A l'occasion de la parution de Meute, Karine Rennberg revient sur l'écriture de ce nouveau roman paru la semaine dernière aux éditions Actusf.
Actusf : Meute, votre nouveau roman paraît prochainement aux éditions Actusf. Comment est né ce roman ? Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre la plume ?
Karine Rennberg : Je vais commencer par la question 2, avec une réponse très simple : rien de particulier. J'ai toujours été une grande lectrice, j'ai toujours inventé des histoires, je suppose qu'écrire était la continuité logique. J'aime écrire, j'y prends plaisir, et… ça suffit ? Je ne crois pas qu'il faille à tout prix avoir un besoin irrépressible de raconter quelque chose pour écrire (ou créer, plus largement) : si on en a envie et que ça nous amuse, alors go.
Pour en revenir à Meute, le roman est né alors que je bloquais sur un autre projet. J'ai pris une page blanche, et j'ai écrit sans penser à rien. Calame et sa narration au tu et en triades de couleurs sont nés comme ça. Et après être arrivé au bout de ma scène, je me suis dit que hey, j'aimais bien, si je continuais pour voir où ça m'emmenait ?
Actusf : De quoi cela parle-t-il ? Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Karine Rennberg : Meute, c'est un roman qui parle de comment prendre des responsabilités envers les autres. Et, plus largement, de comment créer des liens avec les autres (des liens amicaux, des liens fraternels, des liens amoureux…), et comment ça nous aide à avancer.
Et le tout sur fond de soft-apocalypse et de mercenariat, parce que tout est plus drôle quand on complique la vie des personnages.
Actusf : On y suit donc trois personnages, Nathanaël, Val et Calame, qui semblent ne pas encore avoir trouvé leur place. Comment les avez-vous créés ? Sont-ils complémentaires ? Des facettes de votre propre personnalité ?
Karine Rennberg : Ah, les personnages. J'adore les personnages, j'écris pour mettre en scènes des personnages. Dans le cas de Meute, ils sont tous les trois très différents, et c'est sans doute pour ça qu'ils fonctionnent aussi bien ensemble. Nath, c'est l'explosivité qui peine à contrôler ses émotions et ses réactions. Val, c'est le contrôle absolu, l'analyse logique et froide (lui sait parfaitement où est sa place). Calame, c'est l'empathie et la douceur sous une montagne de trauma. Ils ont chacun des choses à apporter aux autres, et c'est ça qui fait leur force.
Au niveau de la création… je fais partie de ces auteurices qui n'ont pas leur mot à dire sur la question. Mes personnages poppent dans ma tête, y font leur vie, et je n'ai pas d'autres choix que d'obéir. Autrement dit, ils sont issus d'un mélange inconscient de toutes mes obsessions ou inspirations du moment, qui "prend corps" pour ainsi dire, et non issus d'un processus de création volontaire et ordonné. Du coup, je ne les ai pas créés, je me suis contenté de gérer les dégâts.
Et enfin, est-ce qu'ils sont des facettes de ma personnalité : putain j'espère pas, ils sont bien trop cassés pour ça ! Plus sérieusement, non, ils ne me ressemblent pas, mes persos ne sont quasiment jamais moi et vice-versa, même s'il peut parfois y avoir des traits communs. J'ai le côté analytique de Val, la crainte des responsabilités de Nath et la timidité de Calame, mais pour le reste… Non.
Actusf : Nathanaël est un lycanthrope. Comment voyez-vous la figure du loup-garou ? Est-ce votre créature surnaturelle préférée ? Pourquoi ?
Karine Rennberg : Évidemment que c'est ma créature préférée. Je veux dire, il y a "loup", dans loup-garou. Qui n'a pas envie de pouvoir se changer en loup, franchement ?
Au-delà de mon amour indéfectible pour les loups, les lycanthropes (et tous les thérianthropes, plus largement) sont intéressants parce qu'ils nous forcent à regarder la dualité animal / humain. Qu'est-ce que ça veut dire, être loup ? Ou être humain ? Quels instincts, comportements, mode de vie ça entraîne ? Et comment ces deux aspects entrent-ils en opposition, ou au contraire en symbiose ? C'est intéressant de regarder tout cela, en allant au-delà de l'aspect vu et revu "l'animal est incontrôlable, l'humain est civilisé" ; et ça l'est d'autant plus avec un animal social/familial comme le loup.
Si je prends Meute en exemple, le côté agressif de Nath a toujours été présent chez lui, devenir soudain loup n'a rien changé à cela ; à l'inverse, le loup le pousse à aller vers les autres, à aller vers sa meute. L'individualisme de l'humain, versus le groupe du loup.
Actusf : De son côté Val est un personnage ace. Comment l’avez-vous construit ? Que représente-t-il ? Est-ce un sujet qui vous touche particulièrement ?
Karine Rennberg : En fait, ce qui est étonnant, ce n'est pas que Val soit asexuel (les trois quarts de mes personnages le sont par défaut, à différents degrés du spectre, comme je le suis moi-même), mais que Nath ne le soit pas. D'ailleurs, j'ai eu plusieurs remarques lors des différentes phases de correction indiquant qu'il était censé ressentir du désir, de l'envie… autant de choses qui me passent personnellement loin au-dessus de la tête et auxquelles je ne pense donc pas quand j'écris (oupsie).
