De terribles doutes s'emparent du journaliste du journal "La Voix du Reich" Dima. Une femelle stor, Macha, est tombée amoureuse de lui et il commence à voir un être humain en elle…

Actusf : Un roman qui ressemble à une confrontation. « Macha ou le IVe Reich » est un thriller d'anticipation avec une dose de dystopie. Pourquoi choisir d’écrire de l’imaginaire et plus particulièrement de la dystopie ? Est-ce plus simple pour parler de certains sujets ? Aviez-vous un message à faire passer ?

Jaroslav Melnik : Tout d'abord, à propos de l'imaginaire. Imaginer pour moi est synonyme de liberté. Tant que nous vivons dans cette réalité, dont les médias nous parlent quotidiennement, nous en sommes les esclaves. C'est une longue tradition de compréhension de la liberté. Le Christ a également dit que "vous n'êtes pas de ce monde". Qu'il y a un autre monde, le monde de Dieu, éternel, tandis que cette réalité dans laquelle nous vivons est comme un rêve. Nous trouvons aussi la méfiance à l'égard de la réalité dans le bouddhisme et dans d'autres religions. Le philosophe mystique George Gurdjieff a dit que tout ce que nous faisons tous les jours, nous le faisons dans un état d'évanouissement profond, dans un état de sommeil, et que la vraie vie commence par le réveil de ce rêve.
À propos, je vis en Lituanie, c'est un pays de forêts et de lacs dans le nord de l'Europe, où les gens sont entourés de nature sauvage et croient aux esprits des forêts. Les Lituaniens sont les derniers païens d'Europe à avoir été christianisés.
Je me demande d’ailleurs pourquoi dans mon roman Macha ou le IVe Reich j'ai dépeint le monde post-nazi, dans lequel l'ère de la science et de la technologie est dans un passé lointain. Certainement pas seulement parce que c'était le rêve d'Hitler de retourner à la « terre », aux « origines » ...

En ce qui concerne les éléments thrillers de mes romans dystopiques, ils équilibrent tout simplement la composante philosophique du roman. Pour éviter que le roman ne devienne une philosophie ennuyeuse, je préfère créer une intrigue acérée.
Quant à la relation entre l'intrigue et le genre, je crois que ce sont justement le sujet, l'intrigue qui choisit le genre. C’est que dans la réalité, je vois toujours des symboles, des métaphores, des tendances, comme si je regarde de loin ce que les autres ont sous les yeux. Si quelque chose est devant vos yeux, vous ne voyez pas où vous êtes. La dystopie en tant que genre est la mieux adaptée pour transmettre une telle vision.

Actusf : Macha ou le IVème Reich est une réflexion sur l'humanité, l'Homme, mais également sur le passé (notamment la dénonciation du nazisme) et le futur. Mais… Quelle est la part de votre vécu dans ce récit? A-t-il eu une influence? Laquelle?

Jaroslav Melnik : Vous parlez de l’influence sur moi… Je n'ai jamais pensé d’où me venaient des idées et pourquoi je les avais. Les critiques appellent souvent mes romans des «romans d'idées». Mais je crois que ma prose est considérée comme telle, parce que toute ma vie, je me suis intéressé à la philosophie, je ne suis pas seulement écrivain, mais aussi philosophe, auteur d'ouvrages philosophiques. C’est que je considère la vie quotidienne de loin, comme un matériau de généralisations philosophiques, une matière à réflexion. Il est important pour moi de comprendre qui je suis et dans quel monde je vis. Mais cela est également important pour toute personne qui pense.
Et pourtant, si on demande pourquoi telle ou telle idée me devient proche… Quand les critiques ont commencé à souligner mes moments biographiques, à savoir que je suis le fils de parents qui ont été exilés au Goulag pour rien et qui là-bas, par correspondance, ont fait connaissance et ont même, toujours par correspondance, décidé de lier leurs destins, alors je commence à supposer que mon désir de liberté, ma haine de toute forme d'asservissement, d'inhumanité, vient peut-être de là-bas, de ces moments biographiques.
Oui, personne n'a mangé mes parents, mais ils avaient été transformés en une sorte d'animaux dans le Goulag, en animaux, qui ont fait un travail très dur physiquement (en Sibérie, mon père abattait du bois et traînait de lourdes bûches).
A l‘époque, le journal La Croix m'a appelé « le fils de Staline », ce qui implique la logique suivante: sans Staline, il n'y aurait pas eu de Goulag. S'il n'y avait pas eu le Goulag, mes parents ne pouvaient donc pas faire connaissance et, par conséquent, je ne serais pas là.
Nous sommes tous finalement un produit de l'époque, et cela ne peut être évité. Néanmoins, je suis sûr que nous sommes libérés de notre passé à partir du moment où nous entrons dans la dimension spirituelle et cessons d'être une biographie et un esclave du temps, mais devenons otages de l'éternité.

