Lorsqu'on se demande quel pourrait être le plus britannique des auteurs américains, le nom de John Thomas Sladek figure parmi les premiers à venir à l'esprit. Après avoir exercé un nombre considérablement varié de professions, il s'installa à Londres au milieu des années soixante et collabora activement à lanew wave de l'époque, un mouvement porté par Michael Moorcock et le magazine New worlds. Réputé pour ses textes satiriques à l'humour déjanté, on pourrait le rapprocher d'un Stanislas Lem mâtiné de Kurt Vonnegut. Son roman Tik-tok, une délirante histoire de robot psychopathe, remporta à juste titre le British science fiction award en 1983. Il méritait bien d'être redécouvert par un public plus large que les amateurs d'archives que nous sommes.

 

 

La société Wompler, qui fabrique depuis des années des poupées dont plus personne ne veut, décide de redéployer ses activités vers un secteur plus prometteur. Le problème, c'est que personne ne sait rien faire... Qu'à cela ne tienne, ses membres, avec l'aide d'une poignée de pseudo-scientifiques loufoques nouvellement engagés, formeront les Laboratoires de Recherche Wompler. Ils ne manqueront pas, bien entendu, de se mettre illico à la tâche consistant à inventer et fabriquer n'importe quoi du moment que cela leur donne droit à des crédits gouvernementaux conséquents. Seulement, lorsqu'on se met à faire n'importe quoi, l'entropie gagne du terrain n'importe comment et avec un enthousiasme plus grand qu'on ne l'aurait imaginé. Il faudra toute la maladresse et l'incompétence de Cal Potter, Licencié ès Arts Biophysiques du MIT, pour tenter de venir à bout du problème, dans l'hypothèse où une telle éventualité se révélerait finalement possible.

 

 

À bien des égards, le monde complètement fou créé par John Sladek ressemble au nôtre et si caricature il y a, elle fonctionne peut-être bien selon un processus inverse à celui que l'on attend d'un tel système. Autrement dit, le monde dans lequel nous vivons n'est pas plus dément que celui qui régit les agissements des protagonistes de Mécasme. Incompréhensible en apparence, et parfaitement farfelu en profondeur, telle semble être la description d'une société courant joyeusement en direction du désastre le plus achevé qu'il soit possible d'imaginer. Humoriste hors pair, John Sladek est un orfèvre de la contrefaçon scientifique et des expérimentations inutiles programmées pour l'échec autant que pour le plus grand plaisir du lecteur hilare. Le seul sens à donner à tout cela, c'est qu'il n'y en a pas plus dans ce roman que dans une société outrancièrement technophile qui singe à s'y méprendre la nôtre. Avec son habituel style saugrenu, l'histoire se déroule sans un accroc, comme une bille d'acier roulant inéluctablement du côté de la pente sur laquelle elle se trouve pour terminer sa course au sommet d'une nouvelle pente, etc. Chez Sladek, il n'y a pas que les machines qui sont autoréplicantes, les ennuis le sont aussi, de même que les sourires provoqués à la moindre anicroche. Mécasme est incontestablement une belle réussite, et l'une des plus folles de la science-fiction des années soixante.