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Narcose

Jacques Barbéri ( Auteur), Philippe Sadziak (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 24/04/2008  -  livre
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Narcose

2008 : poussée de barbérite aiguë. La précédente édition de Narcose, chez Denoël (Présence du futur), datait de 1989. La mémoire du crime, plus ou moins situé dans le même univers, avait suivi en 1992, et un troisième volume au titre dickien, Le tueur venu du Centaure, n’avait jamais vu le jour. Mais colportez la bonne nouvelle : les éditions la Volte proposent aujourd’hui une version révisée et augmentée (et visiblement pas corrigée, si je me fie au nombre anormal de coquilles) du premier, et annoncent les deux autres titres pour 2009 et 2010. Une bonne introduction aux univers interlopes et schizoïdes d’un auteur, Jacques Barbéri, que nous n’avions plus guère l’occasion de lire depuis Le crépuscule des chimères en 2002 (Flammarion, Imagine), sinon au détour de quelques revues (Bifrost, Galaxies), anthologies (souvent dirigées par Richard Comballot, qui établit d’ailleurs en fin de volume une bibliographie exhaustive de l’œuvre barbérienne) et autres collaborations (comme Renews #1 - Terraformation aux éditions è®e en 2005). Nous l’avions entre autres retrouvé en 2006 aux éditions la Volte à l’occasion d’un recueil (Aux limites du son) du groupe Limite (dont il fut l’un des fondateurs), reformé pour l’occasion. Le revoilà, en force cette fois, avec un nouveau recueil de nouvelles, L’homme qui parlait aux araignées (le second seulement, après Kosmokrim en 1985 (Denoël, Présence du futur), et une version actualisée de sa Narcose.

Stupéfiant(s)

D’ordinaire, la narcose désigne le sommeil provoqué artificiellement par des médicaments. Chez Jacques Barbéri, elle désigne aussi l’une des trois villes-sphères rêvées par les légendaires Têtes Molles. Anton Orosco, promoteur immobilier à l’origine d’une gigantesque escroquerie, est convoqué chez le juge d’instruction. Il préfère la fuite (et le scotch-benzédrine). Seulement, dans cette jungle urbaine où tout est à craindre, des sectateurs suicidaires aux caïds locaux, le seul moyen d’avoir une (petite) chance de s’en sortir est tout simplement de changer de corps. Mais la chirurgie plastique n’est accessible qu’à ses risques et périls. C’est dans la peau de Marc Holgenzinger, homosexuel solitaire, qu’Anton rencontre Célia/Alice, la jeune fille qui vit derrière le miroir. Avant de se retrouver dans celle d’un… lapin.

Une soirée à la plage, le premier roman de Jacques Barbéri, commençait de façon un peu grotesque, avec l’exploration mentale d’une planète psychédélique, pour s’achever dans l’émotion et la détresse. Nous recollions les morceaux de la mémoire explosée du personnage, Anjel, en même temps que lui, et peu à peu, les délires fantasmatiques du roman prenaient sens, à l’aune de la triste origine de son mal. Plus homogène, mais aussi plus drôle et plus foutraque, Narcose s’avère également moins touchant. Les séquences, toutes plus déglinguées et surréalistes les unes que les autres, se succèdent avec une belle cohérence et une indéniable virtuosité, mais l’empathie suscitée par le héros d’Une soirée à la plage est ici remplacée par une certaine complaisance – le plaisir de voir le pauvre Anton Orosco malmené de charybde en scylla comme une boule de flipper dopée à l’amphécafé et au scotch-benzédrine. Anton lève une bombe sexuelle au Lemno’s Club et la baise en présence d’une araignée souriante (dans un des deux chapitres, pas vraiment indispensables, qui ne figuraient pas dans la précédente édition…), va trouver l’épouvantable Lion au Jungle Beer, se fait envoyer en l’air par un « moine rouge » dans un bar mobile tenu par une Alice carrollienne, devient Marc Holgenzinger, découvre une plage virtuelle cachée dans la salle de bain du Lemno’s Club, se rend dans la première tranche de la Sphère et y assiste à la retransmission d’une représentation de rodéométathrombix (par un avatar de Jerry Cornelius que nous avions aussi aperçu dans une nouvelle d’Aux limites du son…), avale des gélules de kinsokaïne (la drogue que prenait Anjel dans Une soirée à la plage), plope un coup, perd un bras, se tape la jeune Célia, se réincarne en lapin [et al.]. Comme chez Jeff Noon ou Tex Avery, ça n’arrête pas.

Love on the beach

On peut s’en lasser, trouver ça un peu vain. Aussi déjantées et drolatiques soient-elles cependant, ces aventures cartoonesques ne sont pas dénuées de sens. Les réincarnations d’Anton, les modifications subies par ses corps, altèrent son dasein, modifient son identité. Créer, pour la Tête Molle suprême du livre (Jacques Barbéri lui-même, bien sûr) ce serait donc cela : changer de peau pour survivre (pour que le récit survive), vagabonder d’une image à l’autre, vous jeter dans votre propre labyrinthe mental et voir où ça vous mène. Au bout de ce chemin surréaliste, pour l’écrivain comme pour son personnage, se trouve la récompense tant attendue : sous les pavés des Villes-Sphères, la plage ! Un repos bien mérité. En effet, tel un avatar destroy des héros chronolytiques de Michel Jeury, Anton Orosco est moins en quête d’une réalité première trop peu reluisante, que d’une échappatoire, d’un havre de paix où il puisse en toute tranquillité (lubrique), en toute intériorité, explorer le corps de son Alice – d’où, sans doute, son absorption convulsive de psychotropes et d’amphétamines pendant plus de cent cinquante pages. Cette quête effrénée d’une bulle d’éternité subjective où s’épanouir en toute liberté est aussi, vous l’avez compris, celle de l’auteur. Et, comme chez Jeury encore, c’est sur une plage bien évidemment matricielle que nos deux amants trouveront enfin refuge.

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