Actusf : D’après vous peut-on encore être libre ?

Jaroslav Melnik : Nous vivons à une époque terrible où les idéaux de liberté ne sont restés que dans les mots. Vivant dans un pays de l'UE et de l'OTAN, je me réveille chaque matin avec le sentiment d'être retourné en URSS, et dans une URSS pire que celle qui était sous Brejnev. La restriction de la liberté en URSS consistait dans le fait que nous ne pouvions pas quitter le pays (mais l'URSS était immense, comme la moitié du monde, il y avait assez d '« espace lointain » où nous pouvions nous échapper. Le tourisme de montagne à cette époque était précisément associé à la nécessité d'échapper à l’Etat totalitaire). Mais personne n'a collecté autant d'informations sur moi qu'aujourd'hui, quand chaque appel, e-mail, SMS est enregistré quelque part, ainsi que qui, quand et d'où j'ai appelé ou écrit ("la lutte contre le terrorisme"). Tous mes achats sont également enregistrés - ce que j'ai acheté, quand et où, pour combien j'ai acheté, il est envisagé de nous débarrasser du cash dans les années à venir (« la lutte contre le blanchiment d'argent » et, de nouveau, contre le « terrorisme » !). Écoutez, bien que je puisse avoir seulement mille euros sur mon compte, tout est toujours enregistré et chaque euro est contrôlé ! C‘est quoi, ça ?
Toutefois, personne ne m'a alors contrôlé pour savoir où j'allais et pourquoi, n'a pas exigé que je montre un document qui me permet de quitter ma maison ("combattre la pandémie"). Pardon, c'est du totalitarisme pur. Je vous dis, même en URSS il n'y avait rien de tel.
Mais peut-être que c'est temporaire, et si ce n'est à partir de cette année, lors de la prochaine nous retournerons à notre ancienne vie libre, sans contrôle à chaque pas (oh bonheur!)? Les fausses alarmes, alors.
Rien de tel. Ils ne cachent pas que c'est pour toujours, qu'il y en aura une seconde. une troisième vague, d'autres virus, de nouveaux attentats terroristes ... Le totalitarisme recours toujours à la peur pour provoquer un changement de comportement, sous couvert de démocratie (en URSS, du matin au soir, on se disait que notre pays était le seul à être une « vraie démocratie »).

Je comprends parfaitement qu'il existe des dangers liés au terrorisme, au blanchiment d'argent, aux pandémies. Mais sont-ils de nature à priver pour toujours une personne de liberté, à en faire un être complètement contrôlé à chaque pas ? Y a-t-il des raisons suffisantes pour cela ? Après tout, les gens sont-ils prêts à devenir opprimés ? Échanger sa liberté contre une sécurité absolue (qui n'existe pas!)?
Ma famille a souffert du régime totalitaire et mon attitude envers le régime totalitaire soviétique est bien connue. Pourtant en URSS, ils ont vraiment suivi et contrôlé une poignée de dissidents (et même eux n’étaient pas contrôlés à ce niveau-là), mais pas tout le monde, comme maintenant ! Nous vivons aujourd’hui dans une société où chacun est considéré comme un terroriste potentiel, un blanchisseur d'argent, un porteur de virus. C'est un vrai cauchemar jamais vu. Même George Orwell n'aurait pas pu imaginer cela.

Je ne vois pas d'autre moyen de rester libre dans le monde d'aujourd'hui, que de résister au fait que nous sommes privés de notre liberté, des droits innés fondamentaux inscrits dans la Constitution, que nous sommes transformés en esclaves. En fait, résister à l'établissement d'un contrôle totalitaire dans la société occidentale, c'est-à-dire, au fond, à un régime totalitaire qui s’installe. Pour nous, anciens résidents de l'URSS, l'Occident a toujours été un rêve, une démocratie où la liberté est garantie à chacun. Et aujourd'hui, placés sous contrôle total, nous avons le sentiment que nous sommes dans une sorte de nouveau Goulag...

Actusf : Avez-vous des inspirations, des influences en particulier? Littéraires, cinématographiques ?