Et même si je n'écris pas dans un but militant, je pense tout de même qu'il est important de montrer que l'asexualité existe, et que c'est OK, qu'il n'y a pas à en avoir honte, que ce n'est pas grave. J'ai découvert ce terme et ce qu'il recouvrait à plus de 25 ans ; si j'en avais eu connaissance plus tôt, je me serais beaucoup moins posé de questions existentielles à une époque de ma vie (et encore, je fais partie des gens chanceux). Plus largement, c'est aussi le cas pour le reste des orientations sexuelles (Nath est gay, tout le monde le sait, ça ne dérange personne) ou des identités de genre.
Actusf : À ce propos, avez-vous travaillé avec un ou une une sensitivity reader ? Comment avez-vous fonctionné ?
Karine Rennberg : Étant moi-même ace, comme une partie de mon entourage, je n'ai pas ressenti le besoin d'avoir une sensitivity reader pour cet aspect particulier. De toute façon, Val n'a pas de visée à représenter l'intégralité et les nuances du spectre ace, mais juste un point particulier dans la gamme.
En revanche, Val est également racisé (il est noir), tout comme certains personnages tertiaires. Et là j'ai effectivement fait appel à une sensitivity reader pour relire une des dernières versions du manuscrit, et me soulever les points problématiques. Même si je ne traite pas de la question du racisme et que Val n'y est pas réellement confronté dans le roman (ce n'est ni ma place ni mon envie d'en parler), il me semblait important de vérifier qu'il n'y avait pas de stéréotype ou de biais maladroit ou insultant qui aurait pu perdurer malgré mes propres recherches sur la question. Ou, à défaut, que j'en avais conscience et que c'était volontaire.
Actusf : Comment avez-vous travaillé ? Avez-vous dû faire beaucoup de recherches pour créer votre univers ?
Karine Rennberg : Je suis une autrice dite "jardinière" : j'écris les choses comme elles viennent, sans plan ni préparation. Et après je pleure pendant les nombreuses corrections pour rendre le tout cohérent. Donc, je suis principalement parti dans tous les sens, et j'ai beaucoup réécrit. (rires)
Niveau recherches, j'en ai fait pas mal, aussi bien sur les loups, que sur les loups-garous, que sur l'aspect soft-apo de l'univers ou encore tout un tas d'aspects médicaux. Mais globalement, mon univers n'est pas extrêmement travaillé ou poussé : les personnages m'intéressent beaucoup plus et c'est sur eux que je concentre mon attention.
Actusf : Pourquoi écrire de l’imaginaire ? Est-ce plus simple pour aborder certains sujets ou est-ce juste un genre que vous aimez ?
Karine Rennberg : Les deux ! L'imaginaire (la fantasy, en particulier) a toujours été mon genre de prédilection depuis que je suis enfant, voire l'unique depuis que mon temps de lecture s'est drastiquement réduit et que je dois (ô horreur) faire des choix. Écrire dans ce genre était une évidence. (Et puis, notre monde réel est clairement déprimant, autant s'évader ailleurs).
Au-delà de ça, l'imaginaire a toujours été, est et restera toujours un formidable outil pour analyser nos sociétés, nos travers, nos biais, notre vision du monde et pour proposer des alternatives. C'est là une de ses immenses forces, de savoir proposer ce pas de côté qui nous pousse à la réflexion sans nous braquer directement.
Actusf : Quelles ont été vos sources d’inspiration ? Je pense notamment au roman Le Dernier loup-garou de Glen Duncan.
Karine Rennberg : Ce type de question est très compliqué pour moi. J'ai lu et vu trop de choses pour vraiment arriver à déterminer ce qui m'a marqué. Mon inconscient travaille tout seul dans son coin, et a décidé depuis longtemps qu'il ne voyait pas l'utilité de m'envoyer des mémos.
Mais globalement, pour Meute, il y a évidemment beaucoup de romans de loup-garou, dont Le dernier loup-garou (dont j'adore le côté nihiliste et désabusé, même si j'avais préféré éviter la romance (pourquoiiiiiii ?)) et un certain nombre de séries de bit-lit (notamment Alpha et Omega, ou plus récemment Le Clan Bennett), mélangé aux romans post-apo qu'écrivaient mes camarades d'écriture, couplé au roman À mains nues, doublé de… je ne sais pas. Tout ce que j'ai pu lire ou voir ou apprendre à un moment ou à un autre ?
Actusf : Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Karine Rennberg : J'alterne entre deux projets de roman fantasy ; le premier dans une simili Venise étherpunk en proie à un problème d'esprits ; l'autre est un roman choral dans lequel je vais très certainement me noyer très vite, mais c'est fun.
Actusf : Où peut-on vous rencontrer dans les semaines à venir ?
Karine Rennberg : Si tout va bien, je serai à Trolls et Légendes en avril. Et pour le reste, je ne sais pas encore trop !