Jaroslav Melnik : Je suis fortement influencé par le cinéma, la musique, les beaux-arts. Les critiques considèrent ma prose comme « cinématographique », je vois des «scènes». Les critiques appellent mes textes des « scripts de films » prêts à l'emploi. Plusieurs films ont été créés à partir de mes textes.
Je suis diplômé d'une école de musique en accordéon. Je joue aussi de la guitare. Je chante mes propres poèmes accompagnés de celle-ci.
Enfin, la philosophie a eu et a toujours une influence décisive sur moi. Ce n'est pas un hasard si mes romans contiennent des insertions de livres philosophiques fictifs.
D‘ailleurs, je m'intéresse beaucoup à l'Orient, j’ai visité l'Inde, un pays où il existe des castes, une division en personnes supérieures et inférieures, intouchables. Cela rappelle beaucoup la théorie nazie des races et la division des humains en humains et en animaux avec un corps humain dans mon roman. Mais l'Inde est un pays de contrastes, où l'on retrouvera beaucoup de sagesse. Elle m'a appris à ne pas faire confiance à mes sentiments, qui réagissent à la réalité qui nous entoure. Je fais du yoga tous les matins.

Actusf : Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Jaroslav Melnik : Ce sur quoi je travaille aujourd’hui résonne d'une manière étonnante avec la situation actuelle dans le monde, bien que je ne me soit jamais fixé pour objectif de répondre à l'actualité. Il se trouve que mes romans dystopiques deviennent soudainement d’actualité par rapport à tel ou tel événement de la vie du pays, du monde. Dans le roman Espace lointain, il n'y a pas un mot sur le Maïdan. Mais lorsque la « révolution de la dignité » a éclaté en Ukraine en 2014 et que le Maïdan a commencé, mon roman sur un jeune homme qui a soudainement retrouvé la vue dans le monde des aveugles et qui part vers un espace lointain en quête de liberté, a été perçu comme quelque chose de particulièrement pertinent. Maintenant, cela semble d'actualité en rapport à la pandémie, car les héros non-voyants du roman sont enfermés dans une mégalopole, dans « l'espace proche ». C'est compte tenu de la pertinence de cette situation, qu'un éditeur berlinois a demandé le droit de le publier en Allemagne.

Il se trouve que ma nouvelle dystopie que j’écris, « Pourquoi je ne suis pas fatigué de vivre », commence soudainement, aussi, à sembler d’actualité. À première vue, ce roman n'ait rien à voir avec la pandémie. Mais en fait, c'est pendant la pandémie que les gens ont regardé la mort dans les yeux. ont commencé à penser à la finitude de la vie et à l'immortalité... Et dans mon nouveau roman justement je parle de personnes qui, grâce au succès vertigineux de la médecine, ont commencé à vivre des milliers d'années, éternellement... Nous nous dirigeons vers cela, aujourd'hui l'espérance de vie a augmenté plusieurs fois par rapport aux époques passées. Mais serons-nous plus heureux si nous n'avons pas des dizaines, mais des centaines (pourquoi pas des milliers) d'années de vie devant nous ? Qu'arrivera-t-il à nos sentiments, à nos relations, à notre âme ? Ne perdrons-nous pas la profondeur des sentiments, des liens, le sens même de notre vie ? Vivre pour vivre ?

Le héros immortel tombe amoureux d'une fille qui a refusé l'immortalité ...

Pendant ce temps, l'intelligence artificielle d'une puissance inconcevable dirige l'État éternel, créant une sorte de paradis sur Terre. C'est un nouveau Dieu. Mais ... au paradis, Dieu voit tout ... Voici le problème. Il est impossible de se cacher de lui nulle part ...

Ce n'est qu'après avoir écrit le roman que j'ai appris que l'UE à grande vitesse pendant une pandémie devient comme la Chine (merci la Chine pour la technologie) en termes de contrôle technologique total sur la population et de pénétration dans la vie privée d'un individu, dont l'essence, comme vous le savez, est secrète. Le secret de la vie privée, qui s'approche de zéro sous nos yeux ...

Actusf : Si vous aviez un conseil à donner à ceux qui souhaitent écrire, ce serait lequel ?

Jaroslav Melnik : Écrire, c’est très simple. Il faut avoir quelque chose à dire. Vous ne pouvez pas vous asseoir et, n'ayant rien en vous qui éclate, commencer à écrire.
Vous pouvez, bien sûr, suivre des cours qui vous apprennent à écrire, par où commencer, comment terminer une histoire. Lorsque vous écrivez, vous devez avoir des sentiments forts et il faut avoir beaucoup de pensées dans votre tête. Véritable art, la littérature est une explosion d'énergie. Parfois, vous devez pleurer avec le héros. On dit « écrire avec du sang ». C'est une énorme dépense d'énergie. Mais justement c’est comme ça que votre parole sera saturée d'énergie et affectera profondément le lecteur, en changeant sa conscience (en l'élargissant), en éveillant des archétypes et des sentiments forts en lui. Vous ferez partie du lecteur, de son monde intérieur. Par contre, le texte doit avoir une forme, et l'esprit froid doit vous guider pour que votre écriture ne se transforme pas en un chaos de sentiments et de pensées. Avoir quelque chose à dire et lui donner une forme ce sont deux ingrédients du succès de l'écriture.

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